L’avenir des relations Israël-Japon
Durant de longues décennies et jusqu’aux années 1990, le Japon évitait d’avoir des échanges commerciaux avec l’État juif en raison de sa forte dépendance au pétrole et au gaz qu’il importait des États arabes.
Aujourd’hui, les relations entre Israël et le Japon se sont améliorées d’une manière significative. Cependant, les deux pays ont le potentiel nécessaire pour développer des relations économiques plus profondes et même géopolitiques, le Japon et Israël tirant des avantages considérables d’une coopération économique et technologique accrue, en particulier dans le domaine de l’innovation et de la coopération politique sur la scène internationale.
Le Japon et Israël ont des structures économiques très différentes. Le premier a une économie dominée par des conglomérats et de grandes entreprises, tandis que le second a une économie relativement petite mais innovante dont la croissance est largement tributaire de la myriade de jeunes entreprises de la high-tech.
Les entreprises japonaises sont mondialement connues pour leurs structures hiérarchiques rigides et leur minutie, tandis que les Israéliens sont opposés aux hiérarchies verticales et accordent la priorité à l’innovation et aux détails. Bien que deux pays aux cultures si différentes ne sembleraient pas pouvoir travailler ensemble efficacement, ces différences, en fait, leur permettent de se compléter et d’atténuer leurs faiblesses structurelles. Glenn Newman avait écrit en août 2018 dans le Japan Times : « Israël et le Japon sont le yin et le yang des pays. Et pourtant, malgré – ou peut-être à cause de – leurs différences, ils ont beaucoup à s’offrir et devraient marier leurs génies respectifs ».
Bien que ces relations entre Jérusalem et Tokyo se soient considérablement améliorées depuis que le Japon n’a plus cédé au boycott de la Ligue arabe, les deux pays doivent encore nouer des relations étroites, à l’instar de leurs alliés occidentaux et même avec la Chine.
En investissant dans des start-up israéliennes de haute technologie et en coopérant avec elles, les entreprises japonaises auraient accès à la technologie israélienne, ce qui serait extrêmement bénéfique pour l’économie japonaise et la rendrait plus innovante.
Benjamin Nétanyahou au QG de Panasonic, à Tokyo, en 2014 (photo Kobi Gideon, GPO)
Le Premier ministre, Shinzo Abe, souhaite étendre l’influence politique et militaire de son pays, et contester la montée de la Chine dans la région. Tokyo renforce non seulement ses relations avec ses alliés, mais tente également de gagner des partenaires dans la région Asie-Pacifique et dans le monde. En tant que l’un des pays les plus puissants du Moyen-Orient, Israël peut être un partenaire précieux et fournir des intérêts stratégiques importants à Tokyo.
En raison de l’amélioration des relations israéliennes avec les États arabes et de la moindre dépendance du Japon en pétrole du Moyen-Orient, ce dernier ne devrait plus être aussi prudent dans ses relations politiques avec Jérusalem ni inquiet des pressions exercées par ses partenaires arabes.
Ces dernières années, Israël s’est progressivement tourné vers des puissances non occidentales telles que la Russie et la Chine. Alors que ses relations croissantes avec la Chine ont suscité une énorme attention, celles avec l’autre superpuissance économique asiatique, le Japon, furent éclipsées.
Pour donner un second souffle à l’économie japonaise et la rendre plus compétitive sur la scène mondiale, le Premier ministre, Shinzo Abe, a lancé en 2012 un ensemble de réformes économiques qui consistent en un assouplissement monétaire, une stimulation budgétaire et des réformes structurelles. Son gouvernement cherche à utiliser l’innovation et la technologie pour accroître la compétitivité et la croissance économique du Japon. Bien que le Japon soit souvent considéré comme l’un des pays les plus avancés au monde sur le plan technologique, il a pris du retard en matière d’innovation et a perdu son avantage technologique sur des pays tels que les États-Unis, la Corée du Sud et la Chine. Le manque d’innovation est principalement imputable à la structure hiérarchique rigide des sociétés japonaises et à l’aversion culturelle pour le risque qui freine l’innovation des nouvelles technologies et décourage l’entrepreneuriat.
