Syrie et Turquie : le rapprochement inévitable
Le rapprochement entre Ankara et Damas n’est que l’aboutissement de la politique problématique grandissante poursuivie par le parti de la justice islamiste et du développement (AKP).
Deux facteurs semblent avoir éloigné la Turquie d’Israël et la rapprocher de la Syrie. Premièrement, la Turquie a renoncé à l’aide israélienne pour faire pression sur Damas pour qu’il cesse de fournir un asile à l’organisation terroriste kurde (PKK). Deuxièmement, au cours des sept dernières années, la laïcité turque a subi une transformation islamiste profonde.
Dans ce contexte les relations entre les chefs de l’armée turque et les dirigeants de l’Etat ont évolué et l’armée n’a plus la même influence qu’avant. Aujourd’hui l’armée turque a peu d’impact sur le parti politique au pouvoir AKP; celui-ci favorise la solidarité avec les islamistes, agit avec les régimes anti occidentaux et se détache des gouvernements musulmans laïcs et modérés.
Dans cette nouvelle donne, Ankara est apparemment moins attachée à l’Europe et souhaite s’intégrer pour faire flotter son étendard et ancrer son hégémonie au Moyen-Orient. Le régime syrien d’Assad voit probablement ses relations florissantes avec la Turquie comme bonne occasion pour remodeler ses alliances régionales.
Dans cette perspective, Ankara pourrait éventuellement choisir dans un avenir indéfini un alignement plus étroit avec l’Iran, ce qui porterait gravement atteinte aux intérêts régionaux américains et israéliens. Il est donc improbable que la Turquie participera à des « sanctions sévères » pour empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire.
En octobre 2009, La Turquie a annulé la participation israélienne des exercices militaires trilatéraux prévus de longue date et annonce qu’elle procéderait à une formation militaire avec la Syrie. La décision d’Ankara a surpris tous les observateurs. En 1949, la Turquie a été le premier pays musulman à reconnaître l’Etat juif. En 1996, Israël et la Turquie ont signé un accord de coopération militaire et de défense.
Depuis la prise au pouvoir du parti islamique et au cours des sept dernières années, la laïcité turque a subi une transformation profonde en faveur de la religion. Dans le passé le paradigme de la politique étrangère de la Turquie était focalisé sur la promotion des intérêts nationaux et un rapprochement vers l’occident. Depuis ce changement, le parti AKP conçoit les intérêts turcs à travers le prisme religieux. L’armée, longtemps considérée comme le garant de la démocratie turque, n’a plus la même influence sur le gouvernement et a peu d’impact sur la politique du parti religieux, un parti qui favorise la solidarité avec les islamistes, avec les régimes anti occidentaux tels que la Syrie et le Soudan, tout en écartant les gouvernements laïcs pro occidentaux tels que l’Egypte, la Jordanie ou la Tunisie.
Pour Damas, la justification du rapprochement est plus simple et s’explique par des intérêts communs et frontaliers. Une amélioration avec Ankara peut contribuer à améliorer les relations avec un partenaire de l’OTAN et pourrait faciliter aux progrès diplomatiques avec les Etats européens.
Depuis la prise au pouvoir des islamistes, la Turquie et la Syrie ont signé 46 conventions de coopération, et aujourd’hui Damas est la capitale la plus fréquentée par les ministres de l’AKP.
Au départ, l’amélioration des relations entre Damas et Ankara ne semblaient pas avoir un impact sur les relations turco-israéliennes. En 2004, le Premier ministre turque Erdogan a condamné Israël pour l’assassinat du chef spirituel du Hamas, cheikh Ahmed Yassine et l’a qualifié d'”acte terroriste” en précisant que la politique d’Israël à Gaza était un « terrorisme d’Etat ». En dépit des condamnations, les relations militaires et stratégiques ont continué à progresser. En 2005, la Turquie a acquis chez des sociétés israéliennes trois drones et des systèmes militaires sophistiqués pour le montant de 183 millions de dollars et a annoncé la mise en place de dix sept nouveaux projets communs.
Pendant ce temps, les exercices militaires bilatéraux ont été poursuivis, de même que la coopération économique. En 2005 la Turquie était le partenaire commercial d’Israël le plus important dans la région, avec une importation de plus de 900 millions de dollars et une exportation de plus de 1,2 milliards de dollars de marchandises.
Quelques signes inquiétants ont été dévoilés à partir de février 2006. Des membres du parti AKP ont rencontré des responsables du Hamas après leur victoire électorale sur l’Autorité palestinienne. Puis, durant la Deuxième guerre du Liban, le Hezbollah, s’est réapprovisionné en matériel militaire et pièces détachées de lanceurs mobiles de missiles par l’Iran. Le transport de ce matériel miliaire a été effectué par des camions qui ont traversé la Syrie via la Turquie. Néanmoins, jusqu’à la fin de l’année 2008, la Turquie a servi d’intermédiaire dans les pourparlers de paix israélo-syriens.
Un tournant significatif au détriment d’Israël a été l’opération “Plomb durci” dans la bande de Gaza en janvier 2009. Ankara a été extrêmement critique sur l’opération, et les condamnations ont dérapé lors de la conférence économique de Davos quand Erdogan a attaqué grossièrement Shimon Pérès. Un mois plus tard, la Turquie a mis un terme à ses bon offices pour négocier un accord syro-israélien. La crise a éclaté au grand jour et Ankara a parallèlement amélioré ses relations avec Damas. Des exercices militaires communs ont été effectués, et le 14 octobre dernier, la Syrie et la Turquie ont participé à une première réunion de leur Conseil de coopération stratégique. Ainsi une ère nouvelle a débuté entre les deux pays voisins au détriment des relations avec Israël, sans pour autant que Jérusalem et Ankara n’aient rompu leurs relations bilatérales dans tous les domaines. Bien que ces évolutions soient une source de préoccupation, la Turquie reste, pour l’instant, fermement ancrée dans l’OTAN. Toutefois, il semble qu’Ankara cherchera à améliorer ses relations avec la Syrie et l’Iran, tout en maintenant ses relations tendues mais néanmoins solides avec l’Etat juif.
Dans ce contexte, Jérusalem et Washington demeurent vigilants et très attentifs et si la tendance actuelle se poursuit, la Syrie va être parmi les premiers bénéficiaires.