L’Iran déclare la guerre et plonge dans une crise profonde
Le 5 juillet 2018, le président américain, Donald Trump, affirmait avec fierté dans un tweet : « depuis que les Etats-Unis se sont retirés de l’Accord nucléaire avec l’Iran, les dirigeants iraniens se comportent soudain différemment. L’Iran n’est plus le même. »
Trois jours plus tard, le président iranien, Hassan Rohani, menaçait de fermer pour la première fois le détroit d’Ormuz dans le golfe persique. Selon lui, si l’Iran ne pouvait plus exporter son pétrole, eh bien, aucun autre pays ne pourrait le faire.
Lors d’une visite officielle en Suisse, il lança un vif avertissement à l’encontre des États-Unis : « si le pétrole iranien ne pourra plus être exporté à travers les continents, d’autres pays non plus ne pourront exporter l’or noir. Si vous tentez de le faire, vous payerez toutes les implications et conséquences. »
Cependant, les sanctions pourraient paralyser tout le commerce iranien. Ces sanctions empêcheront l’Iran d’acheter des dollars américains, de négocier l’achat de métaux, de charbon, de logiciels industriels et notamment d’investir dans le secteur automobile. Une autre série de sanctions qui entrera en vigueur en novembre 2018, nuira à l’énergie locale et réduira à zéro les exportations de l’Iran.
L’impact sur la rue iranienne est déjà visible aujourd’hui. Les Iraniens sont profondément préoccupés par la crise économique et le déclenchement d’une guerre avec les Etats-Unis. Les infrastructures économiques s’effondrent plus rapidement que prévu et l’homme de la rue s’interroge si le rial est vraiment un billet d’argent ou un torchon de papier.
Devant cette nouvelle détérioration de la situation économique, le président Hassan Rohani, qui fut élu pour deux mandats sous le slogan “Espoir et compréhension”, a été le premier à menacer de bloquer le trafic naval à travers le détroit d’Ormuz. Il a reçu le soutien du Guide suprême et des Gardiens de la Révolution.
Lors d’une conférence annuelle des ambassadeurs iraniens venus à Téhéran du monde entier, il a déclaré le 22 juillet 2018, qu’une guerre contre l’Iran serait “la mère de toutes les guerres”. Selon lui, l’Iran est très sérieux dans ses menaces : « il ne s’agit pas seulement de fermer le détroit d’Ormuz. Il existe de nombreux autres canaux et voies maritimes. Il est temps que les Américains comprennent enfin qu’ils brandissent des sanctions en l’air sont vraiment savoir quelles seront les conséquences. Ils jouent avec le feu. »
Hussein Sheik-al-Salam, ancien conseiller du ministre iranien des Affaires étrangères, avait expliqué que le président Rohani faisait allusion à la possibilité de fermer le détroit de Bab el-Mandeb. Ce détroit stratégique sépare Djibouti et le Yémen, la péninsule arabique et l’Afrique et relie la mer Rouge au golfe d’Aden, dans l’océan Indien. Toujours selon Sheik-al-Salam, la coalition formée par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis n’a pas réussi « malgré ses nombreux efforts » à récupérer le port d’Al-Hudayda des mains des Houthis et des forces d’Ansar Allah au Yémen. Selon lui, cette branche militaire des Houthis a prouvé qu’elle était bien capable de s’infiltrer en Arabie Saoudite.
Pour preuve, ces jours-ci des drones du type Samad ont été envoyés au-dessus de Riyad pour attaquer une raffinerie saoudienne. Ce type de drone serait selon les Iraniens une nouvelle arme très efficace ayant une portée pouvant atteindre tous les points vitaux des États du Golfe et de l’Arabie Saoudite. Un haut responsable iranien s’est vanté que le nouveau drone des Houthis avait le potentiel de répondre à la menace évoquée par Hassan Rohani lors de son discours devant les ambassadeurs iraniens.
