Menahem Begin – La révolte pour la paix
« La guerre, c’est la guerre des hommes ; la paix, c’est la guerre des idées. » Victor Hugo
Paris, hiver 1948. Un petit homme aux allures de professeur se dirige vers l’hôtel Royal Monceau. Il pénètre dans la grande salle où se réunissent des membres de la Résistance juive. Tous se lèvent pour saluer avec déférence le nouveau venu. Celui-ci incline la tête et invite l’assistance à se rasseoir. On peut s’étonner de l’autorité qui se dégage de lui, car rien dans son apparence ne révèle le meneur d’hommes. De temps à autre, il rajuste des lunettes rondes aux épais verres de myope, qui lui glissent sur le nez. Une grosse moustache noire rend encore plus proéminente sa lèvre supérieure et accentue la pâleur de son teint.
L’homme se lève de son siège, et le silence plane sur la salle. Dés qu’il prend la parole, d’une voix chaude bien timbrée aux accents chantants, il impressionne ses auditeurs qui réalisent maintenant toute l’importance de cet homme. Son nom est Menahem Begin.
Il est né le lundi 16 août 1913 à Brest-Litovsk, en Russie. La sage- femme qui le mettra au monde était… la grand-mère d’Ariel Sharon…L’enfant mince et fragile grandira dans un cadre modeste et étudiera la Thora, comme tous les juifs de l’Est de l’époque. A l’age de 13 ans, il prononce son premier discours en hébreu et révèle son grand talent d’orateur. Il adorait les mots, conscient que les phrases justes et bien prononcées possèdent un pouvoir extraordinaire, magique. Son éducation a été imprégnée
d’un mélange de tradition, d’histoire juive et d’un fervent nationalisme sioniste. Le jeune Begin poursuit ses études à Varsovie. En dépit de la vague antisémite, il est l’un des rares juifs à être admis au lycée laïc puis à l’université. Il étudie le Droit et le latin. Dans ses discours, il citera avec plaisir et fierté des proverbes en langue latine. Son éducation polonaise le marquera beaucoup. Elle influera son comportement, ses manières de politesse, son respect pour autrui et sa révérence pour les femmes, un véritable gentleman. C’est à Varsovie, berceau de l’esprit national, de la discipline militaire et l’amour de la patrie qu’il fait ses premières armes. Dés l’âge de 7 ans, il joue aux échecs. Ce talent lui fut plus tard d’une grande utilité. Il réfléchit longtemps avant de bouger un pion, un cheval ou un fou. Chaque pas était bien calculé. Chaque coup créait une situation nouvelle. Chaque manœuvre était habile et sa tactique toujours adroite et élégante. Il réussissait à mettre son adversaire en difficulté, en position difficile, et souvent il le prenait au piège et enfin le tenait en échec. Begin était un excellent joueur et adorait les compétitions, mais il n’a jamais été un sportif. Menu et fragile, il préférait plonger dans la lecture des livres et les dictionnaires.
A l’age de 17 ans, il est témoin avec son père, Dov Zéev, d’un incident qui le marque pour longtemps. Il voit comment des soldats polonais battre sauvagement un rabbin qui marchait tranquillement dans la rue. Au moment où ils veulent lui raser la barbe, son père intervient, prend sa canne, et frappe les agresseurs de toutes ses forces.
Dov Zéev est battu à son tour. Couvert de meurtrissures, il est jeté en prison. En sa qualité de président de la communauté juive, il est relâché quelques heures plus tard, et sans caution. Le jeune Begin a vu la scène et grince des dents. La rage au cœur, il dit à son père : « Je suis fier de ton courage. Nous devons nous défendre par tous les moyens et je suis avec toi dans ce combat. »
Membre passif du mouvement de jeunesse socialiste, Hashomer Hatsahir, le jeune Menahem passe le jour même aux activités du Bétar. Ce mouvement nationaliste symbolise un combat inlassable, une lutte héroïque. Bétar est aussi cette célèbre forteresse où les Juifs ont combattu comme des lions contre la domination romaine. Sans gommer leur passé, 16 siècles plus tard, toujours sans patrie et vivant encore dans la diaspora, les Juifs réalisent que la révolte contre l’occupant de la Palestine, devient une action impérative. Begin apprend à se défendre et à sauver son honneur. Ses camarades non-juifs le respectent et il en est fier. Cette ligne de conduite, il l’appliquera avec fermeté, quelques années après, dans son comportement avec les Arabes et les Palestiniens. Il demeurera intransigeant !
