Malgré l’oppression et les arrestations, les manifestations se poursuivent en Iran

Depuis le 15 novembre 2019, jour de l’annonce par le gouvernement iranien de l’augmentation des prix du pétrole de près de 50%, les manifestations se poursuivent à travers tout le pays.

D’après des rapports officiels, 28 des 31 provinces d’Iran, avec une centaine de villes et de bidonvilles, se sont soulevées et ont manifesté leur colère contre le régime islamique.

Soulignons que la grogne s’est aggravée avec le retrait des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire et le rétablissement des sanctions économiques.

Depuis, le pays est replongé dans une profonde crise où la récession est de 9,5% et l’inflation de 40% selon les chiffres officiels. La valeur de la monnaie nationale, le rial, est tombée à son plus bas historique et le taux de chômage est de plus de 20%.

Un dollar américain s’échange à près de 130 000 rials iraniens. Les sombres prévisions concernant le retour des dollars américains en Iran dans l’année à venir, à la suite des sanctions, expliquent aussi l’affaiblissement récent du rial.

Des liasses de dollar américain et de rial (photo iranian press)

En outre, si l’Iran ne se conforme pas aux exigences du GAFI (le Groupe d’action financière) d’ici février 2020, il pourrait faire face à une situation encore plus difficile.

Le camp conservateur du régime iranien a jusqu’à présent empêché le gouvernement Rohani de répondre aux demandes du GAFI, et toute décision reste bloquée au Conseil des Gardiens du régime.

Le président Rohani a demandé à plusieurs reprises que les conservateurs fassent place à l’accord de l’État avec les demandes du GAFI, mais, actuellement, les conservateurs ont le dessus. Le non-respect par l’Iran de la charte du GAFI pourrait encore aggraver sa situation économique dans les prochains mois, et même les comptes bancaires des citoyens iraniens à l’étranger pourraient être fermés.

Dans ce contexte, les investisseurs étrangers retirent leurs capitaux, d’autant plus que les sanctions ont fait chuter la vente quotidienne des barils de pétrole.

D’autre part, la majorité des Iraniens protestent contre les interventions militaires trop onéreuses, évaluées à des centaines de millions de dollars par an, en Irak, en Syrie, au Liban et au Yémen. Cette ingérence iranienne était au centre des protestations lors de récentes manifestations à Bagdad et Beyrouth.

Dessin dénonçant l’ingérence de l’Iran en Irak (compte twitter koweïtien)

Le 8 décembre 2019, le président Hassan Rohani a présenté une proposition de budget pour 2020 au Majlis (parlement). Il s’agit du budget le plus restreint depuis la guerre Iran-Irak des années 1980, soit au total 38,8 milliards de dollars.

Rohani a qualifié le budget de « programme de résistance et de persévérance contre les sanctions ». Seul le retour de l’Iran au niveau des ventes de pétrole antérieur aux sanctions – soit entre 2,8 millions et 3 millions de barils par jour – pourrait améliorer sa situation économique.

Le gouvernement espère que le budget permettra la création de 955 000 emplois tandis que, dans le même temps, plus de 60% des millions de jeunes diplômés universitaires iraniens restent sans emploi.

Plus les jeunes sont instruits, plus leur taux de chômage augmente. 80% des millions de femmes diplômées universitaires sont au chômage. Selon les données du gouvernement iranien, une personne qui n’a travaillé qu’une heure pendant une semaine entière est considérée comme titulaire d’un emploi et non sans emploi.

Le président Rohani présente son budget devant le Majlis, 25 novembre 2019 (iranian press)

Les Ayatollahs, avec l’aide des Gardiens de la Révolution, ont réagi contre la menace populaire par une répression sans précédent. Ils ont coupé les accès Internet dans tout le pays pour empêcher l’utilisation des réseaux sociaux et ont décidé de ramener l’ordre public par tous les moyens.

Selon le ministère de l’Intérieur, le bilan des dégâts est de 50 postes militaires, 731 banques, 140 espaces publics, 70 stations-services, 307 véhicules privés et 183 véhicules militaires brûlés ou attaqués. Toutefois, le nombre de pertes humaines est plus difficile à connaître. Selon Amnesty International, il y a eu lors des premières manifestations 143 tués par les Gardiens de la Révolution et plus de 7 000 arrestations.

Les opposants au gouvernement iranien en exil et certains militants des droits de l’homme estiment que le nombre de morts a dépassé le seuil de 300. Radio Farda a obtenu des données sur l’arrestation d’au moins 4 800 civils, pour la plupart des jeunes, dans 18 provinces.

La BBC en persan a diffusé de nombreux reportages sur les manifestations, mais elle a été accusée par le régime iranien d’inciter des manifestants à descendre dans la rue et même de les soutenir. Selon la chaîne britannique, les forces du régime auraient mis le feu à de nombreux édifices gouvernementaux, banques et autres lieux publics pour justifier la violence des manifestations.

Cette conclusion est également communément admise par de nombreux citoyens iraniens. Selon eux, le régime veut prouver que les manifestants étaient des « mercenaires » ayant reçu des fonds des États-Unis, d’Israël, de la France et de l’Arabie saoudite. Ces derniers jours, le régime a souligné l’implication étrangère dans la planification et l’organisation des émeutes et tente de faire la distinction entre des manifestants « légitimes » qui cherchent à protester contre les prix du carburant et les voyous mercenaires recrutés par des « puissances étrangères ».

