Manuel Valls : “Un nouvel antisémitisme s’est banalisé”

Interpellé le 24 juillet par le député Bruno Le Roux, président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, au sujet des manifestations pro-palestiniennes qui ont dégénéré, le Premier ministre Manuel Valls a mis en garde : “Un nouvel antisémitisme s’est banalisé”.

Après avoir condamné les incidents graves et les actes antisémites qui ont éclaté pendant une première manifestation pro-Gaza, Manuel Valls a souligné avec fermeté que rien ne peut justifier l’antisémitisme.

Retrouvez son intervention devant l’Assemblée nationale ainsi que le verbatim de cet échange :

 

http://https://www.youtube.com/watch?feature=youtu.be&v=wYfF14uyHak&app=desktop

 

 

M. Bruno Le Roux. “Monsieur le Premier ministre, l’escalade mortifère qui s’empare du Proche-Orient depuis plusieurs semaines provoque, à juste raison, une mobilisation internationale de grande ampleur. Mobilisation diplomatique, tout d’abord, pour faire sortir de l’impasse un processus de paix dont le blocage menace la sécurité de la région et conduit deux peuples à se tourner le dos. Mobilisation humanitaire, ensuite, pour venir en aide aux victimes civiles placées au milieu de la confrontation entre Israël et le Hamas. La France y prend toute sa place, notre majorité souhaite ici prendre toute la sienne.

Droit à la sécurité pour Israël, refus de la colonisation dans les territoires occupés, soutien à la construction d’un État palestinien, deux peuples vivant côte à côte et en paix : la position de la France sur ce dossier est constante. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Chacun a le droit d’avoir une autre position que celle de notre diplomatie, et de manifester pour faire valoir cette opinion. Simplement, lorsqu’elles engendrent la haine de l’autre, lorsqu’elles provoquent des violences tournées contre d’autres citoyens français en raison de leur origine ou de leur religion, lorsqu’elles font ressurgir les fantômes des années trente et la haine du Juif, comme ce fut le cas ce week-end à Paris et à Sarcelles, alors les manifestations doivent être interdites et les comportements antirépublicains sanctionnés. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

Si une large majorité de ceux qui veulent manifester le font pacifiquement, nul ne peut fermer les yeux sur la gravité des propos et des actes de ces derniers jours. La fraternité est au cœur du projet français. Nous ne laisserons pas les extrémistes profiter des conflits extérieurs pour combattre la République. Au contraire, nous croyons avec fierté que notre diversité peut être un exemple de rempart contre la violence pour les observateurs du monde entier.

Monsieur le Premier ministre, notre position est claire : la paix au Proche-Orient, la République en France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur le président Le Roux, manifester est un droit, une liberté. Manifester pour la paix au Proche-Orient ; manifester pour dire son horreur de la guerre, son émotion, son indignation face à la souffrance des populations civiles palestiniennes de Gaza – comment, d’ailleurs, ne pas partager cette émotion devant les images insupportables de femmes et d’enfants victimes des bombardements ? Manifester aussi sa solidarité à l’égard des Israéliens qui vivent la peur au ventre à cause des centaines de roquettes tirées par le Hamas ; manifester pour crier son horreur, son émotion – les mots sont faibles – face aux 170 000 morts en Syrie depuis trois ans, face au sort réservé aux minorités en Syrie ou en Irak, ou à celui des chrétiens d’Orient que, bien sûr, nous n’oublions pas.

M. Meyer Habib. Bravo !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Ce sont autant d’occasions de manifester. Manifester est donc un droit, parfois un devoir. C’est une liberté, et c’est l’esprit de la République. Mais, et je fais là écho à la question de Jérôme Chartier, manifester pour s’en prendre à des synagogues ou des commerces tenus par des Juifs, cela ne porte qu’un seul nom : l’antisémitisme. Et l’antisémitisme n’est pas une opinion, c’est un délit. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, UMP, UDI, RRDP et écologiste.)

M. Yves Fromion. Très bien !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Cela appelait une réponse claire et ferme. Au vu des incidents graves et des actes antisémites constatés lors de la manifestation du 13 juillet à Paris, au vu des informations que le ministre de l’intérieur détenait et des risques encourus, le préfet de police a décidé d’interdire la manifestation du 19 juillet à Paris. Cette décision s’imposait.

