Les enjeux de la crise syrienne et la stratégie occidentale
La décision du président Obama de demander l’approbation du Congrès pour pouvoir intervenir en Syrie retardera de plusieurs jours toute opération militaire punitive contre le régime d’Assad. L’engagement américain à agir en Syrie dépendra surtout de la capacité du président Obama d’obtenir un large consensus de légitimité au sein même des représentants américains et son succès n’est pas acquis d’avance.
Le régime syrien est sans doute plus faible que ne le décrivent la plupart des observateurs. Les forces rebelles continuent de gagner du terrain dans toutes les régions du pays. La détresse du régime se manifeste aussi par sa dépendance croissante à l’égard des forces extérieures telle que le Hezbollah et des volontaires venus du Liban, d’Iran et d’Irak.
Les Frères musulmans ont réussi à établir une infrastructure organisationnelle qui leur permettra un jour de diriger l’opposition et de prendre le relais après le renversement du régime. Plusieurs bataillons se sont intégrés au sein du Comité de la protection civile sous la direction de l’Armée Libre Syrienne. C’est ainsi que la confrérie islamiste envisage de prendre le contrôle des institutions gouvernementales.
Dans le cas d’une attaque américaine contre la Syrie, il est exclu que les rebelles expriment leur gratitude à Obama ou à Hollande. Ils condamneront comme de coutume les « impérialistes » et leur ambition de sauvegarder leurs propres intérêts dans la région et de soutenir Israël. En revanche, si les Américains n’interviennent pas, ils seront accusés d’être complices avec le régime d’Assad et de garder le silence face au génocide.
Une opération militaire limitée pourrait avoir des avantages car elle permettra d’insuffler un nouvel élan aux forces rebelles sans pour autant exiger une intervention étrangère de grande envergure.
Le véritable enjeu pour les Etats-Unis résidera dans leur capacité à influer sur l’issue du conflit ainsi que sur les nouveaux responsables qui remplaceront un jour le régime d’Assad. Obama devra empêcher le chaos total et prendre le contrôle des stocks d’armes chimiques pour éviter qu’ils ne tombent dans les mains des organisations terroristes.
La valse hésitation des États-Unis reflète le grand dilemme de l’Occident face à la guerre civile en Syrie, qui oppose un président alaouite soutenu par l’Iran chiite à une coalition de forces dominées par des éléments affiliés à l’islam radical et à al-Qaïda. Les deux camps ont commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité et dans ce cas il n’existe aucune garantie que l’action militaire américaine mettra un terme à ces crimes.
En dépit du fait que les autorités officielles syriennes, selon une machine de propagande bien huilée, qualifient la politique d’Obama d’« indécise » et de « moue », le régime craint une vaste opération militaire américaine qui mettra hors de combat les forces aériennes en détruisant leurs batteries, systèmes de radars, rampes de lancement de missiles et roquettes, ainsi que leurs stocks d’armes chimiques.
Une frappe américaine pourra accélérer la désintégration de l’armée syrienne, qui a déjà subi de lourdes pertes ces dernières années, ainsi que la désertion de milliers d’officiers et de soldats vers les rangs des rebelles. Assad affirme pourtant dans sa dernière interview au Figaro : « Je peux vous assurer en toute confiance que la situation sur le terrain est bien meilleure qu’elle ne l’était avant. » Mais il n’est pas certain que cette affirmation fasse l’unanimité au sein de la classe dirigeante de son propre pays car la réalité sur le terrain est totalement différente et le moral des troupes au plus bas.
Les islamistes s’opposent aussi à une intervention des Etats-Unis considérant qu’elle servirait les intérêts d’Israël. Toutefois, ils soutiendront une zone d’exclusion aérienne, un renforcement des zones de sécurité pour la population civile et un transfert d’armes qualitatives vers les rebelles.
En conclusion, l’Occident devrait recourir à la force contre la Syrie, mais dans un cadre bien défini, avec des objectifs stratégiques précis, en réfléchissant surtout, sur le long terme, aux enjeux de l’avenir de toute la région.
Jonathan D. Halévi