Sa rencontre avec le dirigeant du Betar, Zéev Jabotinsky est déterminante pour la carrière du jeune Menahem. Jabotinsky, est l’inspirateur, le mentor, le chef spirituel, le rabbi, le leader incontesté. Jabotinsky devient une véritable idole et Begin cultive le culte aveugle de sa personnalité. Il l’admire et le vénère de tout son cœur et de toute son âme, parfois d’une manière qui frôle l’obsession. Il suit ses pas sans conditions, imite ses gestes et ses discours et dirige avec lui le mouvement Bétar. Ils glorifient le drapeau, l’hymne et la patrie au garde-à-vous et appliquent une discipline de fer à l’instar d’une organisation paramilitaire. Une nouvelle génération de juifs combattants est née. La révolte gronde dans les coeurs.
Les activités du Bétar prennent de l’ampleur dans toute la Pologne. A l’époque, y vivent plus de 3 millions de juifs et les autorités locales ne peuvent admettre des réunions de propagande sioniste. Jabotinsky et Begin ressentent déjà des courants de nationalisme et d’antisémitisme provenant de l’Allemagne d’Hitler et ils adjurent les Juifs de Pologne de quitter ce pays avant qu’il ne soit trop tard. Jabotinsky lance un cri d’alarme : « Quittez la diaspora avant qu’elle ne vous élimine ! supplie t-il de toutes ses forces. Cependant, le peuple juif ne peut croire à l’approche du danger et son avertissement n’est, hélas, pas entendu.
En 1937, Begin est arrêté par les autorités polonaises pour avoir lancé des appels à une révolte armée en Palestine contre l’occupant britannique. Après avoir purgé six semaines dans la prison de Pawiak, il rencontre pour la première fois sa future femme : Aliza Arnold. Ils se marieront selon la tradition juive et en présence de Jabotinsky.
En 1939, Begin tente de sauver des juifs de Pologne et organise l’exode avec la complicité des autorités.
Il réussira à regrouper 1500 membres du Bétar pour les emmener illégalement en Palestine. Il échouera. Ce convoi sera arrêté à la frontière roumaine.
En septembre 1940, Zéev Jabotinsky meurt à New York à l’âge de 60 ans. Le Bétar plonge dans le deuil. Begin, le dauphin, deviendra le nouveau chef du mouvement révisionniste.
Quelques mois plus tard, Begin est arrêté à Wilno, cette fois par les soviétiques. Il est accusé pour ses activités « en faveur de l’impérialisme britannique» (sic). Des policiers l’arrêtent au moment où il joue une partie d’échec avec l’ancien secrétaire de Jabotinsky, Israël Eldad.
« La partie est reportée. Bien que tu aies l’avantage, je te promets de revenir. Je suis curieux de savoir qui de nous deux déclarera : échec et mat», dit Begin cyniquement à son ami Eldad. Avant de partir au commissariat de police, il prend avec lui deux livres : la Bible et « la vie de Benjamin Disraeli ».
Après avoir purgé quelques semaines dans la prison de Lukhiski et subi une série humiliante d’interrogatoires, « cet homme dangereux de la société » est condamné à 8 ans de travaux forcés et sera envoyé à la prison Petchora au nord de la Russie. En juin 1941, Begin est relâché. Les Allemands tentent d’envahir le territoire russe.
A sa sortie de prison, il apprend la terrible nouvelle : ses parents, Hassia et Dov Zéev ont été tués par les nazis.
Menahem Wolfovitch Begin, décide de se battre et se mobilise dans le cadre de l’armée polonaise libre. Il fait partie du régiment du général Anders qui a pour mission de se rendre un jour… en Palestine.
