Quelques éléments occultés autour de la déclaration Balfour
Nous allons fêter la déclaration Balfour.
L’histoire en garde une trace un peu abusive tant dans son texte que dans son apparition.
Elle n’est pas la première déclaration en faveur de la naissance d’un Etat juif mais elle serait la mère d’un Etat d’Israël déjà en gestation avancée : avec le sionisme politique, l’entité politique juive avait déjà émergé avec ses institutions (partis politiques, écoles, syndicats…) et le choix de l’hébreu pour langue nationale.
Au cœur de la meurtrière Première Guerre mondiale, les puissances alliées sentent que la victoire contre la coalition des empires centraux et l’empire ottoman est à portée de main. Elles pensent à la nouvelle carte du monde et au dépeçage de l’empire austro-hongrois en Europe et de l’empire ottoman en Asie. Pour ce faire, Français et Anglais (avec la participation des Russes et des Italiens) passent un accord nommé Sykes/Picot le 16 mai 1916 [1] qui délimite leurs zones d’influence respectives au Moyen-Orient et crée des états arabes en devenir.
Auparavant, les Anglais, afin de faire se lever une révolte arabe derrière les lignes turques, passent avec Hussein ben Ali, shérif de La Mecque, un accord qui prévoit la naissance d’un grand royaume arabe à l’exclusion à l’Est de la Mésopotamie et à l’ouest de la zone occidentale à la ligne d’Alep en Syrie jusqu’à la mer Morte, c’est-à-dire le Liban et la Palestine. Ce fut, semble-t-il, en accord avec les Français puisque ces derniers envoient le colonel Bremond qui doit œuvrer avec le fameux colonel Lawrence. Il en coutera aux britanniques 200.000 £ mensuelles. Quoiqu’ils en disent, les Arabes obtiendront ce qui leur avait été promis à l’exception de l’Est syrien remplacé par la Mésopotamie, l’Irak d’aujourd’hui. Ainsi Hussein deviendra roi d’Arabie, son fils Fayçal roi de Syrie puis d’Irak et son autre fils Abdallah, roi de Transjordanie (retirée du territoire mandataire de la Palestine en 1922).
Sur le terrain, au Moyen-Orient, la guerre d’abord piétine ; s’ils repoussent deux assauts germano-ottomans sur le canal de Suez, les Anglais ne parviennent pas à prendre Gaza. Le commandement militaire ottoman de la région est assuré par le général allemand Von Falkenhayn qui s’opposera aux persécutions des Juifs de Palestine voulues par le gouverneur Djemal Pacha qui ordonna la déportation des prêtres chrétiens de Jérusalem et fait dynamiter des édifices chrétiens.
La France avait, d’ailleurs, affrété un navire de transport militaire pour accueillir le 15 décembre 1915 à Ajaccio 744 Juifs non ottomans expulsés par Djemal Pacha. Jules Cambon, Secrétaire Général du Quai d’Orsay (il avait été ambassadeur à Londres pendant les négociations Sykes/Picot), publie une lettre ouverte à Nahum Sokolov, représentant de l’Organisation Sioniste Mondiale en France, le 4 juin 1917 : ce serait faire œuvre de justice et de réparation que d’aider à la renaissance, par la protection des puissances alliées de la nationalité juive, sur cette terre d’où le peuple d’Israël a été chassé il y a tant de siècles… le gouvernement français… qui poursuit la lutte pour assurer le triomphe du droit sur la force, ne peut éprouver que de la sympathie pour votre cause… On remarque que cette déclaration précède de cinq mois la déclaration Balfour et qu’elle est plus enthousiaste qu’elle. Qui imaginerait, aujourd’hui, le Quai d’Orsay en pionnier du soutien au sionisme ? Il est vrai, cependant, que la France n’a aucune présence militaire au Moyen-Orient.
Sur le terrain, le 6 juillet 1917, Lawrence et Fayçal, fils d’Hussein ben Ali prennent Aqaba qui était déjà sous le feu des canons de la Navy, ce sera le nécessaire port de ravitaillement de l’armée anglaise pour progresser vers le Nord.
En Palestine, Aaron Aaronsohn un célèbre botaniste juif de Palestine qui avait été enrôlé par les Turcs pour faire face à une invasion de sauterelles (en 1915) crée un groupe clandestin de renseignements en faveur des Anglais, le Nili. Il convainc les britanniques de contourner Gaza qu’ils ne parvenaient pas à investir, pour prendre Beer Sheva et ses importantes ressources en eaux. Une fantastique charge de cavalerie du Commonwealth leur livre la ville le 31 octobre 1917. La route de Jérusalem est ouverte.
Djemal pacha qui avait annoncé quelques mois plus tôt, il ne restera plus un seul juif vivant pour accueillir les britanniques, rencontre à Berlin en août 1917 des sionistes et obtient du leader du gouvernement turc, Talaat Pacha, l’idée d’un foyer national juif. Rien n’est compréhensible chez cet homme mais le sionisme est de plus en plus dans l’air du temps. Le triumvirat turc était au début de la guerre revenu sur l’idée d’une autonomie juive en Palestine ce qui avait obligé Ben Gourion et d’autres dirigeants sioniste à s’exiler.
