Le désengagement américain du Moyen-Orient
Le désengagement américain du Moyen-Orient ne laisse pas d’inquiéter. Récemment encore, une source du Département d’Etat américain a déclaré au quotidien koweïtien Al Rai que la Confrérie des Frères musulmans ne constituait pas un danger pour les Etats-Unis ; pour preuve, Washington n’avait pas demandé à l’inscrire sur la liste des organisations terroristes. Ce dernier point est exact mais était-ce le moment de le rappeler alors que l’Egypte – alliée traditionnelle de l’Amérique au Moyen-Orient – a justement qualifié la Confrérie d’organisation terroriste et l’a interdite ? Les Frères y ont vu un signe d’encouragement. De fait, depuis le début des manifestations contre Moubarak en janvier 2011, Washington soutient la Confrérie et a même suspendu une partie de son aide militaire à l’Egypte pour protester contre l’éviction de Morsi.
On se perd en conjectures sur les raisons de cette politique. Il n’y a pas si longtemps, l’administration Obama se glorifiait d’avoir éliminé Oussama Ben Laden, ennemi numéro 1 de l’Amérique et fidèle disciple de deux illustres Frères. L’un, Abdullah Azzam, Palestinien membre de la branche égyptienne de la Confrérie et l’un des fondateurs d’Al-Qaïda, a été son professeur et son mentor ; l’autre, Mahmoud Qutob, le frère du théoricien de la Confrérie Sayed Qutob, père de l’idéologie qui a donné naissance à l’Islam radical, fut son professeur à l’université de Djeddah. Par ailleurs, Abdel Rahman, le cheikh aveugle artisan de la première attaque contre le World Trade Center en 1993 (crime pour lequel il purge une peine de prison à vie aux Etats-Unis) était le chef de la Al-Gama’a al-Islamiyya, un mouvement dérivé de la Confrérie responsable de l’assassinat du président Sadate ; c’était aussi un grand ami de Ben Laden, avec lequel il avait combattu en Afghanistan. La liste est encore longue… Depuis 85 ans, les Frères musulmans et leurs émules s’attaquent aussi bien à leurs coreligionnaires musulmans qu’à l’Occident. Et pourtant, ceci n’a pas persuadé l’administration Obama de voir la Confrérie comme un danger. Des rumeurs font état de la présence d’Arabes américains en lien avec le mouvement à la Maison Blanche, au Département d’Etat et jusqu’au Bureau du Contre-terrorisme. Des listes de noms circulent ; difficile pourtant d’y croire.
L’Egypte fait les frais de cette situation. Elle a désespérément besoin des équipements militaires dont Washington a suspendu la livraison – notamment les hélicoptères Apache et le matériel de surveillance sophistiqué – dans son combat contre le terrorisme des Frères et des mouvements djihadistes. Des armes à destination du Caire, achetées en toute légalité à la Pologne, ont été saisies par la douane allemande en vertu de l’embargo sur les armes imposé par l’Union Européenne. Américains et Européens ostracisent donc d’un commun accord l’Egypte, le plus grand pays arabe, en lutte contre l’Islam radical. Celle-ci se tourne en désespoir de cause vers la Russie : un énorme marché d’armes d’un montant de trois milliards de dollars est sur le point d’être signé.
Le désengagement américain a provoqué une crise de confiance avec l’Arabie saoudite et les pays du Golfe, déjà inquiets que Washington ait négocié en secret avec l’Iran, qu’ils considèrent comme une menace majeure. En réaction, ils ont annoncé qu’ils financeraient le marché d’armes russo-égyptien. Obama, de son côté, a décidé de reporter sa visite prochaine à Riyad ; signe que les relations entre l’Arabie Saoudite et les Etats Unis sont au plus mal. Le fait est qu’elles se sont détériorées après les attentats du 9 septembre 2001, où 16 des 18 terroristes étaient des Saoudiens. Riyad avait essayé de rétablir la situation en bannissant la Confrérie des Frères musulmans tandis que des Imams saoudiens publiaient des Fatwas condamnant le terrorisme. C’est pourquoi l’Arabie saoudite a tant applaudi la chute de Morsi. C’est aussi la raison du conflit ouvert avec le Qatar, champion de la cause des Frères musulmans : Riyad, les Emirats arabes et Bahreïn viennent de rappeler leurs ambassadeurs à Doha.
Le Moyen-Orient vit une crise grave comme il en connait malheureusement depuis l’éclatement de l’Empire ottoman. Les pays de la région n’ont jamais vraiment réussi à développer leur économie malgré les énormes ressources dont ils disposent ; ils avaient recours à l’aide des grandes Puissances comme l’Angleterre, la France, l’Amérique ou l’Union Soviétique. L’échec du printemps arabe a encore aggravé la situation. La Somalie, la Libye, la Syrie, l’Irak et le Yémen se disloquent ; le Liban est au bord de l’abîme, le Soudan aussi. Seuls les royaumes traditionnels – Arabie saoudite, pays du Golfe, Jordanie, Maroc – restent stables, mais pour combien de temps ? L’éclatement de la Libye a été catastrophique et ses énormes stocks d’armes tombés aux mains des pillards alimentent le terrorisme en Egypte et dans la région. Partout, on assiste à une formidable poussée de l’extrémisme et du fanatisme. Le Moyen-Orient peut exploser à tout moment.
Et l’Amérique ? Des pays qui comme l’Arabie Saoudite, l’Egypte et les pays du Golfe s’étaient montrés des alliés fidèles pendant des dizaines d’années ne peuvent plus compter sur elle. Or, on le sait, la nature a horreur du vide. Qui viendra donc remplacer les Américains au Moyen-Orient ?
Zvi Mazel