13 mois après, Menahem Begin foule pour la première fois le sol d’Eretz Israël. Un nouveau combat commence dans la clandestinité pour le chef incontesté du Etsel : l’Irgoun Tsvai léumi, c’est à dire : l’Organisation militaire nationale.
En Palestine, la tête de Begin est mise à prix et il est recherché par la police britannique.
Les services de Renseignements M6 le suivent partout : en Israël, en France et aux Etats-Unis. La poursuite est acharnée et invraisemblable. Une chasse à l’homme sans relâche. Elle durera plusieurs années, même après la création de l’Etat d’Israël. Dans le dossier confidentiel numéro 94 495, nous pouvons lire : Menahem Begin est un homme dangereux pour la Grande Bretagne ; un terroriste, un gangster et un espion pour le solde de l’Union Soviétique…
Certains leaders de la Haganah, dont Teddy Kollek, collaborent avec les Britanniques pour dénoncer les activités de Menahem Begin. La haine entre les deux composants de la clandestinité juive est si féroce que cette connivence avec les autorités britanniques contribue à créer des indicateurs de police, des mouchards qui dévoilent les endroits retirés, les cachettes et les intentions de Begin et des militants du Etsel.
Opposé farouchement à la Haganah socialiste, Begin est aussi écarté des commandes du pays par David Ben Gourion. Une lutte acharnée est désormais déclenchée entre ces deux grands leaders sionistes. Cette rivalité impitoyable se déroule sur le devant de la scène, au moment même où le peuple juif fuit les camps de la mort d’Europe, et où en Palestine, il combat pour sa survie et son indépendance contre l’occupant britannique mais aussi contre les Arabes.
Le 1er février 1944, Begin publie un manifeste intitulé : la Révolte ! Publié clandestinement en milliers d’exemplaires, cette proclamation est affichée sur les murs de Tel-Aviv, Jérusalem et Haïfa. Elle appelle « le peuple hébreu de Sion à tirer les leçons de l’holocauste et à lancer une guerre contre l’Angleterre, jusqu’à la fin de l’occupation. Nous exigeons que la souveraineté de la terre d’Israël soit transférée immédiatement à un gouvernement hébreu provisoire ! »
L’objectif de Menahem Begin est clair et direct. Le combat contre les Anglais est engagé par tous les moyens et tous azimuts.
Un grand défi à relever contre le Lion Britannique. Les membres du Etsel lèvent la tête et sont fiers de leur chef charismatique. Ils obéissent comme un seul homme à l’appel de la révolte. Une série d’attentats déferle sur le pays et choisit pour cibles « des points vitaux de l’ennemi », des bases administratives, militaires et stratégiques. Begin et ses amis entrent dans la résistance active.
Plusieurs années plus tard, j’interroge Menahem Begin sur la comparaison que l’on fait, encore aujourd’hui, entre lui et les chefs palestiniens. « Nous ne sommes pas des terroristes ! s’exclama-t-il en colère. Ni par la structure de notre organisation, ni par nos méthodes de guerre, ni par notre mentalité, nous n’étions un groupement terroriste. La violence physique n’est pas notre but, ni notre credo. En réalité, notre but était de combattre l’oppression et l’asservissement. Nous étions déterminés à libérer notre peuple de son grand mal : la peur ! »
Begin nous rappela que l’origine historique du mot terreur, pris dans son acceptation politique, prouve qu’il ne peut pas s’appliquer à une guerre révolutionnaire de libération. Une révolution peut déclencher la terreur comme ce fut le cas en France après 1789. La terreur peut aussi être un but provisoire comme on l’a vécu en Union Soviétique. Cependant la révolution n’est pas la terreur, et la terreur n’est pas la révolution. »
Dans le cadre de mes activités, j’ai eu le privilège de rencontrer, plusieurs fois, Menahem Begin et nous avons évoqué de nombreux sujets mais mes questions sur le « terrorisme » que pratiquait
l’Etsel, l’irritaient à chaque fois.