Au vu d’éléments très précis en sa possession, le maire de Sarcelles, votre collègue François Pupponi, a demandé l’interdiction de la manifestation prévue dans sa ville le 20 juillet. Il a eu raison lui aussi, les faits le démontrent. M. Chartier rappelait ce qui s’est produit à Sarcelles : des commerces, une pharmacie, des épiceries ont été incendiés parce qu’ils étaient prétendument tenus par des commerçants juifs. On a également essayé de lancer des cocktails Molotov sur des synagogues, sans y parvenir parce que les forces de l’ordre étaient présentes. Cela s’appelle, je le redis, des actes antisémites. C’est insupportable, c’est intolérable et malheureusement, le hasard faisait que cela s’est déroulé le jour où nous commémorions la rafle du Vél d’Hiv. Il faut nommer ces actes, il faut en appeler à la conscience : ce sont des actes antisémites. (Mêmes mouvements.)

Mesdames et messieurs les députés, comme l’a rappelé le ministre de l’intérieur, sur les soixante-six manifestations qui ont eu lieu ces derniers jours, quatre ont été interdites, pour des motifs parfaitement légitimes. Le ministre de l’intérieur, dont je salue l’action, fera à chaque fois analyser ces manifestations par les préfets avec la plus grande attention. Rien ne peut justifier la violence à l’égard des forces de l’ordre, dont je veux saluer l’engagement, le professionnalisme et le sang-froid. (Mêmes mouvements.)

Rien ne peut justifier l’antisémitisme. Je veux aussi m’adresser à nos compatriotes, aux Juifs de France qui vivent avec la peur, qui ont non seulement connu les morsures de l’histoire, mais aussi les événements de ces dernières années : l’assassinat d’Ilan Halimi, les attentats de Toulouse et de Montauban et l’attentat récent commis par un Français au musée juif de Bruxelles. Chacun doit être pleinement conscient ici que dans ces manifestations ou sur les réseaux sociaux, des groupes radicaux, extrémistes, abritent derrière la mise en cause d’Israël et un antisionisme de façade leur antisémitisme et la haine des Juifs. Il faut aussi le dire, et dire la vérité à ceux qui peuvent se retrouver dans ces manifestations. (Mêmes mouvements.)

Je l’ai dit ici même il y a quelques mois : il existe un nouvel antisémitisme qui s’est banalisé. Il mêle cause palestinienne, djihadisme, détestation d’Israël et haine de la France et de ses valeurs. Ce nouvel antisémitisme reprend la thèse ignoble, insupportable, du complot juif. Ces mots, les slogans entendus ont fait mal. Ils blessent la République, ils blessent la France, et ils peuvent tuer. Il faut regarder cette vérité en face.

Même si tout cela est le fait d’une minorité, et je ne fais pas d’amalgame entre cette minorité et ceux qui manifestent, quand on se rend à une manifestation qui a été interdite parce que, quelques jours auparavant, des slogans et des actes antisémites ont été constatés, et que l’on est un élu de la République, un maire d’arrondissement, on fait attention où l’on met les pieds et avec qui l’on manifeste ! (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs des groupes SRC et UMP.– Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste, RRDP et UDI.)

M. Claude Goasguen. Des sanctions !

M. Manuel Valls, Premier ministre. J’en appelle donc au rassemblement et à l’esprit de responsabilité. Je salue tous ceux, dans la majorité comme dans l’opposition, qui se sont exprimés avec gravité et sens de l’État, en particulier trois anciens premiers ministres : Alain Juppé, Jean-Pierre Raffarin et François Fillon. Ce n’est pas l’interdiction des manifestations qui a provoqué la violence, mais ce sont les violences qui ont justifié l’interdiction. Face à la violence, face à l’antisémitisme, on ne se laisse pas aller à je ne sais quel doute ou je ne sais quel questionnement.

Oui, vous avez raison, on peut débattre de tout, on peut mettre en cause la politique du Gouvernement, on peut interroger le Gouvernement, et Laurent Fabius répondra dans un moment sur la position de la France au Proche-Orient. Mais on ne peut pas, face à l’antisémitisme, au racisme et à la violence, se laisser aller. On tient, avec fermeté, avec gravité.

Les Français attendent que nous agissions dans l’unité. Il n’y a pas, en France, plusieurs communautés qui se divisent en fonction de ce qui se passe à l’extérieur. Il n’y a qu’une seule communauté : la communauté nationale, qui doit se retrouver autour de notre devise, donc de la fraternité – qui doit se retrouver autour de l’idéal de la France ! (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP et écologiste, qui se lèvent, et sur les bancs des groupes UMP et UDI.)”

Verbatim reproduit sur le site du CRIF.

Le CAPE