Protestations et vive tension au Maroc

La colère gronde au Maroc. Depuis plusieurs semaines, des manifestations se multiplient dans le nord du pays et dans les grandes villes.

Le 11 juin 2017, plus de 25 000 personnes ont participé à un rassemblement sur la place Bab el-Had, près de la Médina de Rabat. C’est la première fois qu’un rassemblement de solidarité de cette envergure se tenait dans la capitale. Il réclamait la libération des leaders qui avaient déclenché un mouvement de contestation à Al-Hoceima, dans le Rif. Suite à ces manifestations, une centaine de personnes ont été rapidement jugées, dont une trentaine placées en détention préventive, accusées de lourdes charges et notamment « d’atteinte à la sécurité du pays. »     

Face à ces troubles, les autorités du Royaume marocain se trouvent incapables de contrôler la situation et de calmer les esprits.

Tout a basculé le 28 octobre 2016, dans la ville d’Al-Hoceima, située au nord du pays sur la côte méditerranéenne marocaine.

Ce jour-là, un poissonnier, Mouhcine Fikri, 30 ans, tentait de s’opposer à la saisie et à la destruction de sa marchandise, de l’espadon : une espèce interdite à la pêche. En tentant de sauver in extremis les 500 kilos de poissons qu’il possédait, il a été accroché par ses vêtements à une benne à ordures, et a été broyé sur le coup. Les circonstances atroces de sa mort ont immédiatement provoqué une vague de manifestations populaires dans plusieurs villes du Maroc, notamment à Rabat, Casablanca et Tanger.

Le Roi, Mohamed VI a ordonné une « enquête approfondie » et plusieurs personnes furent arrêtés et jugées pour « homicide volontaire ».

Rappelons que le 4 juin 2017, la presse marocaine a rapporté que le roi Mohammed VI avait décidé de ne pas participer à la réunion de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à Monrovia, car le roi était, selon les médias marocains, réticent à rencontrer le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, qui y participait pour la première fois, à l’invitation du Président du Libéria.

La vérité est tout autre, soulignons que le Roi Mohammed VI a été très actif au cours de l’année écoulée au sein de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) et qu’il n’a jamais manqué un seul forum pour convaincre des dirigeants africains de soutenir sa candidature. Il est vraisemblable donc que les tensions intérieures l’aient bien contraint à ne pas quitter son pays.

Sur plusieurs plans, le fil des derniers événements au Maroc rappelle celui qui a précédé la chute du président tunisien Zein El-Abidine Ben Ali.

Rappelons que la « révolution du jasmin » a débuté le 17 décembre 2010, à Sidi Bouzid dans le sud de la Tunisie. La police avait confisqué la balance d’un vendeur ambulant de 26 ans, Mohammad Bouazizi.

Il avait été faussement accusé d’avoir illégalement vendu des légumes, mais en vérité, il avait refusé de payer des pots-de-vin aux policiers. Empêché de déposer une plainte, indigné par son humiliation publique, et désespéré sur la marche à suivre, Bouazizi s’est immolé par le feu devant la maison du gouverneur local.

Sa mort déclencha « la Révolution du jasmin » puis, par effet domino, la révolte du fameux Printemps arabe.

La vague de protestations populaires dans le pays a finalement provoqué la chute du régime de Ben Ali en Tunisie et son évasion en Arabie Saoudite. La révolte dans la rue arabe n’a pas épargné d’autres régimes tels que la Libye, l’Égypte, ou la Syrie. Depuis, Moubarak et Kadhafi ont disparu de la scène, tandis que des guerres civiles se sont déclenchées en Syrie et en Irak, où elles se poursuivent jusqu’à ce jour. L’onde de choc a été ressentie dans tous les pays arabes. Pourtant, la plupart des régimes ont survécu.

Jusqu’à ce jour, le Maroc, mais aussi les royaumes d’Arabie saoudite ou de Jordanie furent épargnés de la vague violente du Printemps arabe.

Le Maroc a survécu au tsunami politico-social en adoptant une série de lois libérales qui avaient réussi à calmer temporairement les troubles populaires. En revanche, le Royaume chérifien a poursuivi une politique très sévère contre les extrémistes musulmans.

Soulignons que le Maroc est l’un des principaux pays musulmans, dont les ressortissants sont volontaires dans les rangs de Daesh et d’al Qaïda, au Moyen-Orient et en Europe. Cependant, leur véritable menace est surtout omniprésente par-delà les frontières. Selon des chiffres officiels diffusés par les autorités marocaines, plus de 1 600 volontaires avaient rejoint les rangs des djihadistes en Syrie, en Libye et en Irak. 200 à 240 sont déjà retournés dans leurs foyers, dans certaines capitales européennes. Selon Abdelhak Khiame, chef du Bureau Central d’Investigations Judiciaires, 132 cellules terroristes ont été découvertes au Maroc depuis 2002 et plus de 2 720 terroristes ont été arrêtés. Au cours des trois dernières années, le nombre de cellules terroristes non découvertes a triplé. Entre 2011 et 2013, 18 de ces cellules ont été démantelées et l’année dernière, en 2016, 24 cellules terroristes ont été découvertes, ainsi que des indications sérieuses selon lesquelles des terroristes planifiaient des attaques biologiques et chimiques.