Pour acheter des armes, Begin a envoyé des agents du Etsel en Europe et en particulier en France. Au printemps 1948, l’Etsel réussit à acheter un bateau rebaptisé Altalena, nom de plume de Zéev Jabotinsky. Il doit transporter de nouveaux immigrants. Mettant à profit l’offre généreuse de la France, Menahem Begin décide de prendre également des armes en fret.
Le 9 juin 1948, dans le plus grand secret, le matériel est chargé à Port-de-bouc ; quarante-huit heures plus tard, l’Altalena lève l’ancre pour la Palestine, avec à son bord 853 immigrants. Ce jour- là, les Nations Unies imposent une trêve.
Ben Gourion interdit à Begin de décharger la cargaison sinon : « je donnerai l’ordre d’ouvrir le feu. Il n’y aura pas deux Etats et deux armées ! »
C’est une véritable déclaration de guerre, prononcée quelques semaines seulement après la proclamation de l’Etat d’Israël. Ben Gourion n’hésite pas à prouver une fois encore son autorité, même s’il faut pour cela tirer sur ses frères juifs.
Begin ne cède pas et ne croit pas que le chef du gouvernement provisoire mettrait son avertissement à exécution. Il se trompe.
L’ordre est déjà donné. Scène de cauchemar : des rescapés de la Shoah tirent les uns sur les autres au cœur de Tel-Aviv, rue Hayarkon. Plusieurs obus sont tirés sur l’Altalena. Le bateau est touché et coule. Le pire est donc arrivé. Les passagers et l’équipage tentent de prendre la fuite en se jetant à la mer. Begin est fou de rage : accroché sur le pont, il ne quittera le navire en flammes que le tout dernier, en capitaine courageux. Le bilan est lourd : seize Juifs tués et une trentaine de blessés. Ben Gourion a gagné cette bataille au risque d’entraîner une guerre civile. Elle n’aura pas lieu. Le chef du gouvernement, entêté, n’a jamais manifesté aucun regret quant à cette affaire devenue tristement célèbre. Mais ce grave incident hantera Begin jusqu’à la fin de ses jours. Il dira souvent « jamais je ne permettrai qu’un Juif tire sur un autre Juif ».
Dans son bureau, face à la fameuse photo d’un enfant juif, les bras levés en signe de reddition, effrayé par la menace d’un soldat allemand, il m’expliqua ses convictions profondes d’être au service du peuple juif et de l’Etat d’Israël.
Dans les combats pour l’indépendance, il ne voulait pas aggraver la situation et faire ainsi le jeu des Arabes acharnés à anéantir Israël, et des Anglais trop heureux de se venger. Il me rappelle que les luttes intestines ont été la cause de la destruction du second Temple de Jérusalem.
« Il ne faut pas retomber dans les mêmes erreurs, après tant de siècles de souffrances, d’exil et de dispersion. Les questions de prestige personnel », dit-il, «sont trop futiles en regard du but sacré de la Rédemption du peuple juif, qui doit prouver sa maturité et sa grandeur à tous les peuples du monde. »
Il est visible que cet homme a souffert dans sa chair et qu’il assume les misères de son peuple.
Après l’affaire d’Altalena, Begin comprend que seule la voie démocratique pourrait aboutir à un changement de pouvoir.
Il fonde un nouveau parti, le Herout, et obtient 14 sièges aux premières élections législatives du 25 janvier 1949.
En 1952, Begin mène une nouvelle bataille contre Ben Gourion au sujet des réparations allemandes aux victimes de la Shoah. Les manifestations dans les rues et les débats houleux à la Knesset provoquent une suspension de ses activités au parlement pendant 3 mois. Begin est un chef d’opposition acharné et incorruptible qui combat sans complaisance la politique des travaillistes. Ben Gourion tente de l’ignorer et quand il s’adresse à lui de la tribune de la Knesset, c’est toujours sous l’appellation : « le député assis à côté du docteur Bader ». Begin, agacé, garde le sourire. Il est farouchement opposé à la politique de Ben Gourion mais admire son charisme et apprécie ses flèches souvent insidieuses.