C’est là qu’Israël peut potentiellement jouer un rôle dans l’économie du Japon. Contrairement à la culture japonaise, qui privilégie la structure, le consensus et la minutie, la culture israélienne est plus égalitaire, plus individualiste et moins encline à prendre des risques. En conséquence, les Israéliens sont beaucoup plus disposés à développer de nouvelles technologies et à s’engager dans un esprit d’entreprise créatif, permettant ainsi à Israël de devenir l’un des pays les plus innovants et de compter le plus grand nombre de jeunes entreprises par habitant au monde. En investissant et en coopérant avec des entreprises de haute technologie israéliennes et des jeunes entreprises, les Japonais pourraient donc avoir accès à la technologie israélienne.
Plusieurs sociétés japonaises telles que Panasonic, NEC et Ricoh ont déjà entamé une coopération avec des sociétés israéliennes dans le cadre de programmes de recherche et développement (R & D) et envisagent de créer des centres de recherche et développement.
Des géants automobiles japonais comme Toyota, Nissan et Honda ont également commencé à investir et coopérer avec les start-up israéliennes pour améliorer leurs technologies automobiles. Les investissements japonais dans les entreprises israéliennes en démarrage seraient extrêmement bénéfiques pour l’économie japonaise, non seulement parce qu’ils auraient accès à une technologie dont ils n’auraient pas besoin autrement, mais aussi parce qu’un grand nombre de ces technologies seraient potentiellement essentielles aux efforts du gouvernement japonais pour créer une croissance économique durable par l’innovation.
Dans le cadre de ses réformes, le gouvernement japonais a lancé une initiative appelée « Society 5.0 », qui vise à transformer le Japon en une « société innovante » basée sur l’intelligence artificielle (IA), c’est-à-dire la simulation des processus d’intelligence humaine par des machines et notamment par des systèmes informatiques. Elle est utilisée pour apprendre comment acquérir des informations, comment les utiliser et les améliorer. Et aussi sur le Big Data, en référence à des ensembles de données trop volumineux ou complexes pour les logiciels de traitement de données traditionnels. Ces méga-données peuvent être extraites d’informations et analysées à la recherche d’informations permettant d’améliorer les décisions et les mouvements stratégiques des entreprises.
En tant que leader mondial de l’Intelligence artificielle et de la technologie Big Data, Israël peut donc contribuer dans de nombreux domaines.
Une délégation de Tsahal au Japon après le tsunami de 2011 (photo Tsahal)
Les soins de santé sont un domaine auquel les entreprises israéliennes peuvent apporter leur contribution. Avec une population de plus en plus vieillissante chaque année, le Japon cherche des moyens d’accroître l’accès de la population aux soins de santé, en particulier dans les zones rurales où se concentrent les personnes âgées.
Etant l’un des marchés financiers les plus importants du monde, le Japon affiche pourtant un retard surprenant en matière de technologie financière, derrière la plupart des autres économies avancées, voire la Chine et l’Inde. En outre, une grande partie des transactions au Japon se font toujours en espèces, ce qui en fait l’une des sociétés les plus dépendantes des espèces du monde moderne.
Alors que l’économie japonaise peut tirer un avantage considérable de l’innovation et de la technologie, les entreprises israéliennes peuvent également tirer profit d’investissements sur le marché japonais. Bien qu’Israël ait une grande capacité d’innovation, il n’a ni l’ampleur ni le marché pour son expansion. Le Japon, avec une population et un PIB 14 fois plus importants que celui d’Israël, constitue un marché potentiel énorme qu’Israël n’a pas encore exploité.
Le Japon et Israël ont également des intérêts géopolitiques communs, d’autant plus que les deux pays cherchent à étendre leur influence internationale. Au cours des dernières décennies, le Japon a mené une politique étrangère pacifiste en vertu de laquelle ses forces armées – les forces d’autodéfense – sont interdites à l’intervention étrangère et ne sont autorisées à se défendre qu’en cas de menace immédiate. En effet, l’article 9 de la Constitution japonaise d’après-guerre interdit au pays de maintenir des “forces armées” et ne permet que des “forces d’autodéfense”. Cependant, depuis qu’Abe a pris le pouvoir en 2012, il a tenté d’amender la constitution pour élargir le rôle international des forces d’autodéfense japonaises. En modifiant l’article 9 de la Constitution, le gouvernement japonais a mis fin en 2014 à la politique interdisant aux forces d’autodéfense de prendre part aux conflits étrangers. Depuis lors, les forces d’autodéfense du Japon peuvent se lancer dans une «légitime défense collective», ce qui leur permet de défendre leurs alliés.
Selon The Economist, Abe aimerait bien que le Japon abandonne les complexes qu’il a développés en raison de son histoire militariste et colonialiste et s’affirme davantage dans les affaires internationales.
