L’Iran chiite et l’Etat islamique sunnite : enjeux et dangers
Le Moyen-Orient plonge dans l’inconnu. Le fameux “printemps arabe” s’est brusquement évanoui et l’espoir tant attendu en Occident d’un changement démocratique s’est rapidement estompé. L’espérance s’est transformée en cauchemar puis en réalité sanglante et chaotique. Une éruption de conflits violents remontant à l’aube de l’Islam vient enflammer toute la région.
La situation actuelle est assombrie par des menaces qui rappellent les confrontations des empires perse et ottoman avec les puissances occidentales. Aujourd’hui, comme hier, l’Iran et la Turquie se disputent l’hégémonie de la région tout en voulant détruire l’union de la nation arabe. Des vents sunnites extrémistes et djihadistes soufflent de partout. Les frontières étatiques tracées depuis les accords Sykes-Picot s’effacent et les djihadistes balayent toute opposition ou changement vers le modernisme. La terreur, les massacres systématiques et les décapitations ciblent toutes les communautés non musulmanes installées dans la région depuis la nuit des temps. Tous fuient les envahisseurs sanguinaires et cherchent désespérément un havre de paix.
Dans ce contexte, les djihadistes sunnites de l’Etat islamique constituent une menace réelle pour les ayatollahs et la stratégie iranienne consistant à établir une suprématie chiite en Syrie et au Liban.
Nouri al-Maliki, l’ancien Premier ministre irakien, vient d’être limogé pour avoir eu des liens très étroits avec Téhéran au détriment des sunnites. Pour satisfaire son désir de vengeance contre le régime sunnite de Saddam Hussein, al-Maliki a détruit les liens de confiance avec les chefs des tribus sunnites que les Américains avaient réussi à tisser dans des conditions très difficiles. En dépouillant les sunnites de toute influence politique significative, al-Maliki a ravivé les flammes de la haine sectaire.
Quant à l’Amérique, elle a perdu hélas son rôle d’influence. Ses nombreux atouts stratégiques ont volé en éclats et une grande partie de ses alliés traditionnels lui barrent toujours la route. Washington, qui n’est pas intervenu dans la crise syrienne, se trouve dans l’obligation tardive de lancer des raids aériens contre les troupes de l’Etat islamique qui avancent à pas de course tous azimuts.
Une terrifiante question se pose : celle concernant l’avenir du projet nucléaire iranien en échange d’une vague promesse de Téhéran d’aider à chasser les islamistes sunnites et de favoriser la stabilisation de l’Irak.
L’Iran chiite continue à aider le régime d’Assad avec un soutien considérable du Hezbollah. La Turquie et les pays du Golfe soutiennent toujours l’opposition sunnite, composée aussi de groupes djihadistes comme al-Qaeda.
Dans une longue interview à Al-Akhbar, le Secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah, a récemment qualifié l’Etat islamique de « monstre » et fait part de ses inquiétudes. Rappelons qu’en 2011, juste après le départ des soldats américains d’Irak, le président Barack Obama avait décrit l’Irak comme Etat « souverain, stable et autonome ». Il n’avait pas prévu que la guerre civile en Syrie déborderait également en Irak, modifiant ainsi les règles du jeu, et qu’elle briserait le réseau d’alliances interrégionales et la coopération avec les Occidentaux.
L’un des principaux dangers découlant de l’expansion de l’Etat islamique est la propagation du terrorisme mondial au-delà des frontières de l’Irak et de la Syrie, voire de l’Iran qui demeure une cible préférentielle des djihadistes. Les organisations islamiques radicales dans le monde arabe, comme celles existantes en Libye et en Tunisie, ont déjà exprimé leur soutien inconditionnel à l’Etat islamique. Dans le sud de la Jordanie, elles ont même organisé des manifestations favorables aux combats des djihadistes en Irak et ont brandi des bannières frappés du sigle de l’Etat islamique. Les risques d’attentats sont probables dans plusieurs pays, notamment au Liban et en Iran où les Gardiens de la Révolution tentent de les déjouer par tous les moyens.
Les Lieux saints des différents courants de l’Islam sont aussi devenus un enjeu dans le rapport des forces entre Téhéran et l’Etat islamique. L’Iran accuse l’Arabie Saoudite, les Etats du Golfe et même Israël de soutenir l’expansion de l’Etat islamique vers sa frontière orientale. Le journal conservateur Resalat accuse « l’Etat sioniste de chercher à réaliser ses plans sataniques pour diviser les Etats de la région et détruire l’union au sein des musulmans».
Enfin, bien que les négociations sur le projet nucléaire ne soient pas en relation directe avec les développements en Irak, leur dénouement aura probablement un impact décisif sur les enjeux et les rapports de forces régionaux. L’Iran essayera comme par le passé de réduire temporairement son implication en Irak pour mieux faire avancer ses intérêts communs avec l’Occident et obtenir des concessions.
Tout dépendra de la conduite de l’administration Obama, qui a déjà perdu plusieurs atouts. Des concessions américaines sur le nucléaire iranien mettraient en péril le rôle des Etats-Unis dans la région, en particulier dans le golfe Persique, et aggraveraient encore le combat millénaire entre sunnites et chiites dans un contexte atomique beaucoup plus dangereux.
Michael Segall