Une semaine avant la guerre des Six jours de 67, il va le voir dans son kibboutz et se réconcilie avec lui. La situation est extrêmement grave et les deux hommes décident de mettre leurs querelles au vestiaire. Après trois années au sein d’un gouvernement d’Union nationale, Begin quitte le gouvernement de Golda Meir car elle a accepté le plan Rogers américain qui exige la formule « territoires contre paix », impliquant un retrait partiel du canal de Suez.
Suite aux conséquences des défaillances de la guerre de Kippour de 1973, Begin augmente le nombre des sièges de son parti mais ne réussit pas à gagner les élections du mois de décembre 73. Sa traversée du désert dans l’opposition se poursuit encore quatre longs hivers jusqu’au soir…du mardi 17 mai 1977 à 23 heures où l’homme de l’Altalena devient le sixième Premier ministre de l’Etat d’Israël.
A l’age de 64 ans, après des années de lutte clandestine et 29 ans dans l’opposition, le leader le plus controversé de la planète a finalement réussi à atteindre les honneurs du sommet politique. Désormais, c’est lui qui dirige Israël et détiendra la clé de la paix du Proche-Orient et par conséquent, celle du monde. Sa victoire met fin au pouvoir de la machine travailliste et redonne un grand espoir aux couches sociales défavorisées qui ont voté massivement pour la droite de Menahem Begin. C’est un tremblement de terre sur l’échiquier politique ; une grande incertitude naît dans les capitales du monde sur « les intentions belliqueuses » du nouveau Premier ministre israélien.
Radieux et les larmes aux yeux, Begin prononce le discours de la victoire et adresse ses premières paroles à son épouse Aliza : « Mes premiers remerciements iront à ma chère femme, à laquelle s’appliquent ces mots bibliques éternels : « Je me souviens de toi, de l’amabilité de ta jeunesse, de l’amour de nos fiançailles, lorsque tu m’as suivi dans le désert » à quoi j’ajouterai : semé de mines »… Begin fait un large sourire et timidement baise la main de son épouse, tel un gentleman polonais. Grande émotion dans la salle et salves d’applaudissements ; le discours fleuve reprend en accentuant sur les raisons du tournant historique.
Puis se retournant vers les journalistes, connus pour leurs opinions de gauche, il dit :
« Je remarque dans cette salle, des honorables gens de la presse. Ils ont tous l’air triste. Je ne comprends pas pourquoi ? » Eclat de rire et tonnerres d’applaudissements.
Le lendemain, une conseillère américaine en communication débarque à Jérusalem et va voir madame Aliza Begin :
« Je suis venue vous conseiller pour que votre mari soit à la page. Il devrait changer de costume, de cravate et porter des lunettes de marque. Croyez moi, plusieurs présidents, dont celui de la France, sont ravis de mes conseils et enchantés du changement.»
« Chère madame, je vous remercie du bon conseil. Je connais parfaitement mon mari. S’il change de look, eh bien, il ne sera plus le même. Il préfère rester Menahem Begin, l’original… »
Menahem, Aliza l’épouse, et leurs trois enfants, ont vécu durant plus de trente ans, dans un modeste appartement hypothéqué et en location, 1 rue Rosenbaum à Tel Aviv.
Humble, Begin se contente de peu. Il porte sans gêne et impeccablement, son vieux complet foncé et sa cravate classique. Il n’a dans son placard, modeste, que 2 costumes et 3 cravates et il se moquait éperdument du fait que ces vêtements ne soient pas du dernier cri…
Un jour, un journaliste de la BBC, souhaite l’interviewer mais exige préalablement, que Begin arrive au studio avec un costume bleu foncé, une chemise bleu marine et une cravate assortie.
« S’il ne les possède pas, ce n’est pas si grave, la BBC est prête à lui acheter un complet très chic.», suggère le journaliste, avec prétention, au conseiller de Begin.
Vexé, le conseiller israélien refuse net. Begin se présente dans les studios de télévision, en chair et en os, mais vêtu de son costume fripé. Jamais il n’acceptera de recevoir un présent ni aucune faveur de qui que se soit.
J’ai rencontré Begin quelques semaines avant sa victoire.
