Lettre ouverte au président Macron

Monsieur le Président,

Permettez-moi de vous faire part de mes interrogations, doutes et incompréhensions quant à votre politique concernant l’Etat d’Israël d’une part et d’autre part la lutte contre l’antisémitisme en France.

Je m’interroge sur votre action contre l’antisémitisme. Vous ne cessez de déclarer que cette maladie mentale est en progression constante, qu’il s’agit d’une honte pour la République, qu’elle est mortelle pour ses citoyens juifs (vous avez même donné des exemples) et que vous engagerez contre elle une lutte ferme. Pour autant, jamais, au-delà des déclarations n’est apparue la moindre mesure nouvelle ni policière, ni judiciaire, ni éducative.

Pire, vous vous êtes entouré de ministres qui ont participé à des manifestations dans lesquelles était scandé « mort aux Juifs ». On sait bien qu’ils clament haut et fort qu’ils ne sont qu’antisionistes… et n’entendirent pas ce qui était scandé. Mais, puisqu’ils sont pour toutes les luttes de libération nationales, pourquoi s’opposent-ils avec une telle virulence à la seule lutte de libération nationale du peuple juif ? Vladimir Jankélévitch notait finement : « L’antisionisme est une aubaine car il nous donne la permission, et même le droit, et même le devoir d’être antisémites au nom de la démocratieL’antisionisme est l’antisémitisme justifié, mis enfin à la portée de tous. Il est la permission d’être démocratiquement antisémite. » Un homme de culture comme vous, le sait bien. Alors ? Alors, les manifestations continuent, elles reçoivent des autorisations de l’Etat et BDS peut librement persister dans ses activités illégales. Est-il suffisant de participer à des commémorations, de faire une apparition dans une synagogue et de rencontrer des membres d’un establishment autoproclamé dont vous connaissez la servilité nouvelle ?

Je m’interroge en ce qui concerne votre appréciation de l’Etat d’Israël. Vous avez à plusieurs reprises affirmé qu’il s’agit d’un Etat ami. Et vous n’êtes pas le premier ; vos prédécesseurs l’avaient dit et avaient soutenu qu’ils en garantissaient la sécurité mais où était, en 1967, la France qui s’était engagée à forcer le blocus d’Aqaba mais n’a jamais envoyé le moindre Zodiac ; n’ayant ainsi tenté le moindre geste pour empêcher cette guerre, elle est directement responsable de la situation actuelle. Elle n’a pas forcé le blocus d’un détroit international mais a appliqué un embargo à Israël seulement, « son ami, son allié », comme disait de Gaulle, auteur de ce boycott. Où était-elle en 1973 lors de l’agression de Kippour ? Comment pourrait-on croire alors à la plus petite garantie ?

Je m’interroge sur l’idée d’une position politique équilibrée que martèle la France mais, s’il est juste d’exprimer de la compassion pour les populations palestiniennes, sans d’ailleurs dire qu’elles sont d’abord victimes de leurs dirigeants et des états arabes qui ont toujours refusé d’accueillir dignement leurs frères, ne serait-il pas juste aussi, même une fois seulement, d’exprimer la même compassion pour la population israélienne si souvent bombardée ? Serait-ce de l’équilibrisme ?

Dites-moi comment croire à l’amitié, ou simplement à l’empathie, voire à un intérêt discret que vous porteriez à Israël quand vous laissez voter par la France les déclarations onusiennes diverses, les plus mensongères et les plus folles dans le déni de l’histoire et de la réalité, celles qui annihilent le passé et le présent pour tenter de détruire le futur. Quelle prévention antique pousse la patrie de la culture à nier sa propre histoire ? Comment croire à la sympathie quand vous repoussez éternellement le voyage d’amitié que vous aviez annoncé ?

Nous n’oublions pas que vos prédécesseurs alléguaient des colonies dont vous savez bien qu’il s’agit d’un déni de droit. Ils parlaient sûrement en spécialistes puisque la France possède le plus grand domaine maritime du monde avec ses innombrables colonies rebaptisées départements et territoires d’outre-mer ; sans parler du référendum illégal de Mayotte (procédure toujours bloquée à l’ONU) et de celui discuté en Nouvelle Calédonie. Au minimum, problématique de la paille et de la poutre. Il fut même ouvert une représentation officielle d’un groupe qui avait pratiqué le terrorisme sur le sol français et qui est l’ennemi irréductible de l’Etat juif. Que diriez-vous de l’ouverture à Jérusalem de représentations des mouvements séparatistes de Guyane, des Antilles et d’ailleurs ? Voire de mouvements régionaux ? Serait-ce amical ?

Comment comprendre qu’un ardent défenseur de la démocratie qui, parmi les nombreux dictateurs qu’il se sent en devoir de recevoir, ose dérouler le tapis rouge et accueillir avec une chaleur étonnante, Abbas, l’autocrate à la quinzième année de son mandat de quatre ans. Pire, vous ne cessez de renflouer sans contrôle les caisses de ce corrompu de notoriété publique qui verse des salaires aux terroristes et à leurs familles. Parallèlement, vous fustigez à la moindre occasion, le plus souvent de façon injustifiée, la seule démocratie moyen-orientale dont la justice n’hésite jamais à sanctionner tout dirigeant en infraction. Cela a-t-il du sens ? Comment défendre une valeur qu’on néglige chez ses amis ?

Nous vous entendons affirmer votre lutte contre le terrorisme et l’immigration illégale. Pourtant, lorsque des Gazaouis, poussés par le Hamas, nommons ce qui doit être nommé, ont tenté violemment de franchir la frontière avec des objectifs mortifères déclarés, vous parlez de manifestants pacifistes. Puis-je rappeler qu’Israël a complètement évacué Gaza en 2005, en gage de bonne volonté et sans contrepartie et que c’est encore Israël qui fournit Gaza en tous biens à l’exception de matériel militaire. Je suppose que vous aviez considéré, en son temps, les offensives de militants de l’ETA comme des manifestations pacifistes. Vous aura-t-il fallu huit mois pour, enfin, voir la vérité ?

Amis dites-vous ? Ceci fait resurgir à ma mémoire la phrase d’Antigonos II  qu’avaient reprise Bayard, le Duc de Guise puis Voltaire, qu’un helléniste comme vous connait bien : « gardez-moi de mes amis. Quant à mes ennemis, je m’en charge ! »

Peut-être me trompe-je. Néanmoins, il me semble que les actes ont plus d’importance que les paroles. Peut-être me trompe-je encore ou peut-être l’amitié n’a pas le même sens pour vous et pour nous. J’espère encore que vous puissiez montrer le contraire.

Richard Rossin

Ancien secrétaire général de MSF, cofondateur de MdM, ancien vice-président de l’académie européenne de géopolitique.

 


Pour citer cet article

Richard Rossin, « Lettre ouverte au président Macron », Le CAPE de Jérusalem, publié le 18 novembre 2018 : https://jcpa-lecape.org/lettre-ouverte-au-president-macron/

Illustration : Emmanuel Macron recevant Benjamin Nétanyahou à l’Elysée en juillet 2017 (photo : Elysée).

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