Le peuple iranien veut abattre le régime des Ayatollahs(caricature parue dans al-Marsd)

Dans le cadre des mesures prises par le régime pour contenir les émeutes, des rassemblements « spontanés » diffusés en direct par des chaînes de télévision publiques continuent d’accuser des étrangers et des organisations d’opposition d’orchestrer toutes ces manifestations. Pendant ces rassemblements, on scandait : « Mort à l’Amérique », « Mort à Israël », « Mort aux émeutiers » et « Mort aux comploteurs ».

Mohammad-Javad Azari Jahromi, le ministre de l’Information et des Communications, avait précisé que son bureau n’appuyait pas la décision de déconnecter l’Iran d’Internet, mais qu’elle avait été acceptée pour des raisons de sécurité par le Conseil suprême de sécurité nationale.

La reprise de la connexion Internet est toutefois lente et n’a été renouvelée que sur les ordinateurs de bureau dans les institutions publiques, plusieurs universités et certains foyers. Même après la reconnexion à Internet, l’accès aux sites en dehors de l’Iran reste extrêmement limité. Les téléphones portables n’ont pas encore été tous reconnectés à Internet et, pour cette raison, les utilisateurs ont du mal à signaler des émeutes, des événements inhabituels ou à télécharger des vidéos.

Avec la reprise partielle de la connexion Internet, des centaines de civils ont envoyé des clips montrant les violents affrontements entre les forces de sécurité et les manifestants, dans lesquels il semblait que le régime avait utilisé des chars, des hélicoptères, des tireurs d’élite, avec des tirs directs sur les manifestants.

Selon des vidéos, des manifestants dans diverses régions ont attaqué des religieux, et des bureaux des représentants de Khamenei dans divers districts ont été incendiés. Dans la ville de Yazd, des manifestants ont attaqué un représentant du Guide suprême et incendié sa maison. Un certain nombre de séminaires religieux affiliés au régime ont également été brulés. A l’étranger, les militants de l’opposition rapportent que de nombreuses personnes affiliées au régime n’ont pas dormi chez elles depuis plusieurs jours de peur de devenir la cible de manifestants en colère.

Quelques unes des victimes de la répression iranienne (photo Amnesty International)

Certains Iraniens affirment sur les réseaux sociaux que les forces de sécurité demandent 3 500 dollars aux familles des personnes tuées désireux de récupérer les corps de leurs proches.

Dans tous les clips, il est évident que le régime est menacé par l’intensité des protestations. Bien que maintenant, il soit également évident que l’Iran s’est préparé à l’avance et a pris des mesures adéquates à la veille de la hausse des prix du carburant.

Ces manifestations comme leur répression ont été les plus violentes de ces dernières années. Depuis que les communications ont repris, la réalité de la contre-attaque gouvernementale a été mise à jour, et les Iraniens ont largement témoigné de l’atmosphère de terreur et d’incertitude, mais aussi du profond sentiment d’humiliation qu’ils ont ressenti.

Le régime a comme d’ordinaire expliqué l’origine des manifestations par l’ingérence « d’étrangers » et de contre-révolutionnaires, visant clairement l’opposition en exil, le Mouvement pour les Moudjahidines du Peuple ou encore les soutiens de la dynastie Pahlavi. C’est sous-estimer très fortement la puissance du ressentiment populaire face à une situation économique catastrophique. Ce que les manifestants ne comprennent pas et ne soutiennent plus, c’est une politique qui use de l’argent public et du contribuable pour servir ses intérêts dans des pays voisins, au lieu d’améliorer le quotidien des Iraniens. De fait, la politique économique du gouvernement a fait disparaître la classe moyenne.

L’ayatollah Khamenei (photo iranian press)

En réalité, le régime a clairement affiché sa vulnérabilité. Ainsi, à quelques mois des prochaines élections législatives, les récents évènements ont totalement détruit le peu de capital sympathie dont bénéficiait encore Rohani auprès de la classe populaire. Les conservateurs et les pasdarans exploitent à fond les erreurs du Président et critiquent la faiblesse et les mauvais choix politiques des réformateurs.

Pour les Américains, les manifestations prouvent que les sanctions paralysantes fonctionnent et que leur but est de pousser la population à renverser le pouvoir islamiste. Selon certains observateurs, Donald Trump n’aurait donc aucun intérêt à reprendre les négociations comme le suggère le président Macron, d’autant plus que les évènements et les violations graves des droits de l’Homme ont rendu l’Union européenne plus réticente à l’égard des Ayatollahs et de leurs promesses.

Bien que le gouvernement iranien ait réprimé la contestation, la forte grogne n’a pas disparu, elle demeure latente et pourrait se réveiller un jour comme un volcan.

Cependant, il manque aux manifestants un véritable leadership et une alternance au pouvoir. L’incertitude du lendemain et le risque d’une guerre civile sont aussi toujours dans les esprits.

JCPA-CAPE de Jérusalem

 


Pour citer cet article

JCPA-CAPE de Jérusalem, « Malgré l’oppression et les arrestations, les manifestations se poursuivent en Iran », Le CAPE de Jérusalem, publié le 22 décembre 2019: http://jcpa-lecape.org/malgre-loppression-et-les-arrestations-les-manifestations-se-poursuivent-en-iran/

Photo de couverture : Le général Salami, chef des Pasdaran, dénonçant l’influence de l’Amérique, la Grande-Bretagne, Israël et la famille Saoud” sur l’organisation des émeutes, dans son discours du 25 novembre 2019 (photo Meghdad Madadi).

NB : Sauf mention, toutes nos illustrations sont libres de droit.

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