Il était à Paris après avoir rencontré à Washington des hommes politiques de l’administration américaine. Je l’avais interviewé longuement pour le journal L’Aurore, dirigé à l’époque par un fervent ami d’Israël, Roland Faure. Begin était enchanté car il avait une grande admiration pour ce journal français qui publia le fameux « J’accuse » d’Emile Zola pendant l’affaire Dreyfus. Depuis son adolescence, Begin aime la France : « Je l’aime de tout mon âme et mon coeur», dit-il, ajoutant tout aussitôt : « la France n’est certes pas ma seconde patrie. Je n’ai qu’une patrie : Eretz Israël ».
Begin aime la France pour son esprit de justice et il parle de sa grandeur avec des accents de profonde sincérité. La France est sur la voie du progrès de l’humanité depuis la Révolution de 1789 ; tous les peuples du monde cherchent depuis lors à conquérir ces droits : la Liberté, l’Egalité et la Fraternité.
Le 14 juillet symbolise pour lui la libération de l’homme, et surtout de l’homme juif. Depuis 1948, il a visité Paris à maintes reprises et a effectué plusieurs voyages privés en France. Il a rencontré tous les hommes politiques français et au sujet des territoires, le général De Gaulle lui avait dit : « Et surtout ne quittez pas Gaza ! » Quand je lui rappelai que De Gaulle était l’homme de l’embargo et de sa célèbre phrase tristement célèbre sur le « peuple d’élite sûr de lui et dominateur », il me répondit avec le sourire : « C’est vrai, je ne le nie pas. Je me suis toujours demandé comment on pouvait être neutre dans de telles circonstances quand notre peuple était menacé de génocide. C’était une erreur grave de sa part. Cependant, nous ne pourrons jamais oublier non plus que De Gaulle avait levé l’étendard de l’honneur et de la liberté. Concernant cette phrase, je ne sais pas si elle était tellement méchante envers nous ; j’irai même jusqu’à croire qu’elle exprimait plutôt l’admiration et la déférence. »
Lors de cette interview, j’interrogeai Menahem Begin, alors dans l’opposition, sur « la campagne de paix du président Sadate ».
Il me répondit : « Il est vrai que plusieurs personnes qui ont rencontré Sadate sont sorties de ces entretiens avec une bonne impression. Mettons les choses au point. Sadate parle soi-disant de paix mais il cache à ses interlocuteurs son véritable but qui est d’ailleurs le but des autres leaders arabes : une paix sans Israël. Nous, par contre, nous désirons une paix véritable entre Israël et les pays arabes. Un accord de non-belligérance suggéré par Sadate nous rappelle la période des années 30. Selon l’expérience de l’Histoire, il est certain qu’un tel accord n’offrirait aucune paix à Israël ».
Menahem Begin s’est bien trompé sur les véritables intentions de Sadate. Une fois au pouvoir, il changea de cap et dirigera Israël vers la paix.
Le 19 novembre 1977, Begin et Sadate bouleversent l’échiquier du Proche-Orient. Ils décident avec courage et détermination de faire tomber le mur de la haine et de la violence et de poser définitivement les armes. La politique-fiction se réalise en plein jour devant des millions de téléspectateurs de la planète. Le président égyptien débarque en grande pompe à Jérusalem et adresse de la tribune de la Knesset un message de réconciliation et de paix. Il a fallu attendre 30 ans pour mettre fin à ce conflit qui a coûté la vie à 80 000 égyptiens et 14 000 israéliens, et qui a ruiné les économies de ces deux pays voisins. Begin fera des concessions douloureuses et restituera toute la péninsule du Sinaï aux égyptiens. Pour la noble cause de la paix, il rasera de la carte toute présence israélienne dans le Sinaï dont le village de Yamit.
L’homme qui a défendu le grand Israël, celui qui critiqua violemment la politique de ses prédécesseurs est désormais le diplomate chevronné qui aboutira à la signature du traité de paix avec le plus grand pays arabe. Pour leur persévérance et leur courage exemplaire, Sadate et Begin obtiendront le prix Nobel de la Paix. Un prix bien mérité.
