La Turquie : l’heure de vérité

Suite aux élections de 2002, le parti de la Justice et du Développement a obtenu une forte majorité au Parlement turc. Le 22 juillet 2007, le peuple turc a renouvelé sa confiance en ce parti, et celui-ci obtiendra 46,7% des voix. En dépit de la perte de quelques sièges au Parlement dû à l’émergence  d’un troisième parti, ce mouvement demeure populaire.
Durant ses dernières années au pouvoir, le parti de la Justice et du Développement a réussi sur plusieurs plans et en particulier dans le domaine économique en surmontant une crise grave qui a débuté en 2001. Le gouvernement a maintenu une stabilité économique en collaborant étroitement avec le Fonds Monétaire International.
Les succès économiques sur le terrain ont incité le peuple turc à voter une fois de plus pour ce parti.
Aujourd’hui,  le parti de la Justice et du Développement  rédige une nouvelle constitution après avoir constaté que la constitution actuelle a été rédigée par des militaires et par des personnes ayant été choisies par les généraux. De ce fait, ils revendiquent la rédaction d’une constitution civile adéquate.
Cette prise de conscience a suscité un large soutien au sein du monde des affaires, des ONG, des syndicats, et de tous les horizons de la vie civile. Cependant, le gouvernement au pouvoir a décidé de soulever préalablement un certain nombre de points dont la levée de l’interdiction du port du voile, qui est interdit dans les universités turques. Cette mesure provoque des réticences et des réactions mitigées car la majorité de la société turque considère le port du voile comme symbole politique. (NB: le 10 février 2008, le gouvernement turc a autorisé le port du voile dans les universités)
Les relations turques avec la Syrie ont généralement été  instables, en raison du fait que la Syrie a hébergé jusqu’en 1999 les terroristes du PKK kurde. Le changement est intervenu quand le chef turc des armées terrestres, le général Atilla Ates, a débarqué sur le front syrien et a lancé un sévère ultimatum: ” Si vous nous livrez pas immédiatement le groupe terroriste et son chef eh bien ce sont nos soldats qui iront les capturer ».  Le chef du groupe terroriste purge aujourd’hui une peine de  prison en Turquie. L’affaire est donc classée. Y a –t-il encore des disputes frontalières avec la Syrie ? Selon Damas,  ils en existent, mais selon Ankara, les problèmes ont été réglés.
En politique étrangère et concernant son voisin syrien, la Turquie préfère s’aligner aux USA et à Israël. Ankara considère les Américains et les Israéliens comme des alliés solides.
A propos de l’Iran, la Turquie a réussi à dissiper les fortes craintes selon lesquelles les Ayatollahs exporteront leur révolution islamique.
Toutefois, ce n’est que récemment que les relations entre les deux pays se sont réchauffées. Le 26 juillet 2007, le ministre turque de l’Energie  a signé un accord avec le gouvernement iranien pour transporter du gaz naturel de l’Iran en Turquie.
Les relations économiques entre la Turquie et l’Iran ont connu de nombreux obstacles.
Il y a quelques années, la principale société turque de téléphone portable, Turkcell, a obtenu un appel d’offre important en Iran. Après avoir traversé toutes les étapes, et avant de mettre en œuvre toute l’infrastructure et le système téléphonique avec nos partenaires, le parlement iranien décide de geler tout. Des millions de dollars furent gaspillés inutilement. Un incident similaire s’est produit avec la compagnie qui gère la logistique des aéroports en Turquie. L’ Akfen Holding, a été choisi par les Iraniens pour la gestion de l’aéroport de Téhéran. Et une fois de plus, le parlement iranien fit obstacle et ainsi  beaucoup d’argent fut jeté par les fenêtres.
Nous sommes en Turquie très inquiets à propos de la crise irakienne et l’influence grandissante de l’Iran sur nos frontières. C’est un problème crucial et immédiat. Par conséquent, du point de vue turc, nous devons tout d’abord contrecarrer toute tentative iranienne de pénétrer en Irak. Par la suite, cela n’empêchera pas de négocier directement avec l’Iran pour régler les problèmes en cours.
