L’Iran et la bombe atomique – le double jeu

Michael Segall

Le 8 Février 2021, le ministre iranien des services du Renseignement, Mohamed Alavi, déclarait sur le plateau de la chaine de télévision publique :

« Notre industrie nucléaire est une industrie pacifique, le Guide suprême [l’a] explicitement déclaré dans sa fatwa […] Mais si un chat est acculé, il peut se comporter autrement que le ferait un chat libre. »

En d’autres termes, si l’Occident soumettait la République islamique à une pression supplémentaire, elle pourrait être poussée à fabriquer une bombe atomique, mais cela ne serait plus la responsabilité de Téhéran.  

Ces paroles font sensation parce que ce ministre est chargé des services secrets au sein du cabinet du président Hassan Rohani. Aurait-il fait cette déclaration sans l’approbation du Guide suprême, Ali Khamenei ?

Jusqu’à présent, tous les représentants du gouvernement ont répété à maintes reprises à l’unisson que leur programme nucléaire était à des fins pacifiques (sic).

Mohamed Alavi

Ils avaient évoqué à chaque fois une fatwa du Guide suprême, un verdict dérivé de la loi islamique affirmant : « Notre programme nucléaire est pacifique, et le Guide suprême a clairement indiqué dans sa fatwa que la fabrication d’armes nucléaires viole la charia et que la République islamique ne la persécute pas et la considère comme interdite ».

En réalité, Téhéran joue un double jeu transparent : les propositions de compromis alternent avec les menaces.

C’est clair, les remarques d’Alavi n’auraient pas pu être faites sans l’approbation du Guide suprême iranien et visent à faire pression sur le nouveau président américain Joe Biden pour qu’il lève toutes les sanctions que Donald Trump a imposées unilatéralement. Ce n’est qu’alors que l’Iran se conformera à nouveau à l’accord nucléaire conclu à Vienne le 14 juillet 2015.

A Washington, le porte-parole du Département d’État, Ned Price, avait qualifié les déclarations d’Alavi de « très inquiétantes ».

Cependant, le 16 février 2021, le Secrétaire d’Etat américain Antony Blinken a assuré que « la voie de la diplomatie était ouverte » avec l’Iran, affirmant toutefois que Téhéran ne pouvait pas être autorisée à obtenir l’arme nucléaire. Selon Blinken, la République islamique devait par ailleurs respecter l’accord de Vienne mais « à l’heure actuelle, l’Iran est encore loin d’être en conformité avec le JCPOA. Il était très efficace pour couper tous les moyens que Téhéran avait pour produire des matières fissiles, et obtenir ainsi l’arme nucléaire. Il est malheureux que l’ancien président Donald Trump a unilatéralement retiré les Etats-Unis du JCPOA en 2018. »

Ali Khamenei, Mohamed Alavi

(Khamenei.ir)

Les remarques faites par le ministre iranien des renseignements reflètent les luttes internes au sein du pouvoir suite aux assassinats de scientifiques iraniens et le sabotage d’installations nucléaires.

Les 9 février 2021, l’Agence de presse Tasnim (affiliée aux Gardiens de la Révolution) avait vivement critiqué Mahmoud Alavi pour avoir révélé que « le traître qui a préparé le terrain dans l’attentat contre le scientifique nucléaire, Mohsen Fakhrizadeh, était un membre des forces armées [faisant référence aux Pasdarans], alors que le ministère du renseignement n’a pas le pouvoir d’interroger les membres des forces armées. »

Pour l’agence Tasnim, le ministre avait commis « une bévue majeure » et n’avait pas profondément réfléchi aux implications de ses graves remarques et ses prédictions sur l’avenir du programme nucléaire. Ses commentaires sont faux et ne reflètent pas la politique de la République islamique, contredisent les déclarations du Guide suprême et peuvent avoir de graves conséquences pour l’État. Toujours selon l’agence des Pasdarans « La déclaration du ministre du renseignement est totalement contraire à l’intérêt national. Elle peut renforcer les pressions de l’Occident dans les négociations sur le nucléaire. Plus important encore, cela peut légitimer les sanctions paralysantes des Américains. L’Iran a toujours souligné qu’il n’avait jamais eu l’intention d’obtenir une bombe, ni n’a pris de mesures pour le faire et, par conséquent, Téhéran exige que les négociations se déroulent sur une base de « justice » par opposition à « transparence ». En d’autres termes, l’Occident accepterait le droit de l’Iran à un enrichissement industriel illimité de l’uranium (y compris le droit à l’eau lourde et à l’équipement nécessaire) pour l’utilisation des installations nucléaires à des fins pacifiques. Malheureusement, la déclaration du ministre du Renseignement peut rapprocher la Russie et la Chine des positions des États-Unis. »

En conclusion, l’Iran tente de faire pression sur l’administration Biden pour qu’elle lève toutes les sanctions contre l’Iran avant que l’Iran n’accepte de mettre fin aux violations de l’accord nucléaire, en particulier dans le domaine de l’enrichissement d’uranium. Il convient de souligner que le 21 février 2021, l’ultimatum lancé par le parlement iranien pour lever les sanctions est censé expirer et l’Iran pourrait cesser d’autoriser les inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) à surveiller certains sites nucléaires iraniens.

Voir l’intégralité de l’articles et les notes sur le site du JCPA-CAPE en anglais https://jcpa.org/article/irans-intelligence-minister-if-pushed-iran-may-build-an-atomic-bomb/