Le crépuscule des Frères

wikipedia-zmMauvaise passe pour les Frères musulmans. Leur victoire en Egypte avait rendu possible leur vieux rêve de restaurer le califat ; ils tombent aujourd’hui de haut et peinent à accepter la nouvelle réalité. Le coup est dur pour l’Organisation Mondiale de la Confrérie (OMC), fondée dans les années 1930 par Hassan el Banna, qui réunit aujourd’hui des leaders déchus chassés de leur pays ou l’ayant fui par crainte des persécutions.

Un nouvel espoir était né avec le triomphe de Morsi, salué comme le premier pas d’une conquête des pays arabes rendue possible par le « Printemps Arabe ». En Tunisie le parti des Frères « Nahada » (« Renouveau ») était devenu le premier du pays lors des élections tenues après la fuite de Ben Ali ; au Maroc, leur parti « Justice et Progrès » a rencontré un tel succès que le roi lui a confié la formation du gouvernement. En Algérie, en Libye et au Yémen, les Frères comptent sur l’échiquier politique ; en Jordanie, ils sont à la pointe de l’opposition. En revanche, l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe sont viscéralement opposés à ce mouvement qui a donné naissance aux organisations terroristes se réclamant du djihadisme et d’al-Qaïda. Seule exception : le Qatar, un vieil allié qui a offert l’asile aux Frères fuyant l’ire de Nasser dans les années 1950. L’insignifiant royaume bédouin s’est transformé sous leur impulsion et leur influence se fait sentir dans sa politique extérieure et dans la puissante chaîne de télévision al-Jazeera. Celle-ci est devenue leur porte-voix, au point que le nouveau régime au Caire en a fermé les bureaux et emprisonné le personnel.

Les dirigeants de l’OMC, inquiets de la montée des oppositions en Egypte, notamment lors des journées de juin 2013, avaient pressé Morsi d’accepter de nouvelles élections présidentielles. Aveuglés par leur triomphe, le Président et les membres du Bureau de Guidance n’ont rien voulu entendre, précipitant leur chute et infligeant à la Confrérie une défaite peut-être irréversible non seulement en Egypte mais dans l’ensemble du monde arabe.

L’OMC ne se déclara pas vaincue pour autant. Après l’arrestation de Morsi, le 3 juillet 2013, elle lança une campagne internationale visant à rendre son siège au « président légitime ». Ibrahim Mounir, son secrétaire général qui réside à Londres, déclara le 12 juillet à Al Watan que l’armée avait « porté un coup » à « toutes les forces de l’Islam politique » et appela à la mobilisation des pays où la Confrérie est présente – environ 80. Il menaça le ministre de la Défense Abdel Fattah Al-Sissi et déclara que les Etats-Unis ne le soutiendraient pas et que l’OMC demandait à l’Union Européenne d’en faire autant. Cela revenait à dire que la Confrérie avait ses entrées à la Maison Blanche et à Bruxelles ; de fait les deux se refusent toujours aujourd’hui à soutenir le nouveau régime. Il faut encore souligner que l’expression « Islam politique » est le terme édulcoré pour évoquer les organisations terroristes djihadistes et salafistes. Les djihadistes établis au Sinaï avaient prévenu avant le 3 Juillet que l’arrestation de Morsi « ouvrirait les portes de l’enfer pour l’Egypte ».

L’OMC organisa au moins deux rencontres avec des mouvements islamiques pour tenter de rendre à Morsi « sa place légitime». Elle organisa une session spéciale sur l’Egypte lors de la conférence du parti islamiste « Sa’ada » à Istanbul le 10 Juillet 2013, où de nombreux partis étaient présents. Il y avait là Mahmoud Hussein, secrétaire général de la Confrérie en Egypte ; Rachid Ghannouchi, chef du mouvement en Tunisie ; un représentant du Hamas ou encore Ibrahim Mounir. D’après le document élaboré à l’issue de la rencontre, la chute de Morsi avait porté un coup terrible à l’Islam mondial, notamment au Hamas. On entendit d’amers reproches contre l’ex président et ses hommes – sans que leur nom soit prononcé – qui n’avaient pas su répondre aux espoirs du peuple. Un plan de campagne fut établi pour déstabiliser le régime et le discréditer : manifestations de masse, propagande, subversion dans l’armée, pressions sur les Etats-Unis pour les forcer à suspendre leur assistance militaire. Le 13 juillet, lors d’une réunion secrète au Caire, les dirigeants égyptiens de l’OMC décidèrent de cibler des officiers hauts gradés, de développer la terreur au Sinaï et de demander au Hamas d’aider à la préparation d’explosifs.

L’Egypte connut des semaines difficiles. Les confrontations toujours plus violentes firent plus de 1 500 victimes, dont près du tiers au sein des forces de l’ordre. Pourtant aujourd’hui, si le terrorisme au Sinaï est toujours virulent, la Confrérie ne peut plus mobiliser les masses. Le régime a arrêté la plupart de ses dirigeants et interdit ses activités avant de décréter qu’il s’agissait d’une organisation terroriste.

L’OMC réagit en organisant une rencontre loin des médias, au Pakistan, sous les auspices du mouvement « Jamat-e-Islami ». Elle se tint le 25 septembre 2013 à Lahore, à deux pas de la frontière avec l’Afghanistan où se trouve la plus vaste base d’al-Qaïda. Il y avait là des représentants des Frères et d’autres organisations islamiques de Jordanie, du Yémen, du Maroc, du Hamas, de la Somalie, de la Malaisie, du Soudan, de la Libye, de la Mauritanie, de la Syrie, de l’Algérie et de la Tunisie.

En fin de compte, les Frères musulmans et leurs alliés salafistes n’ont pas réussi à paralyser l’Egypte ni même à bénéficier d’un soutien populaire ; ils n’ont pas davantage convaincu l’opinion internationale de réclamer le retour de Morsi. Cependant, l’Occident n’est pas pressé d’accepter le Maréchal Sissi. Les Russes, eux, se sont empressés d’occuper le terrain ; ils ont accueilli Sissi à Moscou, où il a préparé un traité de coopération militaire et technologique qui comprendrait un contrat d’armes de deux milliards de dollars, l’Arabie Saoudite et les Emirats assurant une partie du financement.

L’Egypte a critiqué le soutien apporté à la Confrérie par la Turquie et le Qatar en convoquant leurs ambassadeurs respectifs et a rappelé son ambassadeur à Ankara. Elle n’a pas hésité à exiger (sans succès) l’extradition de Youssef Kardawi, le théologien du mouvement qui vit au Qatar.

En Tunisie, les Frères, à l’origine d’une grave crise ayant entraîné l’assassinat de deux opposants, ont su tirer les leçons des événements du Caire et ont laissé le pouvoir à un gouvernement neutre chargé de préparer des élections. Une initiative saluée en Occident comme un symbole de démocratie. La vérité est qu’à Tunis, comme au Caire, les Frères sont arrivés au pouvoir sans programme et sans savoir diriger un pays. « Nahada » reste toutefois dans la course politique et constitue le dernier espoir de la Confrérie pour accéder démocratiquement au pouvoir. Mais quand bien même cet espoir se réaliserait, cela ne compenserait pas la perte de l’Egypte.

Pendant ce temps al-Qaïda et ses satellites restent déterminés et rien, pas même le triste sort du mouvement qui a inspiré leurs fondateurs, ne les détournera de leurs sanglants objectifs.

Zvi Mazel