Le nouveau Proche-Orient

Depuis la nuit des temps, le Proche-Orient a été le théâtre de manœuvres et de découpage irréel et éphémère. Cette région  du monde, berceau des religions monothéistes, a connu dans son histoire de nombreuses invasions étrangères, de mutations perpétuelles et des changements de frontières entre les diverses nations et les populations.
Depuis l’effondrement de l’empire ottoman, le Proche-Orient demeure un foyer de crises permanentes, de conflits à répétition, d’instabilité des régimes, de coups d’Etat et d’interventions étrangères. Une succession de traités et conférences internationales souvent imposés et contradictoires et rarement  respectés à la lettre. Les diplomates se creusent toujours les méninges pour mieux comprendre la marche de cette zone de toutes les  convoitises.
Après la signature des accords Sykes- Picot en mars 1916 et le partage du Proche-Orient entre l’Angleterre et la France, cette région du monde fut marquée par la rivalité entre les grandes puissances, la domination des ressources naturelles et la course de l’armement.
Dans les accords de Yalta signés après la Deuxième guerre mondiale, le Proche-Orient  n’avait  pas été défini comme zone d’influence des Etats-Unis ou de l’Union Soviétique. Toutefois, le canal de Suez, les puits de pétrole et les livraisons d’armes ont incité les puissances à la compétition et cette région est devenue très rapidement l’arène de la confrontation.
Les intentions des Puissances d’intensifier leur influence et la fragilité des régimes arabes ont approfondi les clivages entre les belligérants et ont perpétué la déstabilisation du Proche-Orient.
Aujourd’hui encore, les réserves de pétrole qui dans cette région sont les plus riches de la planète, focalisent les enjeux stratégiques, militaires et économiques du monde.
La création de l’Etat d’Israël en 1948 considérée par les arabes comme « un corps étranger » a provoqué « l’unité de la Nation arabe » et a déclenché un conflit difficile, complexe et douloureux qui n’a pas été résolu à ce jour.
Ce conflit demeure compliqué et permanent car les intérêts en jeu sont variés et souvent contradictoires et surtout parce que les parties en présence revendiquent avec force la même terre en se prévalant des mêmes droits historiques exclusifs. Toutefois, le conflit israélo arabe n’est pas le seul problème qui n’a pas été réglé. Durant ce dernier demi siècle, on a enregistré 21 conflits, tel hier au Yémen et aujourd’hui au Liban en passant par la guerre Iran-Irak qui a bouleversé les équilibres militaires et stratégiques et a fait plus d’un million de victimes. Le marché pour les canons absorbe au Proche-orient plus de 35 pour cent du commerce international des armes. L’effort de guerre et le fardeau de la défense ont engagés les régimes à une spirale infernale provoquant des faillites économiques au sein de populations à forte croissance démographique.
Plusieurs autres antagonismes  internes, des rivalités, des haines  et conflits frontaliers ont créé une scission brutale dans le monde arabe qui s’est aggravée considérablement depuis l’invasion américaine en Irak et a déclenché une confrontation sanglante entre les deux composantes de l’Islam : les shiites et les sunnites.
Ces dernières années  se sont greffées de manière flagrante des considérations religieuses poussées au paroxysme de la violence et de la terreur. La menace du terrorisme demeure un facteur stratégique considérable. Ce fléau n’est pas seulement un moyen tactique de violence de faible envergure, il risque de constituer une menace stratégique que nous devons éradiquer impérativement. La menace du terrorisme non conventionnel et le scénario terrifiant d’un nouveau « méga attentat » sont depuis septembre 2001, omniprésents en Europe et surtout au Proche-Orient.
La situation est explosive et risque d’embraser toute la région. Depuis la fondation de l’Etat d’Israël , le Proche-Orient  n’a pas connu un seul jour de paix en dépit de l’établissement de relations diplomatiques entre l’Etat juif et ses deux voisins arabes : l’Egypte et la Jordanie et la signature des accords d’Oslo avec l’Autorité palestinienne.
La poudrière proche orientale voit malheureusement des forces de désordre et d’incertitude, animées par plusieurs facteurs liés directement par l’influence grandissante de l’Iran des Ayatollahs et de l’étendard shiite :
La menace nucléaire iranienne. Ses missiles à longue portée et la bombe atomique. Pour la première fois dans l’histoire du Proche-Orient  un pays menace de détruire un Etat souverain voisin et de le rayer de la carte. Israël prend très au sérieux les déclarations du président iranien mais ne pourra agir seul. La menace iranienne concerne tout le bassin méditerranéen dont l’Europe. Une démarche diplomatique énergique associée de mesures fermes est impérative car une guerre ouverte et foudroyante contre l’Iran serait catastrophique pour la région entière.
La fragilité du régime libanais. Les menaces de guerre civile et le renforcement du Hezbollah shiite.
La présence de la FINUL au sud Liban a écarté momentanément le tir des roquettes sur les villages israéliens de la Galilée mais ne peut garantir la stabilité du régime pro-occidental à Beyrouth. Le Hezbollah n’a pas été démantelé et réussit d’une manière malicieuse à se réarmer, par l’intermédiaire des Syriens, avec de nouvelles armes iraniennes modernes et sophistiquées. Tant sur l’échiquier militaire que sur l’arène politique, le Hezbollah est devenu incontestablement une force puissante et incontournable. C’est lui qui décide à faire la pluie et le beau temps dans le pays du Cèdre. Il est clair qu’au sein du Liban s’est établi un mini Etat shiite pro-iranien soutenu par la Syrie et qu’on pourrait intituler le « Hezbollahstan ».
En dépit du fait que le régime syrien est dirigé par une minorité alaouite, l’alliance entre Damas et Téhéran se consolide en plein jour et forme un axe clair et défini. Sans les pressions et les interventions de la Turquie au Nord et d’Israël au sud et la présence américaine en Irak, cette alliance aurait pu être extrêmement dangereuse.
La fragilité des régimes monarchiques d’Arabie Saoudite et surtout du golfe persique. Ces émirats se trouvent en première ligne face au front iranien et la menace d’al Qaida.
Les menaces à l’encontre des minorités : Les chrétiens, les Kurdes, les arméniens, les maronites, les bahaïs et les coptes.
L’unité de la « Nation arabe » est devenue fiction. Toutes les fusions et les confédérations entre les Etats n’ont jamais réussit. Le déchirement entre les pays du Levant et la crise au sein de la Ligue arabe prouvent, une fois encore, que le «  monde » arabe est une mosaïque de nations disparates dont les seuls communs dénominateurs sont la religion et la langue.
Au sein des pays arabes trois foyers demeurent explosifs :
Le Liban, l’Irak et l’Autorité palestinienne. Les dirigeants locaux, l’Europe, les Etats-Unis et ni même l’ONU n’ont pu trouver une solution adéquate.
– La présence américaine en Irak a prouvé qu’au Proche-Orient et nulle part ailleurs, une puissance militaire ne peut imposer par la force des armes un régime démocratique selon les critères occidentaux du monde libre. Désormais, les Etats-Unis ne sont plus les gendarmes exclusifs du monde. Ils ne peuvent dicter la marche d’une guerre préventive et risquent de perdre leur atout pour imposer une géopolitique de paix, une Pax americana.
Aujourd’hui, l’Irak est plongé dans le chaos mais un départ précipité des forces américaines déclencherait une guerre civile sanglante et une domination iranienne. Dans ce contexte, l’intégralité de la souveraineté irakienne finira par  éclater en divers cantons ethniques et communautaires. Le royaume hachémite voisin risquerait de tomber dans l’orbite de Téhéran.
La montée vertigineuse du Hamas lié également à l’Iran bien qu’il soit d’obédience sunnite, a crée dans la bande de Gaza un autre mini Etat  islamique: « le Hamastan ».
L’immobilisme prolongé dans les négociations de paix entre Israël et l’Autorité palestinienne  risquerait d’aggraver la situation et d’élargir la domination du Hamas en Cisjordanie. Cette nouvelle donne menacerait à l’ouest la population israélienne et déstabiliserait  à l’est, le régime jordanien pro-occidental.
L’ère des missiles artisanaux et  à longue portée.
La dernière guerre du Liban a prouvé l’efficacité des missiles lancés au nord par le Hezbollah et au sud par le Hamas. Les missiles Kassam et les Katiouchas terrorisent la population israélienne et la riposte légitime de Tsahal plonge des innocents palestiniens et libanais dans le désarroi et la détresse.
Chaque nouveau conflit armé au Proche-Orient devrait prendre la menace des missiles en considération prioritaire.
A ce jour, les israéliens et les occidentaux n’ont pas trouvé de remède. Des spécialistes se penchent jour et nuit sur la question et il faudrait attendre au moins deux longues années pour pouvoir trouver une solution et répondre efficacement contre le tir de ces missiles.
Le Proche-Orient se déchire aujourd’hui entre deux camps :
-Les pays arabes modérés pro-occidentaux et sunnites incluant l’Egypte, la Jordanie, l’Arabie Saoudite et les pays du Maghreb. Pour la première fois, Israël est admis dans ce camp et joue le rôle de stabilisateur en désamorçant les obstacles et en dissuadant les menaces.
Cependant, il faudrait de part et d’autre un courage politique pour renforcer cette alliance, écarter les menaces et signer des accords politiques et stratégiques. Dans le contexte actuel, les chances d’aboutir sont plus grandes que dans le passé et l’espoir pourrait renaître face à l’ennemi commun.
-Dans le camp adverse se trouvent al Qaida, l’Iran, la Syrie avec ses satellites : le Hezbollah au Liban et le Hamas en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, ainsi qu’un bureau officiel à partir de Damas qui tire toutes  les ficelles.

