Pierre Mendès France, Israël et les Palestiniens

Freddy Eytan

Témoignage

Il y a juste 40 ans disparaissait l’homme d’Etat qui représentait la conscience de la République française. Durant plusieurs années, j’ai eu le grand privilège de le côtoyer et de m’entretenir avec lui sur l’avenir du peuple juif et d’Israël.

Toute sa vie, Pierre-Isaac-Isidore Mendès France a durement ressenti les flèches antisémites qui lui rappelaient insidieusement ses origines juives. Des origines qui n’a d’ailleurs jamais reniées, même s’il tenait à préciser que les préceptes de la religion lui étaient étrangers. Il me disait souvent : « Je suis bien entendu juif, mes enfants aussi. Je sens que les antisémites me considèrent comme juif, voilà la réalité. »

Les ancêtres de Pierre Mendès France, Juifs marranes, fuirent le Portugal, alors sous la férule de l’Inquisition. PMF a lui-même fait de longues recherches pour retrouver ses racines véritables depuis le 15ième siècle.

Par sa condition juive, PMF était particulièrement sensible au destin du jeune Etat d’Israël, auquel il se sentait lié indéfectiblement. A ce titre, il s’arrogeait le droit de critiquer la politique israélienne, persuadé que la véritable sécurité ne résidait ni dans les territoires ni même dans des frontières sûres et reconnues, mais dans les esprits et les cœurs. Je lui reprochais cette approche naïve en évoquant le terrorisme aveugle de l’OLP et la loi de la jungle au Moyen-Orient. Comment croire possible avant l’heure un modus vivendi entre Juifs israéliens et Arabes palestiniens ? N’était-il pas trop en avance sur son temps ?

Pierre Mendès France à la une du Time magazine-12 juillet 1954

Pierre Mendès France à la une du Time magazine-12 juillet 1954

Il me raconta qu’il avait visité la Palestine pour la première fois en 1939, alors qu’il servait dans les Forces aériennes libres de la Royal Air Force. Son premier voyage en Israël eut lieu en 1959. Il y retourna à plusieurs reprises mais tous les dirigeants travaillistes de l’époque le déçurent profondément. Golda, Dayan, Rabin et Shimon Pérès avaient peur, selon lui, de faire un geste courageux envers les Palestiniens. Il me confia un jour que c’était la première fois dans l’Histoire que des politiciens attendaient qu’on les viole pour faire des concessions. Claire allusion aux fortes pressions américaines exercées sur Israël, aujourd’hui encore.

Il ne comprenait pas pourquoi ils n’avaient pas cette même volonté farouche qui les animait dans les guerres.

Le Premier ministre israélien, Moshé Sharet prononce un discours en l'honneur de Pierre Mendès France- Jérusalem-1955.

Le Premier ministre israélien, Moshé Sharet prononce un discours en l’honneur de Pierre Mendès France- Jérusalem-1955.

Lova Eliav, le Secrétaire général du parti travailliste, était le seul à partager les opinions pacifistes de PMF et favoriser un dialogue avec des dirigeants palestiniens modérés tel qu’Issam Sartaoui.

Eliav deviendra la « colombe noire » de ses collèges. Il démissionna avec fracas du parti et créa avec le général de réserve, Mati Péled, un mouvement pour la paix avec les Palestiniens.

Pierre Mendès France accueillit à l'aéroport de Lod par les ambassadeurs d'Israël et de France: Yaacov Tsur et Pierre Gilbert-1964

Pierre Mendès France accueillit à l’aéroport de Lod par les ambassadeurs d’Israël et de France: Yaacov Tsur et Pierre Gilbert-1964

En janvier 1976, une centaine de personnalités israéliennes, la plupart de gauche, comme l’écrivain Amos Oz et le comédien Assy Dayan, le fils du général borgne, signèrent un manifeste appelant à la création d’un Etat palestinien au côté de l’Etat sioniste israélien. Cet appel fut l’effet d’une bombe dans l’opinion israélienne et française.

Pour collecter les fonds nécessaires, on s’adresse à Éric de Rothschild (fils d’Alain). Il a déjà donné « un coup de main » à la revue de la gauche New Outlook. Son oncle Edmond de Rothschild a également épaulé Nahum Goldmann, partisan de ce dialogue depuis de nombreuses années.

Pierre Mendès France et Christian Fouchet avec Shimon Pérès-Paris-1964.

Pierre Mendès France et Christian Fouchet avec Shimon Pérès-Paris-1964.

Qui mieux que Mendès France pourrait être le parrain du dialogue israélo-palestinien ? N’est-il pas l’homme de la situation ?

L’ancien président du Conseil est sollicité par les deux camps et œuvre avec habileté dans ce sens à partir de 1976 jusqu’à ses derniers jours.

Il était venu à Jérusalem pour informer Golda Meir et Rabin de l’évolution de ses démarches. Je l’ai rencontré à plusieurs reprises. Il m’informait sur l’état des négociations en cours et me demandait de passer certains messages. Bien entendu, je ne pouvais rien divulguer sur le contenu. C’est frustrant pour un journaliste mais je n’avais pas le choix.

