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Nagib AounLibre Opinion : Le courage du mea culpa

Fatalité, manque de discernement, irresponsabilité ou obstination criminelle ? Dans les pays arabes, dans les pays du printemps naissant, il est quasiment toujours trop tard. Trop tard pour parvenir à une solution agréée par toutes les parties en conflit, trop tard pour garantir une transition pacifique, trop tard pour les despotes qui s’accrochent à un pouvoir chancelant.

Le résultat en est une déstabilisation chronique, des conflits interminables, la résurgence de haines intercommunautaires, l’irruption de mouvances extrémistes, toujours promptes à profiter des situations de crise.

Ce qui se passe aujourd’hui en Syrie est l’exemple type, mais en plus terrifiant, des tragédies absurdes qui ont meurtri l’Égypte et la Libye, le Yémen et la Tunisie, celles qui auraient pu être évitées si seulement la raison avait prévalu, si les despotes ne s’étaient pas englués dans leurs tours d’ivoire. En ne retenant pas la leçon des amères expériences vécues par ses pairs arabes, des sorts infâmes qui ont clôturé leurs parcours, Bachar el-Assad assumera, face à l’histoire, la responsabilité des crimes commis, des massacres planifiés pour l’après-chute du régime.

Tous les analystes, tous les experts en conviennent : les hommes de main du régime, les milices et autres chabbiha ne lâcheront pas facilement le morceau et même le départ de Bachar et de sa famille vers des cieux plus cléments ne les dissuadera pas de poursuivre leur sale besogne à partir de leur réduit de Lattaquié-Tartous-Banias. Une plongée dans l’enfer de la guerre civile également entretenue par la montée en force d’islamistes sunnites, par l’irruption sur la scène syrienne de jihadistes étrangers venus cueillir les fruits de la désastreuse politique menée par le clan des Assad depuis des décennies.

Une guerre civile qui se déroule à la lisière du territoire libanais, qui y réveille les vieux démons de la « fitna », d’une discorde jamais définitivement éteinte, maintenue dans l’antichambre d’une République menottée par les mêmes courants adverses qui ensanglantent la Syrie.

Les incidents récurrents à Tripoli, les accrochages de la haine entre Bab el- Tebbaneh et Jabal Mohsen, la survenance du phénomène el-Assir à Saïda, les dérives sécuritaires aux frontières, les tentatives ou menaces d’assassinats : les alertes sont nombreuses et augurent de bien de tempêtes à venir.

Le Liban se laissera-t-il entraîner, une fois de plus, dans des luttes qui ne sont pas les siennes, dans des combats meurtriers dont il a déjà testé les terribles conséquences? Les alliances contre-nature continueront-elles à justifier l’injustifiable, à assurer la pérennité d’arsenaux illégitimes, ceux-là mêmes dont prennent prétexte les islamistes et autres salafistes pour prendre la rue sunnite en otage ?

Une imposture amène l’autre, les abus conduisent à de contre-abus et au fil des ans les masques tombent, les auras se délitent et les « armes sacrées » finissent dans les caniveaux du communautarisme, de l’hégémonisme.
Il est loin le temps où les armes du Hezbollah étaient considérées comme celles du monde arabe dans son combat contre Israël, où Hassan Nasrallah était adulé autant par les sunnites que par les chiites. La rupture a été consommée le jour où ces armes ont humilié la rue beyrouthine, le jour où les priorités sont devenues banalement domestiques.

Dans le contexte explosif d’aujourd’hui, à l’heure où les flammes syriennes menacent de s’étendre à toute la région, de raviver les détestations intercommunautaires, de créer de nouveaux « fous de Dieu », le Hezbollah saura-t-il procéder à une autocritique salvatrice, se décidera-t-il à revoir toute sa stratégie, celle qui le lie viscéralement au régime chancelant de Bachar el-Assad et, au-delà, à l’Iran ?

Aura-t-il tout simplement le courage du mea culpa ? C’est peut-être trop rêver, croire à d’impossibles reconversions…

Libre Opinion de Nagib Aoun

Cet article est paru dans le journal libanais L’Orient  – Le Jour