“Evacuez Dubaï, Abu Dhabi et Riyadh, les missiles sont en route” titre Kayhan, le 25 juillet 2018
Le 25 juillet 2018, le général Qasem Soleimani, commandant de l’unité al Qods au sein des Gardiens de la Révolution, prononça un discours et adressa un message direct au Président Trump : « Vous menacez une nation qui pratique la shihada [sacrifice, martyre]. Nous sommes prêts à toute confrontation. Eh bien venez, déclenchez la guerre, nous la gagnerons… Vous devriez connaître notre force dans la région, et nos capacités dans une guerre asymétrique. Nous agirons avec tous les moyens et notamment en mer Rouge, elle ne sera plus en sécurité tant que les forces américaines patrouilleront dans le secteur ». Soleimani se moqua du Président Trump en le qualifiant avec dédain de « joueur de casino et propriétaire de cabaret » : « Comment ce président ridicule serait-il capable d’affronter un baroudeur soldat et commandant des forces al Qods ? » dit-il avec beaucoup de prétention.
Le jour où Soleimani a prononcé son discours, le journal Kayhan, organe du Guide suprême, Ayatollah Khamenei, a révélé que des missiles allaient frapper les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite au cœur.
Ce jour- là, un pétrolier saoudien navigant dans le détroit de Bab el-Mandeb a été touché par un missile tiré depuis le territoire yéménite, et un drone a attaqué l’aéroport des Emirats Arabes unis. Le gouvernement d’Abu Dhabi a catégoriquement démenti ces informations, mais cela n’a pas empêché les Iraniens et les Houthis de qualifier ces « actions militaires » de « grand succès » contre la coalition arabe.
Les tirs de missiles sur des navires saoudiens et sur le territoire des Émirats arabes unis soulignent l’importance du contrôle des Houthis sur les îles installées à l’entrée du détroit de Bab el Mandeb. Les attaques mettent l’accent sur les véritables intentions et provocations de l’Iran à l’égard du Président Trump et les membres de la coalition des États-Unis.
Israël et Trump, cibles des Ayatollahs
Face à ces menaces des dirigeants iraniens, et particulièrement celles des Gardiens de la Révolution, des voix s’élèvent et expriment une profonde préoccupation quant à l’éventualité d’une guerre. Mohammad Javad Haghshenas, journaliste s’identifiant au courant modéré et soutien des dirigeants du mouvement Vert, assignés à résidence, écrit sur Twitter : « Battre les tambours de guerre ne correspond pas à l’intérêt national de l’Iran ou à la culture du peuple iranien. » Les hashtags anti-guerre sont plus nombreux ces derniers jours, et sur les réseaux sociaux un nombre considérable exigent des dirigeants iraniens de cesser de provoquer le Président américain car une guerre serait fatale pour tout le peuple iranien.
Dans une lettre ouverte adressée à Qasem Soleimani, un étudiant iranien écrit : « si le général voulait entraîner l’Iran dans la guerre, il ne devrait pas compter sur moi. Je ne rejoindrai pas vos rangs dans une guerre inutile ». Cette missive audacieuse a eu un grand retentissement sur les médias sociaux. De même, des articles publiés en particulier dans des journaux s’identifient aux réformistes, avec des critiques sévères et inhabituelles à l’égard du président Hassan Rohani.
La presse économique iranienne a souligné qu’en raison des menaces lancées pour la première fois par Hassan Rohani sur la sécurité de la région, la situation économique du pays en général et les moyens de subsistance des citoyens se sont gravement détériorés.
Des citoyens innocents et des économistes iraniens sont conscients que la nouvelle détérioration dans les relations avec les Etats-Unis et l’Arabie saoudite provoquent une flambée des prix des produits de première nécessité. Pis encore, avec une dévaluation continue du Rial qui a perdu plus de 70% de sa valeur au cours du dernier trimestre. Le salaire moyen, qui était à environ 300 dollars, est tombé à 100 dollars. Le billet vert vaut aujourd’hui plus de 110 000 rials.
