Les négociations de Genève renforcent l’Iran
La conférence de Genève sur le nucléaire va dans le sens de la stratégie iranienne. En l’absence de menaces, avec un Occident enclin au dialogue et une Amérique affaiblie par son manque de volonté dans la crise syrienne, Téhéran se trouve en position de force pour négocier et développer sans contrainte ses ambitions politiques et militaires.
L’Iran cherche une symétrie dans ses relations avec les Etats-Unis en prouvant que sa puissance équivaut à celle de l’Amérique et qu’elle s’étend bien au-delà de ses frontières. Il a même osé expédier une flottille de bâtiments maritimes vers les côtes américaines, avec notamment un porte-hélicoptères.
La politique des sanctions s’écroule désormais au grand jour comme un château de cartes. Elle avait pourtant remporté un succès en isolant les Ayatollahs de l’arène internationale. Aujourd’hui, l’Iran sort avec fierté de sa quarantaine et obtient, sans grande difficulté, une légitimité internationale.
Téhéran estime que les négociations sur son projet nucléaire ont créé un nouveau climat qui permet de résorber la crise économique et de gagner du temps pour poursuivre son programme atomique à des fins militaires.
Pour élargir son influence au Moyen-Orient, l’Iran tente d’abord de convaincre les Emirats arabes du golfe Persique de rejoindre le camp chiite et d’accepter pacifiquement son parapluie de sécurité. Il souhaite ainsi profiter des bouleversements au sein du monde arabo-musulman pour exporter sa révolution islamique chiite.
Le 18 février 2014, soit trois mois après la signature de l’accord intérimaire de Genève, les pourparlers débutaient à Vienne pour parvenir à un traité définitif. L’Iran et les différents acteurs occidentaux ont exprimé un certain pessimisme et, dès l’ouverture de la conférence, ont mené une « guerre verbale » sur les différentes interprétations des clauses figurant dans l’accord. Sans surprise, Washington a mis en évidence les progrès accomplis, tandis que l’Iran a souligné les concessions encore à faire, notamment sur le degré d’enrichissement de l’uranium.
Pour mieux convaincre leurs interlocuteurs, le président Hassan Rohani et le ministre des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif ont lancé une « offensive de charme » en accordant de nombreuses interviews dans les médias occidentaux et en participant au Forum économique de Davos et à la Conférence sur la sécurité à Munich.
Les deux dirigeants iraniens ont réussi à tromper l’opinion internationale sur leurs intentions réelles concernant le programme nucléaire comme sur leur position vis-à-vis de la question palestinienne.
Dans des interviews à la presse allemande, Zarif a laissé entendre que si les Palestiniens signaient un traité de paix avec Israël, l’Iran pourrait accepter un jour de reconnaître Israël. Cette déclaration a surpris les diplomates occidentaux et a fait la une de la presse internationale, qui y a vu une « nouvelle politique étrangère iranienne ».
Bien entendu, nous ne sommes pas dupes : tandis que Zarif s’adressait à l’opinion allemande en termes modérés, d’autres responsables iraniens démentaient catégoriquement ses propos et tout changement de leur politique à l’égard du « régime sioniste ».
Peu après, Zarif lui-même déclarait : « La position de l’Iran concernant son refus de reconnaître le régime sioniste n’a pas varié. Ce que j’ai dit dans mes entretiens avec les journalistes allemands reflétait la situation au Moyen-Orient et les raisons des violations permanentes des droits fondamentaux du peuple palestinien par les crimes du régime sioniste, en particulier leur droit à déterminer leur propre avenir, à former un gouvernement indépendant et à revenir dans leur patrie. »
Depuis l’installation de Khomeini à Téhéran, la politique iranienne à l’égard d’Israël n’a pas varié. Lors de la célébration du 35e anniversaire de la Révolution islamique, le Guide suprême a qualifié le « régime sioniste » de « tumeur cancéreuse » et a critiqué violemment les Etats-Unis pour leur position «historiquement hostile » envers l’Iran. Khamenei a affirmé que la question nucléaire était un « prétexte permanent » pour les Etats-Unis, et qu’en fait, les négociations à Genève n’amélioreront pas les relations bilatérales, mais dévoileront au grand jour le vrai visage de l’Amérique.
Tous les dirigeants iraniens ont fait savoir que le renouvellement des liens avec Washington n’était pas à l’ordre du jour et que les pourparlers à Genève se limitaient aux questions fissiles.
En réalité, l’Iran vise à combler le vide laissé par les Américains au Moyen-Orient et à se présenter comme une puissance régionale alternative. Cette mission stratégique sera dirigée par les Gardiens de la Révolution.
Notons que le « Printemps arabe » a affaibli les régimes sunnites et que le principal allié de l’Iran, Bachar al-Assad, a réussi à survivre depuis plus de trois ans grâce à l’appui et au soutien de l’Iran et du Hezbollah chiite.
Pour sortir de sa quarantaine et donner un second souffle à son économie, l’Iran a également réussi à convaincre des entreprises étrangères de s’installer dans le pays en brisant ainsi la politique des sanctions.
En conclusion, force est de constater que la timidité américaine renforce la légitimité internationale de l’Iran tandis que la délégitimation de l’Etat juif ne cesse, hélas, de s’accroître.
Michael Segall