Le Liban au bord de l’abîme

Jacques Neriah

Le 3 février 2021, le président égyptien, Abdel Fatah el-Sissi, s’est entretenu au Caire avec le Premier ministre libanais désigné, Saad Hariri. Il a appelé à hâter la formation d’un cabinet “indépendant”, alors que ce dernier n’est toujours pas parvenu à le constituer.

Le lendemain, le Secrétaire d’État américain, Antony Blinken, et son homologue français, Jean-Yves Le Drian, ont appelé à la formation rapide d’un gouvernement apte à réaliser des réformes substantielles, condition sine qua non d’un soutien international. Top of Form

La crise politique et économique dans le pays du Cèdre demeure très grave et pour l’heure rien n’indique que la situation va s’améliorer.

Le Président Emanuel Macron s’est rendu à deux reprises à Beyrouth sans pouvoir régler les problèmes en cours.

Emmanuel Macron évoque la nécessité d’un « nouveau pacte avec le peuple libanais ». Référence à l’accord informel conclu en 1943 entre dignitaires politiques, alors que le Liban accède à l’indépendance. En 1989, après plusieurs années de guerre civile et de conflits régionaux, un autre « pacte de vie en commun », confirmait un partage confessionnel du pouvoir. L’accord signé à Taëf, en Arabie saoudite, prévoyait notamment la dissolution de toutes les milices…

Aoun, Nasrallah

(Arab press)

Le 9 août 2020, la France organisait sous les auspices de l’ONU, une conférence internationale de soutien au peuple libanais. Les participants s’engageaient à réunir plus de 250 millions d’euros d’aide d’urgence sous condition que l’argent ne transitera pas par les institutions, à l’exception de l’armée.

La crise économique a éclaté dans toute son intensité à la fin de 2019. L’effet de spirale a touché presque tous les secteurs et n’a épargné qu’un mini- État alternatif créé par le Hezbollah.

Aujourd’hui, un an plus tard, le Liban est un État en faillite avec la moitié de sa population sous le seuil de pauvreté, tandis que « l’extrême pauvreté » (mesurée en fonction des personnes vivant avec moins de 14 dollars par jour) a triplé de 8% en 2019 à 23% en 2020. Cela signifie que sur une population de six millions, le nombre total de pauvres est actuellement de 2,7 millions. De plus, depuis le début des manifestations, une nouvelle vague de migration a frappé le Liban, et des centaines de ses médecins, scientifiques, académiciens, – et tous ceux qui peuvent se permettre de traverser la Méditerranée – fuient vers l’Europe, l’Afrique et les Amériques.

Rappelons que le 4 août 2020, une forte explosion a dévasté le port de Beyrouth faisant plus de 200 morts, 6 000 blessés et plus de 300 000 personnes déplacées à l’intérieur du pays. Les dégâts sont estimés à plus de 15 milliards de dollars. 

Tunnel

(IDF)

Le bourbier politique n’a pas changé. Depuis la démission du gouvernement Diab en août 2020 suite à l’explosion dévastatrice du port de Beyrouth, le Liban est toujours sans gouvernement. Les donateurs internationaux potentiels ne sont pas intervenus pour aider l’économie mourante en raison de l’impasse politique, de l’implication politique du Hezbollah et de l’incapacité du gouvernement à initier et à adopter les réformes requises par les pays donateurs. Fin janvier 2021, la pandémie de Covid-19 et la grave crise économique ont obligé les Libanais de manifester massivement dans les rues. Les affrontements contre les forces de l’ordre, policiers et soldats furent violents en utilisant dans les deux camps des balles réelles, des grenades et bouteilles incendiaires.

Hizbullah funeral

Dans cette situation désastreuse, il n’y a qu’un seul gagnant à ce jour : le Hezbollah. Il a réussi à resserrer son emprise sur la communauté chiite et les pauvres au sein de la population libanaise. Grâce à son système parallèle, le Hezbollah entretient, alimente, finance, éduque et fournit des soins de santé, un système bancaire et des supermarchés spécialisés pour ses membres. Il accorde même des prêts malgré les sanctions américaines qui visaient son système financier. Le Hezbollah détient la clé de la formation du gouvernement car il est perçu comme le véritable arbitre du corps politique libanais et le « faiseur de rois ».

Cependant, la position spéciale du Hezbollah a provoqué la colère d’une grande partie de la société civile car la milice chiite a attaqué violemment les manifestants et réprimé les manifestations contre la situation économique. 

( https://youtu.be/fBn79L6j_RA

Désormais, le Hezbollah ne fait plus consensus national au Liban, et ses activités et ses positions sont examinées à la loupe et par des critiques sévères accusant le Hezbollah d’être la source ultime de la crise constitutionnelle au Liban.

Dans ce contexte et en attentant toujours un miracle, comment donc sortir de la crise et quelles sont les principales options ?

Une guerre civile n’est plus à exclure et d’ailleurs les différentes milices se préparent à une telle situation. Cela pourrait être le prolongement de la guerre civile précédente, qui a pris fin en 1990 et a redistribué le pouvoir entre les différents partis sectaires. Une telle guerre pourrait créer une situation dans laquelle des puissances étrangères viendront au secours et interviendront. Le Liban sera alors le théâtre d’un conflit entre l’Arabie saoudite, l’Iran, la Russie, Israël, les États-Unis et d’autres parties. La fin de ce scénario n’est pas prévisible.

Dans un Liban déchiré par une guerre civile, il est probable que le gouvernement central échouera à imposer une trêve aux hostilités. En conséquence, la partition territoriale du Liban se confirmera sur le terrain :

  • Le Mont-Liban- canton chrétien.
  • Beyrouth-Ouest- Dahiya- quartier du Hezbollah.
  • Sud Liban et la vallée de la Bekaa le long de la frontière nord avec la Syrie- domination chiite.
  • Le Chouf (dans le sud du Mont-Liban) – bastion druze.
  • Les sunnites partageront des parties de Beyrouth, Sidon et Tripoli.

Cette partition, reflète en réalité la situation actuelle au Liban, mais elle ne signifie pas que le gouvernement central va disparaître. Il survivra comme symbole mais sans aucune prérogative ni influence. Il s’abstiendra d’engager des troupes au nom de l’un des camps. Cependant, la vive crainte qui se dégage de la disparition du gouvernement libanais pourrait déclencher une confrontation entre les différentes communautés sur l’identité politique du Liban.

Dans ce cas, on pourrait facilement envisager une tentative du Hezbollah de prendre le contrôle de Beyrouth et de s’imposer grâce à sa puissance militaire. L’armée libanaise n’a aucune chance de gagner cette bataille car elle est elle-même divisée en formations militaires sectaires. Dans ce contexte, il est fort probable que les Ayatollahs iraniens sauteront sur l’occasion et se précipiteraient pour consolider l’emprise du Hezbollah sur tout le Liban. 

Un tel scénario dépendra surtout de la réaction d’Israël. Pour l’heure, l’armée syrienne est en déconfiture suite à la guerre civile et donc ne peut intervenir comme elle l’a fait en 1976, suite à un appel au secours du président maronite de l’époque Soleimane Frangié.

Le Liban plonge actuellement dans un marasme politico-économique sans issue. Des élections présidentielles et législatives sont prévues qu’en 2022. Y-aura-il un véritable changement d’ici là ? Qui sait ?!