L’Egypte marche vers l’inconnu
Une année s’est déjà écoulée depuis les premières manifestations Place Tahrir. Cette révolte populaire a conduit à la chute du président Moubarak et à la prise du pouvoir des militaires. L’armée était alors la seule force qui a rallié les Egyptiens durant ces événements dramatiques et elle a sans doute joué un rôle majeur dans le renversement du régime. Au départ, les foules égyptiennes chantaient des louanges et brandissaient des slogans encourageants à savoir: “le peuple et l’armée marchent main dans la main”. Toutefois, la gestion du pays par le Conseil militaire supérieur s’est révélée problématique et a entraîné une profonde déception au sein des membres de la révolution.
Le calendrier qu’a présenté le Conseil militaire supérieur concernant la passation du pouvoir aux nouvelles institutions élues et la formulation d’une nouvelle Constitution a été beaucoup plus long que prévu de la promesse initiale des généraux évoquant une période de six mois.
Le décalage dans l’ordre du jour a soulevé le soupçon que l’armée programme de rester au pouvoir. Le Conseil militaire supérieur n’a pas non plus réussi à entretenir un dialogue à l’échelle nationale et n’a pas réussi à rapprocher les cœurs. Ainsi, la scène égyptienne s’est transformée en arène d’affrontements entre les différents courants islamiques et laïcs, et même entre les partis islamistes eux-mêmes. En outre, les relations entre musulmans et coptes se sont détériorées et ont été réprimées violemment par l’armée qui a refusé aux coptes l’égalité de leurs droits. L’armée a échoué complètement dans l’initiative de réformes socio-économiques prétendant qu’elle ne représente pas un gouvernement élu et donc ne peut apporter des modifications majeures. L’armée a également eu de grandes difficultés à maintenir l’ordre public. Détenant les pleins pouvoirs elle a émis des décrets sévères qui ont nui à la liberté civile (comme le jugement des citoyens par les tribunaux militaires et l’interdiction de grèves). Ces décrets ont provoqué l’intervention d’organisations internationales pour les droits de l’Homme et par la suite leur abrogation par l’armée. Durant cette année écoulée l’économie égyptienne s’est détériorée et le pays se trouve actuellement en pleine crise économique grave ce qui provoquerait de nouvelles manifestations violentes dans les mois à venir.
Les élections présidentielles auront lieu probablement dans le courant de l’été prochain et la question est de savoir si le nouveau Parlement composé des deux chambres réussira à formuler une nouvelle Constitution. La victoire écrasante des islamistes avec soixante dix pour cent des sièges a surpris non seulement les observateurs étrangers mais surtout les égyptiens.
L’Egypte se trouve actuellement dans la croisée des chemins et dans une grande confusion. Que va devenir “la dictature laïque” de Moubarak? Va-t-elle être remplacée par un régime islamique musclé? Le nouveau Premier ministre qui sera probablement un musulman d’une croyance pieuse maintiendra-t-il les droits élémentaires de l’Homme, défendra t-il la liberté d’expression, l’égalité aux femmes et aux minorités, et en particulier celle de la minorité copte? Nous pouvons en douter.
Bien que les Frères musulmans et les Salafistes s’abstiennent pour le moment de présenter un candidat aux présidentielles, et diffusent des messages apaisants à la population égyptienne en tentant de rassurer l’Occident, ils se compliquent dans des déclarations contradictoires qui ne font que renforcer les soupçons envers leur intention d’aboutir à une islamisation complète de l’Egypte.
Sur la politique étrangère, les Frères musulmans emploient aussi un double langage. Certains porte parole déclarent qu’ils ne porteront pas atteinte aux accords internationaux à savoir le traité de paix avec Israël, tandis que d’autres affirment vouloir les adapter à leur guise. Rashad Bayoumi, le numéro deux de la confrérie a déclaré à l’Agence de presse allemande que son mouvement prendra toutes les mesures juridiques contre l’accord de paix. Selon ses propos, le traité de paix n’engage pas la confrérie: ” nous le présenterons au peuple ou au Parlement élu afin qu’ils expriment leur avis”. Bayoumi a souligné que les membres de son mouvement “ne pourront jamais s’asseoir avec des Israéliens et ne mèneront pas avec eux des négociations.”
En conclusion, la profonde déception à l’égard du Conseil militaire supérieur, les déclarations contradictoires des partis islamiques, nouveaux maîtres de l’Egypte, les conflits internes, et les actes de violence qui se propagent indiquent clairement que le pays plonge dans une crise profonde et marche vers l’inconnu.
Zvi Mazel