Cependant, la paix avec l’Egypte n’a pas réglé, comme on pouvait l’espérer, le problème crucial avec les palestiniens et Begin a commis une grave erreur historique en gardant la bande de Gaza qui était jusqu’en 1967 aux mains des Egyptiens. Dans le cadre des négociations avec Anouar el Sadate, la question a été certes soulevée mais le Premier ministre aurait dû insister sur la restitution de tous les territoires égyptiens, voire, la péninsule du Sinaï et la bande de Gaza. Cette erreur aura des conséquences graves sur le problème palestinien et compliquera la solution.
Dans l’attente, Menahem Begin est inquiet de la fourniture d’une centrale nucléaire française à l’Irak de Saddam Hussein.
Il me dira un jour : « C’est un nouveau génocide qui se prépare. » Il nous racontait qu’il ne dormait pas assez les nuits car une succession d’images atroces défilaient devant ses yeux. Des milliers de jardins d’enfants réduits en cendres. Un champignon colossal qui s’élève dans le ciel, effaçant villes et villages. Des ponts qui s’écroulent, de la ferraille tordue, des brasiers. Le livre 1984 de George Orwell l’obsédait. Les bombes atomiques tueraient beaucoup d’enfants. Pendant l’Holocauste, le peuple juif a perdu un million et demi d’enfants. Ce peuple perdra-t-il maintenant encore des dizaines de milliers de jeunes innocents ? Il faut agir et très vite. Eviter le désastre.
Après plusieurs nuits de sommeil agité, aux premières heures de l’aube, Begin, dans sa chambre, debout sur sa jambe fragile, suite à une fracture au col du fémur, appuyé sur sa canne et tout frémissant, prend la résolution d’éliminer sans délai cette terrible menace.
Dans le plus grand secret les préparatifs commencent dans le Néguev. Huit avions F16, qui étaient à l’origine destinés à être vendus au Shah d’Iran, sont utilisés pour cette opération. Le chef d’état-major, Rafoul Eytan, endeuillé la veille par la mort de son fils pilote, intervenue lors d’un accident aérien, supervise en vol les répétitions en simulation. Avant le décollage pour la mission réelle et historique, il dira crûment aux pilotes avec une humeur débonnaire :
« Si vous êtes fait prisonniers, dites tout ce que vous savez. Vous croyez en savoir beaucoup mais vous ne savez rien. J’ai amené à chacun un paquet de dattes. Vous devrez vous habituer à manger ce fruit, car dans les prisons de Bagdad on ne mange que ça…. »
Et dimanche, 7 juin 1981, jour anniversaire de la guerre des Six Jours, huit avions F16 frappés de l’étoile de David survolent à très basse altitude, pour ne pas être repérés, les déserts d’Arabie Saoudite puis de l’ouest de l’Irak, pour aller bombarder la centrale atomique irakienne, près de Bagdad. Soudain une éruption volcanique. En 36 secondes « Osirak » disparaît. Mission accomplie ; tous les pilotes retourneront à leur base sains et saufs. Begin pousse un soupir : « Barouh Hashem » (Dieu soit béni) Le monstre est hors d’état de nuire. Ce n’est pas un mystique mais il a conservé certaines croyances et traditions.
Le monde entier apprend la nouvelle avec stupéfaction. Les réactions contre Israël sont vives. Face aux accusations, Begin se dresse flamboyant, la nuque raide, réajustant ses lunettes sur ses yeux globuleux, rectifiant d’un geste toujours répété sa cravate. Pour lui : « Le seul moyen de se faire respecter en ce bas monde c’est la force ! Le moment est venu de ne plus se laisser agir à leur guise les autres peuples ; c’est au contraire à Israël d’agir. Durant la dernière guerre mondiale un tiers du peuple juif a été massacré comme du bétail. Aujourd’hui, Israël a le pouvoir d’empêcher de telles actions : nous frapperons à nouveau, si l’Irak ou un autre pays arabe osait malgré tout construire une centrale nucléaire à des fins militaires ! »
La foule trépigne de fierté sous l’impulsion du « prophète » et les applaudissements crépitent pendant de longues minutes tandis que des milliers de voix scandent : « Begin Meleh Israël » (Begin roi d’Israël).