Dans son modeste appartement 23 rue du Conseiller Collignon dans le XVIe arrondissement, PMF me racontait avec lucidité pourquoi il avait accepté de parrainer ces rencontres. Il était fort déçu des réactions indifférentes de la classe dirigeante israélienne. Il me dévoila qu’en avril 1969, moins de deux ans après la guerre des Six-Jours, il avait proposé discrètement au général Moshé Dayan d’aller au Caire pour parler de paix. Dayan me confirma cette démarche.

« Vous feriez un geste courageux et spectaculaire, l’adjura-t-il, si vous rencontriez Gamal Abdel Nasser et parliez devant le parlement égyptien du désir de paix d’Israël. On vous comprendrait, j’en suis sûr, faites ce beau geste avant que des milliers de personnes ne soient tuées dans une nouvelle guerre ». Dayan était prêt à faire ce grand pas vers la paix mais Golda Meir, mise au courant, rejeta catégoriquement l’initiative. Une première rencontre avec l’histoire était ratée.

Quelques années plus tard, juste après la guerre de Kippour de 1973, PMF avait demandé à Sadate de faire un geste spectaculaire en allant à Jérusalem parler de paix.

« Je me souviendrai de votre remarquable proposition », répondit le président égyptien qui, quatre ans après, était à la tribune de la Knesset. Trop tard, la « guerre du Ramadan » qu’il avait déclenché le jour du Grand pardon avait tué plus de 3000 soldats israéliens…

Avec les représentants palestiniens, Mendés France tenait le langage de la vérité pragmatique :

« Vous ne pourrez jamais détruire l’Etat sioniste des juifs ; l’Etat hébreu est un fait, une réalité que vous devez reconnaître, et plus vous tardez à le reconnaître, plus il vous sera difficile de créer votre propre Etat à côté d’Israël ». 

Arafat répondit qu’il n’avait qu’un seul atout : ne reconnaître Israël qu’en dernière extrémité. Sur ce point, je défendais la position israélienne en lui prouvant qu’Arafat est un menteur inné dont le but est de créer un Etat palestinien de la « mer au fleuve ». Il demeurera un chef terroriste jusqu’au bout sans abroger sa charte.  

PMF poursuivra son action de médiateur et ne cessa de se dévouer à la cause de la Paix qu’il considérait comme une mission sacrée.

« La France, disait-il aux dirigeants israéliens, a été ruinée par ses colonies d’Afrique du Nord et d’Indochine ; votre petit pays ne pourra pas longtemps faire face à une occupation continuelle ». Sur ce point aussi, je ne partageais pas cette comparaison car la France colonialiste n’était pas en danger d’existence. Elle est située à des milliers de kilomètres…  Comment dire aussi que Jérusalem est occupée par des Juifs ? Notre capitale est-elle une colonie ?

Mendés France critiqua souvent la position française au Proche-Orient et n’avait pas souhaité que l’Elysée fût mis au courant de ses initiatives.

Les rencontres discrètes à Paris n’étaient en fait qu’un secret de polichinelle. Les agents de la DST ne lâchaient pas d’une semelle les participants à ce dialogue et fournissaient aux autorités compétentes des rapports détaillés. Les fonctionnaires du Quai d’Orsay suivaient avec beaucoup d’intérêt ces tentatives de rapprochement entre Palestiniens et Israéliens. Par la suite, ils exploiteront le fait que Paris serve de lieu de rencontre pour justifier leur politique.

Ces jours-ci, le Président Emanuel Macron a rendu un hommage exceptionnel à Mendes France…Va-t-il suivre les pas de PMF, relancera-t-il le dialogue ? Servira-t-il comme intermédiaire avec la bénédiction de Yair Lapid ?   

La première rencontre historique entre Israéliens et Palestiniens eut lieu en juillet 1976 dans la résidence de PMF à Nîmes.

Connaissant à fond le dossier palestinien, PMF démontra à la délégation palestinienne dirigé par Sartaoui qu’Arafat se trompe en niant l’existence de l’Etat d’Israël et dira calmement : « vous ne pourrez jamais détruire l’Etat des juifs et créer comme vous l’écrivez dans votre charte un Etat démocratique et laïc. »

Les discussions furent longues et passionnées et Mendès France poursuivit le dialogue et sa médiation avec acharnement et conviction. PMF dira aux Palestiniens que les pays arabes du Maghreb comme la Tunisie et le Maroc ont été beaucoup plus intelligent et sages. Ils ont obtenu leur indépendance malgré toutes les difficultés.

D’ailleurs PMF demanda au président Bourguiba d’intervenir et lui proposa d’accueillir dans son palais de Carthage des Israéliens et des Palestiniens.

Aujourd’hui encore je me pose la question comment l’homme qui dirigea la France pendant 7 mois seulement, avait réussi à accomplir durant sa vie autant d’actions et de missions à priori impossibles. Pour Mendès France, la démocratie est un état d’esprit et pour gouverner l’essentiel et de prévoir.

J’admirais son combat pour la France libre, pour les valeurs de la République, pour la justice universelle et les grandes causes. J’appréciais le courage exemplaire, l’audace et la volonté de fer, la sincérité et la franchise. Je l’aimais comme on aime, selon la tradition juive, un maître.

Je médite aujourd’hui encore sur ses belles paroles : « C’est l’heure de voir clair, c’est l’heure de choisir et de vouloir. »