Le Royaume chérifien combat, sans trop de succès, la radicalisation qui se propage à travers le pays. Il a entrepris un programme spécial d’éducation religieuse visant à neutraliser toutes les interprétations extrémistes du Coran. Le roi Mohammad VI a chargé le ministère de l’Education de retirer des manuels scolaires toutes les références au djihad. Parallèlement, un nouveau programme de formation religieuse a été également lancé pour les nouveaux prédicateurs, imams et kadis.

Cette nouvelle politique a été suivie d’un discours historique prononcé par le roi Mohammad VI le 20 août 2016. En tant que « Commandant des croyants » et « Gardien » de l’école sunnite, le Roi a refusé l’appellation de « musulmans » aux djihadistes les qualifiant de « criminels ».

« Comment le djihad permet-il de tuer des innocents ? » s’est-il exclamé. « Le djihad ne peut être seulement envisagé que comme acte de légitime défense. La mort d’individus au nom du djihad est illégale… Est-il concevable que Dieu ordonne à un individu de se faire exploser ou de tuer des innocents ? L’islam interdit toutes les formes de suicide pour quelque raison que ce soit … Ceux qui incitent au meurtre et ceux qui utilisent le Coran et la Sunna (loi orale) pour leurs propres objectifs ne génèrent que des mensonges… Tous les musulmans, chrétiens et juifs devraient créer un front commun pour lutter contre le fanatisme, la haine et la prolifération de l’ignorance qui se propagent au nom de la religion. »

Suite à la mort atroce du jeune poissonnier, de nombreuses protestations se sont rapidement répandues contre le pouvoir central tout en scandant des slogans nationalistes berbères et en brandissant des drapeaux amazigh (berbères) et des bannières anti-corruption. Soulignons que la région d’Al-Hoceima souffre depuis longtemps d’une crise économique profonde avec un nombre considérable de chômeurs, plus de la moitié de la moyenne nationale.

La région du Rif au Maroc est habitée principalement par des berbères qui souhaitaient leur indépendance depuis l’invasion espagnole.

Le Rif s’était auto-proclamé république indépendante en 1926. Depuis, il s’était révolté à quatre reprises contre le pouvoir royal, notamment sous le protectorat français, puis à l’époque de l’indépendance du Maroc et après dans les années 1980. A chaque fois, la répression des autorités marocaines fut sanglante et sans pitié.

Lors des émeutes lancées en 1984 par des étudiants rifains à Nador, Hassan II avait décidé d’exclure la région de tous les plans de développement. Soulignons que cette zone vit principalement de la culture du cannabis.

Mohammed VI s’était réconcilié avec les habitants de cette région berbérophone, et avait promis des plans de développement socio-économiques d’un montant de plus de 900 millions d’euros.

Suite aux nouvelles protestations, un nouveau chef contestataire émergea dans la foulée. Un technicien jusqu’alors inconnu du grand public, Nasser Zefzafi, 39 ans, est devenu le chef d’un mouvement de protestation appelé “Hirak” (Mouvement). Il réussit à rallier des milliers de membres mécontents de la politique du gouvernement central.

Les autorités ont accusé Zefzafi et ses partisans d’appartenir aux djihadistes et d’être des agents manipulés par le voisin algérien.

En conséquence, et sans surprise, le 29 mai 2017, Zefzafi et une quarantaine de ses supporters ont été arrêtés par la police, dans une mosquée locale, au moment où il commençait à prononcer un discours devant l’auditoire des fidèles. Accusé d’avoir « entravé la liberté religieuse », et considéré comme terroriste, Zefzafi a été transféré dans une prison de Casablanca et placé sous la responsabilité de la « Brigade Nationale de Police Judiciaire ». Le 29 mai 2017, le procureur général déclare que Zefzafi et ses compagnons ont été accusés de « porter atteinte à la sécurité nationale ». Selon le Droit marocain, ils pourraient encourir une peine de cinq ans de prison.

Depuis l’arrestation de Zefzafi, des protestations sont organisées quotidiennement à travers le pays et même dans des villes européennes, et notamment à Paris, devant l’ambassade du Maroc. Les manifestants exigent que Justice soit faite et demandent la libération immédiate et sans conditions de Zefzafi et de ses compagnons de route.

Depuis plusieurs années, le Maroc lutte pour maintenir la stabilité du régime, face à la montée en puissance des organisations djihadistes, Daesh et al-Qaïda, dont le but ultime est de provoquer le chaos au sein de ce royaume, proche de l’Occident et surtout de la France. Notons que le président Macron a effectué récemment une visite officielle et a promis au Roi de consolider les relations entre les deux pays.

Il est clair que le Royaume chérifien ne pourra céder à la protestation berbère et devra la réprimer. Cependant, face à la menace constante de l’islam radical, le gouvernement marocain a un intérêt primordial à adopter sans contrainte toutes les mesures nécessaires pour empêcher que des organisations djihadistes, internes et extérieures, comme les activités subversives algériennes par le biais du Polisario, et d’autres mouvements berbères de protestation, ne s’infiltrent dans le Rif pour déstabiliser le royaume en créant l’anarchie totale.

Jacques Neriah

 

 


Pour citer cet article : 

Jacques Neriah, « Protestations et vive tension au Maroc », Le CAPE de Jérusalem, publié le 22 juin 2017 : http://jcpa-lecape.org/protestations-vive-tension-maroc/