Liban – l’identité arabe en jeu

Jacques Neriah

Georges Kordahi, actuel ministre libanais de l’Information, avait qualifié “d’absurde” la guerre menée depuis 2015 au Yémen en estimant qu’il était “temps qu’elle s’arrête”.  

L’ancien présentateur vedette de la télévision libanaise avait ajouté que les rebelles Houthis, soutenus par l’Iran, se défendaient “face à une agression extérieure” et que “leurs maisons, leurs villages, leurs mariages et leurs enterrements étaient bombardés” par la coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite. 

29 octobre 2021, le Royaume saoudien décide de rappeler son ambassadeur au Liban pour des consultations, et demande au diplomate représentant le Liban à Ryad de quitter le territoire dans les 48 heures.

Il décide également « d’arrêter toutes les importations libanaises”, en ajoutant que “d’autres mesures seront prises”, sans les préciser. 

Riyad a estimé que bien que les propos du ministre libanais à la télévision étaient prononcés avant sa prise de fonction officielle, ils portaient “atteinte aux efforts de la coalition” et n’étaient “pas en harmonie avec les relations historiques” entre Beyrouth et le Royaume. Les Emirats arabes unis et le Koweït ont eux aussi convoqué leurs ambassadeurs. 

Georges Kordahi, est une vedette populaire dans le monde arabe, membre de l’association libanaise « Marada » (un parti chrétien aligné avec le Hezbollah et favorable au président syrien Bachar el Assad). 

Georges Kordahi

Georges Kordahi

Les responsables saoudiens ont accusé le Hezbollah d’essayer de changer l’identité arabe du Liban en s’efforçant d’étendre l’hégémonie iranienne et en adoptant une théocratie chiite.  

Le Liban a besoin d’une réforme globale qui restaure sa souveraineté, sa force et sa position dans le monde arabe », a déclaré le prince Faisal.

« La domination du Hezbollah sur le système politique au Liban nous inquiète et rend les relations avec le Liban inutiles. » A-t-il ajouté.  

L’Arabie saoudite et le Hezbollah partagent une longue histoire de disputes, surtout depuis les batailles du Hezbollah contre les alliés saoudiens dans la guerre civile syrienne. De plus, l’animosité s’est accrue en raison de l’implication de la milice chiite dans des activités subversives en Arabie saoudite. Cette hostilité est illustrée par la branche locale du Hezbollah au Yémen, par le lancement de missiles et de drones depuis les bastions tenus par les Houthis sur des villes saoudiennes et des cibles militaires.

La décision saoudienne, considérée comme un acte anti-iranien flagrant, ignore les discussions en cours sur la détente entre l’Arabie saoudite et l’Iran, décrites par les observateurs saoudiens et arabes comme insensées.

Les sanctions imposées au Liban par l’Arabie saoudite et les États du Golfe ont une portée considérable. 

En Arabie saoudite, vivent plus de 350 000 Libanais qui soutiennent financièrement leurs familles restées au pays. Cette aide est cruciale et permet à survivre à la situation catastrophique. Avec les autres Libanais relocalisés dans les États du Golfe, le soutien au Liban s’élève à plus de 4,5 milliards de dollars par an, dont la moitié provient d’Arabie saoudite. (L’autre moitié provient des communautés libanaises vivantes à l’étranger.)

Le gel des avoirs par l’Arabie saoudite et la décision des Émirats arabes unis d’interdire les déplacements des résidents libanais vers et depuis le Liban empêchera le transfert de fonds vers des comptes chiites au Liban, destinés – entre autres – à aider le Hezbollah. 

Interdire l’importation de tous les produits agricoles est une décision de grande envergure puisque ces produits agricoles représentent 55,4% de toutes les exportations agricoles du Liban vers les marchés mondiaux. Les exportations libanaises vers l’Arabie saoudite se sont élevées à 282 millions de dollars en 2019.  Plus de 600 entités commerciales libanaises sont présentes en Arabie saoudite et leur valeur totale est estimée à 125 milliards de dollars. Pour l’heure, elles ne sont pas affectées par la décision saoudienne, mais si de nouvelles mesures punitives sont adoptées par le Conseil de coopération du Golfe et l’Arabie saoudite, le système financier au Liban pourra rapidement s’effondre.

Hezbollah

L’Arabie saoudite a choisi de lancer un défi au Hezbollah et à l’Iran sur l’identité arabe du Liban. Si le Liban accepte la démission de Kordahi ou même s’excuse auprès de l’Arabie saoudite, ce serait perçu comme une victoire saoudienne. D’un autre côté, refuser de forcer la démission de Kordahi aggraverait la situation à l’intérieur du Liban et celles des Libanais installés dans les Émirats du Golfe. Dans ce cas, le Hezbollah prouvera faiblesse mais ne peut se le permettre dans un contexte de lutte permanente pour aboutir à un pouvoir absolu dans le pays du Cèdre.

Rappelons qu’un scénario similaire s’était produit pendant la Première guerre du Golfe. Pour punir Yasser Arafat, qui s’était rangé du côté de Saddam Hussein, les États du Golfe ont expulsé 300 000 Palestiniens résidant à l’intérieur de leurs frontières. 

Voir l’intégralité de l’article sur le site anglais du Jerusalem Center

https://jcpa.org/the-battle-for-lebanons-arab-identity

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