Cependant, trois heures après le raid israélien en Syrie, effectué selon des sources étrangères le 6 septembre 2007, le gouvernement iranien a envoyé un avertissement à la Turquie en le mettant sévèrement en garde contre toute implication dans ce raid et en déplorant la connivence avec les Etats-Unis.
Les relations entre Israël et la Turquie se sont considérablement renforcées en 1999, suite au terrible tremblement de terre qui a frappé notre pays. Israël était la première nation à venir à notre secours.  Les sapeurs pompiers israéliens et le contingent de sauvetage de Tsahal ont été considérés par la population locale comme des anges venus du ciel. Ils ont réussi  à sauver beaucoup de vies humaines. Cette formidable action humanitaire a réellement sensibilisé l’opinion publique et a touché profondément nos cœurs. Nous devrions consolider cette relation positive entre nos deux peuples.
La Turquie est devenue un corridor énergétique entre l’Est et l’Ouest.
Avec Israël, nous prévoyons la construction de plusieurs oléoducs pour l’acheminement de l’eau et du gaz naturel. Nous espérons qu’un jour, un oléoduc passera entre la Turquie et l’Irak et s’étendra jusqu’en Israël.
Concernant la question arménienne, le lobby juif au Congrès américain a généralement été  du côté  turc. Un brusque changement  dans cette attitude conduirait à une forte déception de notre part. Toutefois, je pense que la Turquie, Israël et la communauté juive américaine ont des questions plus importantes à traiter que de discuter des allégations historiques  datant de 1915.
Notre tâche aujourd’hui et de demain, est de ne pas discuter de ce qui s’est passé en 1915. Laissons cela à l’interprétation des historiens.
Ce n’est pas le moment de discuter sur le génocide arménien lorsque nous avons des questions plus importantes à l’ordre du jour comme la menace nucléaire de l’Iran, le chaos en Irak, l’intégrisme musulman, le terrorisme international et enfin, les enfants turcs tués chaque jour par les attentats terroristes du PKK. Il se peut que dans quelques années nous pourrions revenir sur la question à savoir s’il s’agissait d’un génocide ou pas, aujourd’hui ce sujet n’est pas à l’ordre du jour.
Depuis que la Turquie s’est jointe à l’OTAN en 1952, seuls quelques arméniens de la diaspora exploitent à fond cette question douloureuse et ont même gagné leur vie sur ces allégations.
En ce qui concerne les divisions internes au sein du monde musulman entre sunnites et shiites, il faut dire que le peuple turc a longtemps ignorait ces divergences. La majorité des Turcs sont sunnites comme le gouvernement mis en place à Ankara.
Sur la question de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, certains hommes politiques nous disent que nous devrions reconnaître d’abord le génocide arménien, et que la Turquie devrait céder des parcelles de  territoire pour régler des problèmes frontaliers avec ses voisins. Je répondrai premièrement, que les Européens devraient négocier préalablement sur la question de Chypre avant de se prononcer sur le sujet. Deuxièmement, je voterai contre l’adhésion de la Turquie pour qu’elle devienne membre, à part entière, de L’Union européenne. Par contre, je souhaite que mon pays adhère à l’Union douanière. Le volume d’échange entre la Turquie et l’Union européenne est évidemment important, mais je ne suis pas sûr que l’idée de son adhésion à la Communauté européenne soit bonne pour les intérêts de mon pays.
Enfin et à mon avis personnel, je ne vois pas à l’horizon une solution du conflit israélo-palestinienne. Israël devrait se doter de frontières sûres. Les enfants d’Israël comme les enfants de Palestine doivent vivre en paix et en sécurité. En tant que citoyenne turque, je ne prendrai pas partie sur cette question. Les Palestiniens  sont plus rapprochés de leurs frères d’Arabie saoudite, de l’Egypte et de la Jordanie que moi.

Mme Anydan Kodaloglu est une ancienne conseillère du Président de la Turquie, Turgut Ozal. Elle a été impliquée activement dans les relations américano-turques et israélo-turques. Ses propos sont basés sur un briefing qu’elle a donné au Cape de Jérusalem le 25 septembre 2007.