Les enjeux géopolitiques du gaz offshore

wikipedia-logo1Le 30 mars dernier, le flux du gaz offshore naturel en provenance du réservoir Tamar situé en Méditerranée a été inauguré en grande pompe, marquant ainsi le début d’une ère nouvelle.

Désormais, Israël est indépendant en besoins énergétiques, mais surtout il pourra devenir un exportateur mondial de gaz maritime, notamment en direction de l’Europe.

Tout a débuté le 17 janvier 2009 lorsqu’une équipe dirigée par une société texane, Noble Energy, a découvert du gaz dans le champ Tamar à l’est de la Méditerranée. Elle estime sa découverte à 9,7 trillons de cubes (TCF) de gaz naturel de pure qualité. Deux ans plus tard, la même équipe, forant à quelques dizaines de kilomètres à l’ouest, a découvert un gigantesque gisement de gaz nommé à juste titre “Léviathan”. Ce nouveau forage est estimé à contenir plus de 18 TCF et pourrait commencer à fournir du gaz à partir de 2016.

Le site Tamar n’est que le début de l’exploration en Méditerranée car l’ensemble de la quantité de gaz offshore découvert suffit pour une consommation pouvant durer plus d’un demi-siècle. Pour comparer avec l’Europe, le gisement représente plus de la moitié de ce que les 27 pays de l’Union européenne consomment chaque année.

A court terme, la Jordanie semblerait être un pays pour l’exportation du gaz car il s’agit d’une entreprise relativement simple et peu coûteuse. Toutefois, en raison de sa proximité géographique, l’Europe pourrait devenir un marché attractif. En effet, elle traverse une crise majeure d’approvisionnement de gaz offshore en raison de l’instabilité en Afrique du Nord et particulièrement en Algérie. Mais l’Asie, et en premier lieu la Chine, pourra devenir une destination préférentielle. La compagnie australienne Woodside, qui a déjà acquis un tiers des droits du site “Léviathan”, souhaite orienter la commercialisation du gaz vers l’Asie et envisage la construction d’une usine de liquéfaction.

Suite à l’amère expérience d’Israël avec l’Egypte, dont la moitié de son approvisionnement en gaz naturel a été définitivement rompu juste après la chute du régime Moubarak, Israël devrait prévoir de nouvelles infrastructures au sein de son propre territoire mais aussi au-delà des frontières, avec la Jordanie, Chypre, ou la Turquie.

Les responsables israéliens perçoivent le nouveau gazoduc traversant Israël et reliant la mer Rouge et la Méditerranée comme une alternative au canal de Suez. Cependant, une nouvelle structure fonctionnant directement d’Eilat vers les marchés asiatiques pourrait être confrontée à un grave problème stratégique, à savoir : le renforcement de la présence navale iranienne en mer Rouge.

Le “printemps arabe” et ses retombées ont prouvé que les gazoducs internationaux étaient particulièrement vulnérables et les armées arabes sont désormais incapables de les protéger ou peut être ne sont pas disposées à le faire.

Ces turbulences ont également menacé la sécurité énergétique de l’Europe. Il existe cinq gazoducs fournissant du gaz en provenance d’Afrique du Nord, principalement d’Algérie.

L’Union européenne a cherché à diversifier son approvisionnement en gaz en construisant le gazoduc Transsaharien. Mais ce dernier, qui transporte du gaz en provenance du Niger, passe par Hassi al-Rim, en Algérie, où il se raccorde aux autres gazoducs concurrentiels. Environ 18% de la fourniture du gaz d’Europe est acheminée à partir de ce site, qui se trouve donc être extrêmement vulnérable.

Tandis que la France est intervenue au Mali, la montée des islamistes en Afrique du Nord, dans le Sahara et au Sahel a menacé considérablement la stabilité des pays de la région. L’effondrement des institutions centrales a renforcé le rôle ancestral des tribus, des grandes familles et des bédouins. La présence de puits de pétrole ou de gaz à la portée des tribus prête un énorme pouvoir aux négociations. Par exemple en mars 2013, la production du champ de pétrole de Jalu, en Libye, a été suspendue durant plus d’une semaine jusqu’à ce que la compagnie Waha Oil cède en embauchant des chauffeurs et des gardiens d’une tribu locale. Dans le delta du Nil, la production de gaz naturel a été perturbée et certains champs de pétrole fermés en raison des pressions exercées par la population locale. En outre, des bédouins armés installés dans la péninsule du Sinaï ont kidnappé le patron américain d’Exxon Mobile et son épouse, puis les ont relâchés quelques heures plus tard. En Algérie, comme au Maroc ou en Mauritanie, des intérêts locaux et tribaux prévalent souvent sur les considérations diplomatiques.

Ainsi, le climat de tensions en Afrique du Nord demeure si explosif que des troubles peuvent facilement éclater et dégénérer à partir d’un problème local, insignifiant dans le contexte international et face aux besoins énergétiques extérieurs.

Devant cette nouvelle donne et le souhait de réduire la dépendance à l’égard de la Russie, l’Europe pourrait représenter pour Israël une opportunité pour signer des accords à long terme et renforcer ses relations avec son premier partenaire économique.

Bien entendu, ce projet ambitieux et grandiose n’est pas sans complications ni risques.

Sur le plan politique, les nouvelles ressources énergétiques sont un atout considérable pour le bien des populations mais aussi pour pouvoir favoriser la paix entre Israël et ses voisins. Hélas, l’expérience du passé démontre le contraire. Les efforts dans le développement économique et commercial ont plutôt augmenté la ferveur islamique contre Israël et ont renouvelé les attaques antisémites et populistes concernant le soi-disant “contrôle des Juifs sur les économies arabes”.

Alors que certains en Israël espèrent que l’exportation du gaz offshore vers la Turquie aidera à renforcer des relations bilatérales tendues, l’expérience avec l’Egypte et les Palestiniens diminue les espoirs dans ce sens.

Enfin, les nouveaux défis stratégiques, le changement de l’ordre régional et les nouvelles ressources énergétiques devront augmenter les dépenses militaires. Ils renforceront certes la position israélienne, mais dépendront aussi de la politique américaine dans cette région du monde qui s’est bien affaiblie ces dernières années.

David Wurmser

Voir l’intégralité de l’article, ses références et la carte des forages sur le site anglais du JCPA-CAPE.