En Angleterre, on connait bien le succès du corps de muletiers de Sion à Gallipoli, l’importance décisive du réseau Nili et la situation pré-étatique de fait du Yichouv. Londres note encore que les Ottomans ne sont pas loin d’admettre une autonomie juive et remarque que les puissances étrangères présentes en Palestine sont surtout la France et ses propriétés, la Russie avec ses églises, ses pèlerins et ses immigrés juifs russes, l’Allemagne qui y a perdu quelques années plus la guerre des langues lorsque le Technion décide que l’enseignement se fera en hébreu et non en allemand. L’Angleterre est peu présente en dehors de son consulat à Jérusalem. On se souvient de la publication en 1839 du président de la London Society, Ashley-Cooper [2] : il y a un pays sans nation et, dans sa sagesse et sa miséricorde, Dieu nous amène une nation sans pays. Il est urgent de couper l’herbe sous les pieds de ces puissances en mettant à profit l’état de fait de l’entité politique juive par une affirmation forte. Les intérêts anglais répondaient, à ce moment-là, à ceux du mouvement sioniste qui voit les troupes britanniques progresser depuis le sud de la Palestine. On sait que cette coïncidence d’intérêts ne durera pas.
Dès lors, Lloyd George, le premier ministre qui connaissait la Bible par cœur, et Arthur Balfour, secrétaire aux colonies, agitent le mouvement sioniste même si l’establishment juif anglais était pour le moins tiède pour cette déclaration. Il s’agit d’une lettre ouverte adressée à Lord Lionel Walter Rothschild, pour transmission à l’Organisation Sioniste Mondiale.
Elle est publiée le 2 novembre 1917 : Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif, et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte ni aux droits civils et religieux des collectivités non-juives existant en Palestine, ni aux droits et au statut politique dont les juifs jouissent dans tout autre pays. Elle avait fait l’objet de sérieuses négociations au sein du gouvernement et avait reçu l’aval des Français et des Américains.
La lettre de Lord Balfour à Lord Rothschild
Un mois plus tard, dans une manifestation de remerciements du mouvement sioniste le Rav Kook qui avait tant lutté contre les juifs antisionistes, dans le Royal Albert Hall bondé, déclare : Je ne suis pas venu remercier le peuple anglais (mais) le féliciter, avec la bénédiction de Mazal Tov pour son grand mérite d’être la seule nation à nous accorder la Déclaration. Suggérant que la Grande-Bretagne devrait songer à remercier Dieu de l’avoir choisie pour cette déclaration.
Dès juin, Llyod George avait donné l’ordre de prendre Jérusalem avant Noël, la ville se rend le 9 décembre, le général Allenby y fait son entrée, à pied sur ordre de Londres, le 11 par la porte de Jaffa. L’hiver est glacial mais l’accueil chaleureux. Les Anglais enlisés sur le front européen peuvent reprendre le sourire.
Trois mois plus tard, Pichon, ministre des Affaires Etrangères français, écrit à Nahum Sokolov : Comme il avait été convenu au cours de notre entretien du samedi 9 février, le gouvernement de la République française, en vue de préciser son attitude vis-à-vis des aspirations sionistes, tendant à créer pour les juifs en Palestine un foyer national, a publié un communiqué dans la presse. En vous communiquant ce texte, je saisis avec empressement l’occasion de vous féliciter pour le généreux dévouement avec lequel vous poursuivez la réalisation des vœux de vos coreligionnaires et de vous remercier du zèle que vous y apportez, et pour vous faire connaître les sentiments de sympathie que leurs efforts éveillent dans tous les pays de l’Entente et notamment la France. Le communiqué à la presse du 9 février 1918 est joint : Monsieur Sokolof, représentant des organisations sionistes, a été reçu ce matin au ministère des Affaires étrangères par M. Pichon qui a été heureux de lui confirmer que l’entente est complète entre le gouvernement français et britannique en ce qui concerne la question de l’établissement des Juifs en Palestine. Encore une fois, imagine-t-on, aujourd’hui, qu’un ministre français des Affaires Etrangères ait pu écrire une telle lettre ?
L’Angleterre avait sa légitimation militaire et politique. Le conflit mondial se termine, elle obtient de la Société des Nations un Mandat sur la Palestine pour la réalisation du Foyer National Juif. Elle en écarte rapidement la Transjordanie pour faire face à ses engagements à l’égard d’Hussein ben Ali. Puis sa politique glisse et elle oublie ses engagements auprès de l’Organisation Sioniste Mondiale et ses obligations mandataire envers la Société des Nations. Elle développe une politique arabe précédant celle de la France d’après 1967…
Richard Rossin
[1] Accords secrets signés le 16 mai 1916, après négociations entre novembre 1915 et mars 1916.
[2] Dans un article intitulé l’état et la renaissance des Juifs.
Pour citer cet article :
Richard Rossin, « Quelques éléments occultés autour de la déclaration Balfour », Le CAPE de Jérusalem, publié le 31 octobre 2017: http://jcpa-lecape.org/quelques-elements-occultes-autour-de-la-declaration-balfour/