Malgré une vive opposition à ses projets, surtout de la Gauche japonaise, Abe est déterminé à faire du Japon un acteur plus important de la sécurité internationale et à développer ses forces militaires.
À mesure que le Japon accroît son influence militaire dans le monde entier, il cherchera non seulement à renforcer la coopération avec ses alliés traditionnels comme les États-Unis, mais également à trouver de nouveaux partenaires. Dans ses efforts pour gagner des alliés et contrer l’affirmation croissante de la Chine dans la région, le Japon a déjà renforcé ses liens politiques et économiques avec d’autres pays de la région Asie-Pacifique, tels que l’Australie, l’Inde et les nations d’Asie du Sud-Est. Israël pourrait être un partenaire précieux pour le Japon en lui apportant d’importants avantages stratégiques.
Yoshimitsu Kobayashi, président de Mitsubishi Chemical Holdings, a déclaré : « La géopolitique est en train de changer au Moyen-Orient avec la baisse des prix du pétrole ». Ces circonstances changeantes font que Tokyo n’aura plus besoin d’être aussi prudent dans l’amélioration de ses relations politiques avec Jérusalem. Il est maintenant beaucoup plus viable pour le Japon de tisser des liens avec Israël tout en maintenant de bonnes relations avec des pays tels que l’Arabie saoudite et les États du Golfe.
Shinzo Abe a été reçu à Jérusalem par le Premier ministre en 2015 (photo Kobi Gideon, GPO)
Le commerce des armes est un domaine dans lequel le Japon et Israël peuvent développer des relations politiques et militaires. Alors que le gouvernement japonais souhaite étendre sa puissance militaire et renforcer ses forces d’autodéfense, il devra acheter plus d’armes à l’étranger. À l’heure actuelle, le Japon achète la plupart de ses armes à sa propre industrie d’armement et à ses proches alliés comme les États-Unis et la Grande-Bretagne. Cependant, Israël peut potentiellement devenir un fournisseur majeur des forces d’autodéfense japonaises.
Le Japon gagnerait beaucoup à importer des armes d’Israël, qui sont parmi les plus avancées au monde sur le plan technologique. Le Japon est un marché particulièrement attractif et potentiellement rentable pour la grande industrie de défense israélienne, qui est l’un des secteurs les plus importants de l’économie israélienne. Contrairement à la vente par Israël de produits à double usage à la Chine, qui a suscité l’inquiétude des États-Unis, il est hautement improbable que Washington s’inquiète de la vente d’armes israéliennes au Japon, celui-ci ne constituant pas une menace pour la sécurité. En fait, Washington serait probablement favorable à la coopération militaire entre ses alliés proches. En outre, la réputation du Japon en matière de droits de l’Homme et de politique étrangère pacifiste signifie que la vente d’armes au Japon ne soulèverait aucune controverse.
« Les opportunités sont immenses, l’enthousiasme est grand, car il y a du génie du côté japonais, il y en a du côté israélien », a déclaré le Premier ministre israélien Benjamin Nétanyahou lors de la dernière visite officielle de son homologue japonais à Jérusalem.
En effet, les deux pays ont un grand potentiel pour développer des liens étroits, à la fois économiques et politiques. Depuis la fondation d’Israël en 1948 jusqu’à la fin du boycott de la Ligue arabe dans les années 1990, le Japon a été empêché de nouer des liens politiques ou économiques étroits avec l’État juif. Maintenant qu’Israël a amélioré ses relations avec les États arabes, il n’y a plus aucune raison pour que Tokyo ne développe pas de nouveaux liens politiques avec Jérusalem.
Le Japon a encore plus de raisons d’étendre sa coopération économique avec Israël, en particulier dans le domaine de la technologie et de l’innovation, car les deux économies pourraient se compléter. Il n’y a pratiquement aucun obstacle à une coopération accrue des deux pays, ce qui profiterait grandement à leurs économies.
Israël et le Japon devraient donc découvrir leurs forces respectives et reconnaître l’immense potentiel de la coopération israélo-japonaise.
Shaun Ho
Pour citer cet article
Shaun Ho, « L’avenir des relations Israël-Japon », Le CAPE de Jérusalem, publié le 2 janvier 2019: http://jcpa-lecape.org/lavenir-des-relations-israel-japon/
Illustration de couverture : Benjamin Nétanyahou et Shinzo Abe en 2014 (photo Ministère japonais des Affaires étrangères)
NB : Sauf mention spéciale, toutes nos illustrations sont libres de droit.