Begin a agi seul dans cette affaire, comme il le fera 6 mois plus tard en annexant le plateau du Golan et 12 mois après, jour pour jour, en déclenchant l’opération « Paix en Galilée » et en envahissant le Liban. C’est lui qui décide. Ses ministres et l’état major exécutent. Il est le chef tout-puissant d’Israël en dépit du caractère démocratique très avancé de l’Etat juif. Sur ce point, il est semblable à Ben Gourion.
Dans sa candeur, malgré sa grande intelligence, Begin croit qu’il lui suffit de parler de la cause juive pour que ses interlocuteurs soient convaincus et qu’à l’étranger on devienne béat d’admiration. « Après tant de siècles de persécutions, pense-t-il, comment ose-t-on persister dans l’indifférence et le mépris ? Après l’hécatombe de la Deuxième Guerre mondiale, après la Shoah, le bouleversement géopolitique et politique de tant de pays détruits, on s’obstine donc à ne pas reconnaître la grandeur du peuple juif ? »
Cette manière de voir, aussi justifiée qu’elle soit, lui valut maintes récriminations. Et lui, se levant d’un bond, fulminant, le bras tendu, le doigt accusateur, cloue au pilori ceux qui s’arrogent le droit de faire peser une contrainte sur Israël. Les frustrations subies par le jeune Etat se répercutent dans l’âme de ce lutteur passionné. Il est à la fois plein de douceur généreuse et de terrible colère.
En mai 1982, je demande à Begin de participer à un débat exclusif pour TF1. Au départ, il hésite. Sa santé se détériore de jour en jour et il ne souhaite pas se montrer à la télévision en prenant ses pilules… Après plusieurs tentatives, il finit par accepter ma proposition. Il est cette fois en pleine forme et brillant face aux journalistes. Assis près de lui, je l’écoutais évoquer en un anglais châtié nourri de phrases pétillantes en hébreu, sa politique intransigeante à l’égard de l’OLP d’Arafat. Il n’avait pas changé de position. C’était sa dernière apparition devant la presse étrangère. A la fin de l’interview, je lui demande si sa santé s’améliore, il me répond avec le sourire :
« Mon ami, n’importe qui peut être malade. J’ai eu deux crises cardiaques mais cela c’est bien terminé. Est-ce que je n’ai pas bonne mine ? »
Mardi 30 août 1983, Begin décide de quitter le pouvoir. « Je n’en peux plus », dira-t-il avec amertume. Sa mission est chargée d’une immense responsabilité et il sent qu’il n’est plus capable de l’assumer. Intègre, il n’est pas accroché au pouvoir. Il arrivera pour la dernière fois à la présidence du conseil, sans cravate et le col largement ouvert. Marchant péniblement et courbé sur sa canne, il n’est plus le tribun qui faisait trembler les murs de la Knesset, le chef plein de magnétisme à la fois admiré et redouté. Il est devenu un homme malade, dégoûté de la vie politique. La mort de sa femme Aliza et la dernière aventure au Liban l’ont affaibli terriblement, il est devenu l’ombre de lui-même. Seule sa famille proche est à ses côtés ainsi que son fidèle secrétaire, Yehiel Kadishai. Son fils aîné, Benjamin Zéev, docteur en géologie et qui a les mêmes traits que son père et les mêmes manières, n’a pas réussi à s’imposer comme dauphin.
Menahem Begin se retira dans son petit appartement privé et de location, rue Tsémah à Jérusalem. Durant une dizaine d’années, il gardera le silence, se renfermant chez lui sans aucun contact avec l’extérieur. Solitaire jusqu’à son dernier jour.
Le 9 mars 1992, des dizaines de milliers de personnes lui rendront un vibrant et ultime hommage. En versant des larmes, ils l’accompagneront à sa dernière demeure, au mont des Oliviers. On assistera à des funérailles d’un « simple citoyen israélien », selon son dernier souhait.
Extraits du livre de Freddy Eytan “les 18 qui ont fait Israel” paru en novembre 2007 aux éditions Alphée- Jean-Paul Bertrand.