Le Sinaï plonge l’Egypte dans un bourbier
Le 22 mai dernier, sept Egyptiens – six policiers et un soldat – kidnappés dans le Sinaï ont été libérés sains et saufs. De longues tractations ont été menées entre un représentant de la sécurité militaire, un cheikh salafiste et un dignitaire de la tribu bédouine Swarka. Selon la version officielle, aucune concession n’a été faite ; cependant les ravisseurs courent toujours. Ils ont compris combien leur position était intenable : l’Egypte a refusé de céder à leur chantage. Pour une fois, la classe politique toute entière et l’opinion publique ont condamné l’opération. L’armée a massé hélicoptères, blindés et forces spéciales dans le Sinaï en vue d’un assaut ; furieux de l’attaque contre leurs collègues, les policiers ont bloqué le poste frontière de Rafah, et des milliers de Palestiniens se sont trouvés pris au piège. Inquiet, le Hamas a proclamé qu’il n’était pour rien dans l’affaire.
On attend toujours un communiqué de revendication. On sait que les ravisseurs ont réclamé la remise en liberté de dizaines de terroristes djihadistes impliqués dans les attentats de Taba et Charm al-Cheikh en 2004 et du nord Sinaï en 2011. Certains sont sous le coup d’une condamnation à mort. Selon des « sources provenant de milieux salafistes » publiées dans les médias, ces terroristes se réclament de l’organisation « Al Tawrid wa al Jihad », la plus puissante du Sinaï. Se réclamant d’al-Qaeda, elle regroupe des djihadistes égyptiens, des salafistes de Gaza et des Bédouins traditionnellement hostiles au pouvoir central. Tous appartiennent à la faction la plus dure de l’Islam, les « Takfiri », apparus en Egypte dans les années soixante-dix sous l’impulsion de Frères musulmans.
L’un des chefs du djihadisme en Egypte, le cheikh Nabil Naim, a déclaré au quotidien AlShark alAwsat que la Confrérie des Frères musulmans, au pouvoir en Egypte, entretient des liens étroits avec les djihadistes au Sinaï et se garde bien de les heurter. Deux raisons à cela : tout d’abord, ils partagent la même idéologie et aspirent au rétablissement du califat ; ensuite le régime se réserve la possibilité de faire appel à eux dans sa lutte contre l’opposition. C’est pourquoi le président Morsi a freiné les tentatives de l’armée pour libérer les otages par la force. Les généraux pensent, eux, que les organisations terroristes au Sinaï sont un danger pour l’Egypte. Ils n’oublient pas le massacre de seize soldats en août dernier par des djihadistes toujours en liberté. Une vaste opération a pourtant été lancée à l’époque : l’armée a engagé des blindés – en violation de l’annexe militaire au traité de Camp David – avant de les retirer sous la pression d’Israël. Cependant, Israël a accepté l’augmentation du nombre de soldats dans la zone démilitarisée.
Quelques 2 000 terroristes appartenant à des formations djihadistes regroupant des Egyptiens et des Palestiniens associés à des Bédouins opèrent toujours dans le Sinaï. Difficile de les repérer dans un territoire aussi vaste. Ils n’hésitent pas à lancer des raids contre des postes de police, des barrages routiers ou des patrouilles militaires ; opérations qui font peu de victimes mais portent atteinte au moral des troupes et au prestige de l’armée. C’est en vain que l’état-major attend le feu vert du régime pour y mettre fin. On le voit bien dans l’affaire de la dernière prise d’otages : Morsi n’a jamais condamné les kidnappeurs, se contentant de demander libération des otages. Face à l’indignation publique qui a grandi contre son inaction, il a finalement donné son accord à une opération militaire. Sans attendre, les ravisseurs ont alors libéré les sept hommes.
A l’origine de la situation actuelle, il y a bien sûr l’état catastrophique de la péninsule du Sinaï, négligée depuis des années par le pouvoir central. La frustration née du manque d’infrastructure et de développement fait des Bédouins une proie facile pour les islamistes cherchant à infiltrer la région. Le Hamas, à la tête des réseaux de contrebande d’armes mis en place en coopération avec l’Iran, encourage cette infiltration.
La Confrérie se trouve bien embarrassée, partagée entre la nécessité de pacifier la péninsule et la crainte d’ouvrir un nouveau front alors que grandit l’opposition intérieure. Et puis comment ramener le calme sans s’opposer au Hamas, qui appartient aux Frères musulmans, les a aidés à renverser Moubarak et reste leur allié contre Israël ?
La situation n’est pas moins inquiétante pour Israël. Confronté à des tirs de missiles et à des attaques dans le sud, sans parler du flot d’armes et de munitions qui inonde la péninsule et Gaza, il prend sur lui de ne pas riposter. Heureusement, la coopération discrète entre les services de renseignement des deux pays se poursuit – pour le moment.
Des voix s’élèvent en Egypte pour demander la révision du traité de paix avec Israël. Apparemment les Frères musulmans ne saisissent pas que la solution ne passe pas par davantage de soldats à la frontière avec Israël, mais par une politique de développement économique et sécuritaire dans le Sinaï.
Zvi Mazel
Retrouvez cet article sur le site du Crif.