La Turquie et Israël: réconciliation pragmatique et intérêts économiques et stratégiques
Suite à de longues et pénibles négociations et tractations, au goût fort amer, un accord-cadre de normalisation a enfin été trouvé avec Ankara.
Certes, les deux parties ont cédé sur plusieurs conditions préalables, et tentent de justifier à leur manière le compromis, mais elles ont toutefois réussi à surmonter leurs divergences et à sauvegarder l’essentiel de leurs revendications tant sur le plan régional que bilatéral.
Dans les affaires internationales, les intérêts prévalent toujours et rappelons que les Etats sont des “monstres froids” pour lesquels les aspects humanitaires et moraux sont malheureusement souvent éclipsés.
Nous nous souviendrons toujours que nos soldats ont combattu héroïquement contre des terroristes embarqués sur le Marmara turc, et nous n’oublierons jamais nos chers soldats tombés dans la bande de Gaza sur le champ de bataille ou pris en otages par le Hamas. Nous avons à faire à des barbares inhumains jouant cyniquement le chantage avec les familles tout en divisant et en manipulant la société israélienne.
L’affaire de la flottille du Marmara a empoisonné depuis plus de six ans les relations entre les deux pays, et il fallait mettre un terme définitif à une situation anormale. Certes, Israël a payé de fortes indemnités aux victimes turques, et Ankara a obtenu gain de cause, mais il ne s’agit pas comme le décrivent certains journaux à sensation de « capitulation » face aux exigences de Recep Tayyip Erdoğan. Les leaders de l’opposition, et des commentateurs hostiles à Nétanyahou, tentent une fois de plus de manipuler l’opinion israélienne et d’écarter les véritables sujets en cours.
En réalité, Israël a refusé catégoriquement d’accepter une quelconque responsabilité juridique dans cette tentative malheureuse de briser le blocus maritime par la force, les soldats israéliens ne seront plus poursuivis par aucune instance judicaire. Le blocus de la bande de Gaza sera fortement maintenu et toute aide humanitaire devra passer par le port israélien d’Ashdod après un contrôle minutieux. C’est sans doute essentiel et un atout considérable face au Hamas puisque Erdogan s’engage personnellement à contrer toute tentative terroriste contre Israël et les deux services du Renseignement collaboreront ensemble comme ce fut le cas dans le passé.
Désormais, l’organisation terroriste palestinienne est dans notre collimateur. Elle agira selon l’ordre du jour que nous dicterons. Deux grands pays voisins, la Turquie et l’Egypte, veillerons à toute tentative du Hamas de lancer des opérations terroristes et d’attaquer Israël. Des gages formels ont été obtenus dans ce sens. L’accord avec la Turquie n’est pas non plus signé au détriment de la Grèce ou de Chypre avec lesquels nos relations sont toujours au beau fixe.
Israël, seule puissance démocratique de la région, prouve avec cet accord que nous sommes aussi capables de jouer l’intermédiaire pour rapprocher Le Caire d’Ankara, mais aussi Ankara de Moscou, puisque Poutine et Sissi sont favorables à la réconciliation et sont devenus des alliés incontournables de l’Etat Juif.
Quant à Washington, soulignons que l’administration Obama a aussi encouragé le rapprochement avec Erdoğan, pour pouvoir revenir en meilleur position puisque la Turquie est le seul pays musulman et sunnite qui est membre à part entière de l’OTAN.
Face à Daesh, au Hezbollah et au Hamas, la guerre en Syrie et en Irak, et à l’ultimatum de réunir une conférence internationale pour régler le problème palestinien, Israël a réussi avec cet accord à renforcer ses positions diplomatiques et stratégiques.
Sur le plan économique, Israël en tirera un très grand profit et des avantages commerciaux considérables en exportant également aux Turcs du gaz naturel. Soulignons que la Turquie est un grand pays charnière entre l’Europe et l’Asie, riche et prospère. La majorité écrasante de la population est chaleureuse, ouverte au dialogue, et souhaite ardemment entretenir de bonnes relations commerciales avec l’extérieur, notamment avec Israël. Elle ne peut tolérer la mise en quarantaine économique, les sanctions et l’isolement politique. Membre actif de l’OTAN, la Turquie dépend des Américains mais souhaite vivement s’intégrer à l’Europe et au Moyen-Orient. Elle pense que Jérusalem peut l’aider à réaliser ses projets.
Nous devrions également admettre, qu’en dépit du fougueux caractère, et de sa manière forte et totalitaire de gouverner, Recep Tayyip Erdoğan a été élu démocratiquement et pour la quatrième fois. Il demeure populaire et un dirigeant pragmatique qui connait parfaitement les limites du pouvoir et les lignes rouges à ne pas franchir. Conscient qu’un jour sa population s’abandonnera à sa colère, la grogne explosera en permanence, et son régime tombera tôt ou tard.
Au moment où nous tournons la page tumultueuse avec les Turcs et relançons le dialogue diplomatique et économique avec Ankara, nous suivrons avec vigilance et inquiétude les menaces proches et lointaines et les risques d’un nouvel embrasement dans la région. De ce fait, il était de notre propre intérêt de renforcer la stabilité de la région et d’entretenir avec ce grand pays de l’Islam sunnite des relations fructueuses et amicales.
Freddy Eytan
Pour citer cet article :
Freddy Eytan, « La Turquie et Israël: réconciliation pragmatique et intérêts économiques et stratégiques », Le CAPE de Jérusalem : http://jcpa-lecape.org/la-turquie-et-israel-reconciliation-pragmatique-et-interets-economiques-et-strategiques/