La carte du Proche-Orient s’est modifiée profondément. Les nouveaux conflits ne reposent plus uniquement sur les  frontières ni sur les territoires ni même sur les sources d’eau. Le théâtre de la guerre est désormais à caractère confessionnel. Les alliances ont changé de mains et ont basculé vers un fanatisme religieux et messianique.  Le Jihad est une guerre sans frontière car tous les moyens sont bons pour aboutir au but. Ses militants cultivent la haine, la violence et le culte de la mort, dans le temps et dans l’espace.
Nous constatons que le visage du Proche-Orient change et qu’il vire vers un bouleversement négatif et néfaste.
La confusion règne partout : entre  panarabisme et panislamisme, entre sionisme, terrorisme et antisémitisme,  entre shiites et sunnites, entre les organisations terroristes et entre les régimes corrompus et les populations devenues de plus en plus pauvres et en partie analphabètes.
La vision romantique d’un nouveau Proche-Orient idyllique et d’un marché commun riche et fructueux n’est hélas pas pour demain. Le monde libre devrait être extrêmement vigilant et pragmatique et ne plus se berner par cette vision, jusqu’au jour où le fanatisme religieux disparaîtra et laissera place à la coexistence entre les peuples et la tolérance confessionnelle.

Cet article a été publié dans le numéro 24 de “Diplomatie Magazine” (Janvier-Février 2007)