Le 25 juillet 2018, le gouverneur de la Banque centrale a été remplacé dans l’espoir de renforcer la monnaie locale et le taux de change des devises. Depuis lors, le Rial a dégringolé de plus belle et la situation économique s’est détériorée considérablement et sur tous les plans.
Des citoyens iraniens filment chaque jour des centaines de manifestations, des grèves et des appels pressants contre le régime. Ils publient des vidéos sur les médias sociaux. Des milliers de chauffeurs de camions et pétroliers iraniens ont renouvelé leur grève. Ils protestent contre les promesses et garanties non tenues. Cette nouvelle grève a provoqué des pénuries dans toutes les stations-service du pays. Aujourd’hui, toutes les villes iraniennes connaissent des coupures d’électricité et d’eau, qui se produisent tous les jours. Une grave pénurie de réserves d’eau accompagnée d’une pollution atmosphérique sévère entraîne de nombreuses plaintes. Des centaines de citoyens photographient la situation sur le terrain et envoient leurs images de détresse aux chaînes de télévision gérées par l’opposition iranienne qui diffuse en langue farsi à partir de Londres.
Toutes les stations de radio et de télévision iraniennes diffusent des appels aux citoyens pour économiser l’eau et l’électricité. Le régime confirme que les coupures d’électricité et d’eau se font selon un calendrier prévu par le Ministère de l’énergie.
La détérioration de la situation économique est accompagnée d’innombrables reportages et articles publiés chaque jour par les médias iraniens sur la corruption au sein du gouvernement et au sein d’éléments proches du régime.
Les journaux iraniens signalent également une contrebande de millions de dollars des réserves de devises. Ces informations accusent des hauts fonctionnaires et leurs familles d’avoir l’intention de fuir l’Iran, emportant avec eux des dizaines de millions de dollars et des lingots d’or. Un membre du parlement qui siège à la commission de planification et de budget a accusé l’absence de 9 milliards de dollars destinés à l’importation de produits de base.
Certains membres du parlement iranien ont appelé les autorités judiciaires à se ressaisir et à ordonner l’arrestation de dizaines de hauts responsables du gouvernement cherchant à obtenir des passeports et des papiers d’identité de divers pays. Ils ont déjà envoyé des dizaines de millions de dollars à l’étranger et envisagent de quitter clandestinement le pays. Parmi ces fonctionnaires figure Valiollah Seif, ancien gouverneur de la Banque centrale iranienne, qui souhaite rejoindre toute sa famille qui vit depuis de nombreuses années à l’étranger.
Hassan Abbasi, historien, philosophe et personnalité de premier plan au sein des Pasdarans, a reconnu que la position du Guide suprême, Ali Khamenei, s’affaiblit et devenait plus précaire et impopulaire. Le peuple iranien le considère comme responsable de la détérioration de la situation. Abbasi affirme que « l’impuissance des gouvernements iraniens successifs a provoqué un fléau de la corruption à tous les niveaux au moment où les gens sont affamés de pain. L’incapacité des services du Renseignement iranien à surveiller les administrations défaillantes du pays n’est que l’une des raisons de l’injustice faite au Guide suprême. Il a perdu la confiance de nombreux Iraniens dans la gestion des affaires de l’Etat ».
JCPA-Le CAPE
Pour citer cet article :
JCPA-Le CAPE, « L’Iran déclare la guerre et plonge dans une crise profonde », Le CAPE de Jérusalem, publié le 19 août 2018: http://jcpa-lecape.org/liran-declare-la-guerre-et-plonge-dans-une-crise-profonde/
Illustration de couverture : L’image d’une raffinerie de pétrole saoudienne en flammes diffusée par l’agence de presse Fars News, identifiée avec les Gardiens de la Révolution, le 28 juillet 2018.