Négliger la stratégie du Hamas aura un prix élevé
Le 21 janvier dernier, Ehud Barak, le ministre de la défense, a donné une longue interview à la télévision israélienne. Au cours de cette émission, il a commenté certains aspects de la récente campagne militaire à Gaza. À plusieurs reprises Barak a insisté sur le fait que les forces de la défense d’Israël avaient réalisé tous leurs objectifs au cours de l’opération Plomb Durci contre le Hamas et qu’elles avaient retrouvé leur capacité de dissuasion. Quand Ayala Hasson, qui conduisait l’interview, l’a interrogé au sujet de telle ou telle politique gouvernementale qui aurait rendu inévitable l’invasion de Gaza par Israël, Barak fit obstruction. Il refusa d’établir un lien avec ce qui s’était passé avant, déclarant qu’il était désireux de s’en tenir à envisager l’avenir. En répétant qu’Israël avait réalisé ses objectifs au cours de l’opération Plomb Durci, Barak se dispensait de dire quels étaient exactement les objectifs de l’armée.
Le comportement de Barak a rappelé à l’auteur de ces lignes son mandat de premier ministre durant l’été 2000, au moment de l’échec des conversations de Camp David et de l’éclatement de la deuxième Intifada. Il utilisait à l’époque un autre mantra : “il n’y a pas de solution militaire. Il ne peut y avoir qu’un règlement politique.” Avec souplesse, Barak persuada tout son cabinet de reprendre sa chanson, comme les animaux de basse-cour de La ferme des animaux de George Orwell. Dans les deux dernières semaines, Barak a ajouté un nouveau slogan à son répertoire : “Le Hamas n’a jamais reçu un coup aussi sévère ! “
Le fait que le ministre de la défense et d’autres ministres du gouvernement choisissent d’esquiver les grandes questions reflète un manque de pensée critique et la poursuite de priorités inadéquates. De fait, c’est là un des problèmes que la Commission Winograd a essayé de traiter après la seconde guerre du Liban de 2006. Bien que la qualité de l’armée se soit considérablement améliorée au cours des deux dernières années, il est évident que les dirigeants d’Israël n’ont pas comblé leurs lacunes. Ils ne saisissent pas, tout simplement, que l’objectif du Hamas est de détruire Israël et que, si ce mouvement n’est pas entravé le plus précocement possible, il deviendra une menace beaucoup plus sérieuse à l’avenir. Leur pensée ne reflète pas une vision stratégique ni la conscience du défi que pose la guerre révolutionnaire sous ses formes politiques et militaires.
Dans une optique d’entreprise et de prise de décision, la menace de Hamas constitue un problème auquel il faut trouver une solution sur la durée.
De plus, nous devons nous demander pourquoi le gouvernement n’a pas recherché une solution durable à ce défi, au lieu d’improviser et de s’employer à “acheter du calme” pour le court terme. En bref, il nous faut nous demander pourquoi le gouvernement n’a pas obtenu une victoire décisive sur son ennemi mortel, le Hamas soutenu par l’Iran.
Au delà du fait que le gouvernement ne s’est pas assuré les avantages d’une victoire décisive, il n’a pas non plus réduit le Hamas à un état de démoralisation et de désespoir, qui est un aspect crucial de la victoire. De nombreux soldats et grands théoriciens militaires ont décrit l’importance “de la dimension morale,” et du moral. Par exemple, Napoléon disait que “le ‘moral’ est au physique ce que trois est à un.” Plus récemment, Ariel Sharon, un des grands généraux d’Israël, étendait ce principe. Décrivant les débuts de sa carrière, il exposait les buts psychologiques qu’il avait l’intention de réaliser par l’usage de la force armée :
Au cours de ces années, mes idées sur la fonction de ces opérations [l’unité 101 de parachutistes] ont aussi changé. J’en suis venu à considérer leur objectif non pas simplement en termes de revanche ou même de dissuasion au sens habituel. Il fallait créer chez les Arabes une psychologie de défaite, les battre chaque fois et les battre d’une façon tellement décisive qu’ils s’imprègneraient de la conviction qu’ils ne pourraient jamais gagner.
Quand j’en ai été conscient, notre objectif a été ensuite de neutraliser le désir des Arabes de nous faire la guerre, d’anéantir leur volonté de combattre. C’est cela, et non les représailles en soi, qui était le but final des opérations de parachutistes, un but dont j’ai compris qu’il faudrait un bon moment pour le réaliser. Mais avec des voisins voués à nous causer tous les dommages possibles dans la mesure de leurs moyens, je ne pouvais pas, pour ma part, concevoir d’autre résolution… (1).
Quand le gouvernement Olmert-Livni-Barak a achevé l’opération Plomb Durci sans victoire, il a renoncé à l’avantage moral. On peut en trouver la preuve dans le fait que le gouvernement est maintenant engagé dans des pourparlers indirects avec le Hamas pour un nouveau cessez-le-feu. Le Hamas dispose toujours d’une force suffisante pour négocier, pour poser ses conditions et avancer ses exigences. Pour aggraver la situation, des personnalités comme Tony Blair suggèrent que le Hamas soit considéré comme l’une des parties de tout arrangement avec les Palestiniens. Une chose est sûre : l’incapacité d’Israël de faire le nécessaire pour obtenir une reddition sans conditions signifie que nous n’avons acquis qu’une trêve provisoire. Puisque le véritable objectif de l’ennemi est d’infliger une défaite à Israël, le Hamas reprendra la guerre avec de nouveaux alliés et des armes plus sophistiquées, le jour qui nous sera le plus défavorable.
Pour le Hamas, ce qui était indispensable pour vaincre, c’était de survivre. Le Hamas a revendiqué la victoire, et dans un sens c’est justifié. La majorité des ses chefs et de ses combattants sont sortis de leurs repaires vivants et en bon état. Dans ce type de guerre, la survie est l’objectif le plus important de l’ennemi. Selon le président Mao, la survie est le premier objectif de tout mouvement de guérilla et de toute organisation qui engage une guerre révolutionnaire (2).
En outre, Israël a perdu une occasion de secourir la population de Gaza. En raison de son incapacité d’offrir une alternative politique au Hamas, la population de Gaza continuera à dépendre de cette organisation. La capacité laissée au Hamas de diriger la reconstruction de Gaza et de répartir les responsabilités lui fournira un excellent moyen de se rétablir et de consolider son emprise politique sur la population.
L’analyse de la situation actuelle indique clairement que la réponse du gouvernement était insuffisante. A longue échéance, Israël devra payer le prix de la décision de ses dirigeants d’opter pour un arrangement rapide, au lieu d’une solution qui aurait mieux assuré la sécurité d’Israël sur la durée.
par Joel Fishman, pour Makor Rishon
Traduction: Objectif-info
1 – Ariel Sharon, avec David Chanoff, Guerrier, une Autobiographie (New York : Simon et Schuster, 1989) : 120.
2 – Mao Tse-Toung, “Le principe fondamental de la guerre est de se préserver et de détruire l’ennemi,” chapitre II des “Problèmes stratégiques de la guerre de guérilla contre le Japon,” mai 1938, extrait des Oeuvres choisies de Mao Tse-Toung (Pékin : Presse des Langues Étrangères, 1967), II : 81.82.