La version iranienne de l’accord de Lausanne

wikipedia-segallLe 9 avril 2015, le guide suprême iranien Ali Khamenei et le président Hassan Rohani ont publié leur position sur l’accord-cadre conclu à Lausanne en insistant fermement sur les nouvelles lignes rouges à ne pas franchir dans les négociations.

Selon eux, la suppression des sanctions doit être immédiate dès la signature de l’accord.

Par ailleurs, ils s’opposent farouchement à une surveillance et à une inspection des sites militaires de l’Iran, notamment de ses installations et de son programme de missiles balistiques.

Les propos de Khamenei, publiés également sur son site Twitter, visaient à contrer la campagne de relations publiques que le président Obama mène depuis l’accord de Lausanne. Nous constatons donc une position d’ouverture, mais très rigide, de l’Iran tandis que les Occidentaux – à commencer par les Américains – sont prêts à aller bien loin de façon à signer l’accord final. Khamenei a maintes fois affirmé qu’il n’était pas question de discuter de l’implication de l’Iran dans la région, ni de son aide aux éléments de « résistance ».

Ces déclarations témoignent d’une certaine confiance en soi de l’Iran, qui réaffirme son rôle régional et international, bien que son comportement toujours provocateur risque d’aggraver l’affrontement persistant avec les pays de la région.

Le soutien des Gardiens de la Révolution à l’accord de principe de Lausanne et l’opposition de certains députés conservateurs du parlement iranien (le Majlis), comme Ahmadinejad, révèlent l’existence d’un désaccord total au sein du camp conservateur et peut-être même au sein des Pasdaran.

Dans l’arène politique iranienne, des interprétations diverses de l’accord-cadre de Lausanne ont été publiées par différents leaders. Ce débat houleux a pour objet le prix que l’Iran pourrait payer avant de signer l’accord définitif.

Révélées au grand jour, ces controverses constituent en réalité une composante importante de la stratégie de négociation de l’Iran. Elles visent à faire croire à l’Occident que des querelles intestines existent sur les termes de l’accord de principe, et que les parlementaires devraient aussi approuver l’accord final.

Cependant, ces querelles reflètent également de véritables divergences entre les différents courants du pouvoir iranien, en particulier entre les Gardiens de la Révolution et le ministère des Affaires étrangères, et peut-être aussi entre les Pasdaran et Khamenei lui-même.

Lors d’une journée nationale spéciale consacrée à la « technologie nucléaire », Rohani avait rendu hommage aux scientifiques iraniens assassinés. Il avait souligné « la victoire de l’Iran sur la plus grande puissance militaire et économique de la planète », en précisant : « tous reconnaissent aujourd’hui notre régime et notre rôle incontournable dans la région. Nous l’avons déjà prouvé durant les huit années de guerre contre l’Irak et sur le champ de bataille… et aujourd’hui, nous menons une diplomatie forte pour enfin redonner sa dignité à la grande nation iranienne. »

Rohani y avait également affirmé que « l’Iran ne signera aucun accord tant que les sanctions ne seront pas annulées immédiatement, le jour même de l’entrée en vigueur de l’accord. L’Iran ne renoncera jamais à sa technologie nucléaire pour atteindre la paix. Je précise que l’usine d’enrichissement de Natanz continuera ses activités ainsi que le millier de centrifugeuses installées à Fordow. Le réacteur d’Arak produira également des médicaments et du matériel médical. »

Dans un discours fleuve, Rohani a en outre déclaré que l’Iran continuerait ses recherches grâce à son « magnifique potentiel de chercheurs et penseurs qui savent parfaitement sauvegarder les intérêts nationaux ».

Le guide spirituel Ali Khamenei a souligné, de son côté, que les détails de l’accord de Lausanne avaient une importance majeure. Il a refroidi l’enthousiasme de tous ceux qui s’étaient précipités pour saluer l’accord-cadre. « L’éloge prématuré [de Rohani et de l’équipe de négociations] est dénué de sens », a-t-il déclaré, « car rien ne nous garantit que les pourparlers aboutiront à un accord. »

Il a également fait remarquer qu’il n’avait pas encore pris position sur l’issue des discussions à Lausanne pour la simple raison que rien de concret n’avait été conclu entre les parties. Faisant allusion à la déclaration des États-Unis sur le fait que« pas d’accord prévaut sur un mauvais accord », le Guide suprême iranien a précisé : « la non-signature d’un accord est plus honorable que de signer un accord qui compromettrait les intérêts et la dignité de notre pays ».

Il a réitéré sa pleine confiance aux négociateurs iraniens et accusé l’Occident de « tromperie, mensonges et trahison » en citant le communiqué publié par la Maison Blanche.

Khamenei a réaffirmé que le but de l’équipe de négociations était de réussir à parvenir à un accord et a mis en garde les Occidentaux : « si vous continuez à traîner des pieds à propos de la levée des sanctions, eh bien, nous n’accepterons aucun chantage. Nous négocierons uniquement dans le but d’éliminer les sanctions. »

Les remarques pertinentes de Khamenei étaient destinées à informer l’équipe de négociations qu’il existe bel et bien de nouvelles lignes rouges que l’Iran ne franchira jamais. Apparemment, le principe que « rien n’est convenu tant que tout n’est pas convenu » continuera à caractériser les prochaines étapes les plus difficiles de la négociation. Celles-ci comprendront précisément des questions techniques fort sensibles.

La date butoir fixée au 30 juin 2015 pour parvenir à un accord final pourrait aussi être prolongée à un calendrier ultérieur et, dans ce cas précis, les tractations se feront surtout à Téhéran et à Washington, entre Obama et Khamenei.

Les principaux changements intervenus au Moyen-Orient depuis le « printemps arabe » – ou depuis le « réveil islamique » comme le surnomme Téhéran –influenceront aussi les dernières étapes des négociations en Suisse.

Khamenei a déjà indiqué quelles sont ses lignes rouges et ses propos sont renforcés ces jours-ci par la promesse de la Russie de livrer des missiles S-300 à l’Iran.

Parallèlement, les combats font rage au Yémen. Ils opposent les Houthis, soutenus par l’Iran, à la coalition arabe dirigée par l’Arabie saoudite.

L’escalade de la violence dans la région pourrait influer sur les négociations en cours comme sur le débat intérieur en Iran entre partisans et opposants à l’accord-cadre sur le nucléaire.

Michael Segall


Pour citer cet article : 

Michael Segall, « La version iranienne de l’accord de Lausanne », Le CAPE de Jérusalem : http://jcpa-lecape.org/la-version-iranienne-de-laccord-de-lausanne/