La stratégie iranienne face à la faiblesse occidentale
Les pourparlers sur le projet nucléaire iranien reprennent ces jours-ci à Genève dans un climat tendu et assez pessimiste sur les possibilités de parvenir à un accord global et définitif. Le guide suprême, Ali Khamenei, continue à encourager le développement du programme nucléaire en soulignant que les négociations en cours avec les Occidentaux ne pourront arrêter ni ralentir le projet car celui-ci a pour but de « renforcer la sécurité nationale » de son pays. Il s’agit là d’un premier aveu de la part d’un chef d’Etat qui affirme sans cesse que son programme nucléaire est destiné uniquement à des fins civiles.
A plusieurs reprises Khamenei a déclaré « qu’il serait impossible d’arrêter les réalisations nucléaires de l’Iran et que personne dans son pays n’avait le droit de négocier la fin du projet. »
Suite à ces propos, le porte-parole de l’Institut iranien pour le Développement de l’énergie atomique, Behruz Kamalvandi, a révélé que son pays serait capable de « convertir l’uranium enrichi de 5 % à un niveau de 20 % dans un laps de temps de deux à trois semaines seulement. »
Le président Rohani aborde la question nucléaire sous un angle différent. Dans un discours prononcé le 18 avril dernier lors de la Journée nationale en faveur de l’armée, il a critiqué sévèrement les Gardiens de la Révolution pour leur tentative de s’impliquer dans les affaires politiques du pays. Il a surtout rendu hommage aux efforts diplomatiques de l’Iran dans le cadre des négociations avec les Occidentaux. « Notre puissance diplomatique », a-t-il dit en souriant, « découle d’une volonté populaire de changement et de l’application des instructions du Guide suprême. » Rohani a affirmé que les forces de sécurité et le peuple iranien sont assez courageux pour permettre à l’équipe de négociation de sauvegarder les intérêts nationaux de l’Iran.
Les déclarations de Rohani ont suscité de vives réactions chez les conservateurs et particulièrement dans le camp de l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad. Ils accusent le gouvernement actuel de manque de « transparence » et de « capitulation » face à l’Occident. Ils affirment avec force que « la négociation en cours portera atteinte au programme nucléaire de l’Iran ».
Face aux nombreuses critiques, Rohani affirme que l’Iran continuera à revendiquer son droit à maintenir un programme nucléaire pacifique et précise qu’il ne se soumettra jamais aux pressions de ses partenaires occidentaux. Son porte-parole a affirmé que l’Iran a atteint un niveau scientifique et technologique tel qu’il peut bientôt devenir « une puissance dotée de capacités nucléaires à des fin pacifiques ». Il a précisé que « l’accord global qui sera signé à Genève prévoit de garantir le droit de l’Iran de accéder à la technologie nucléaire en conformité avec le Traité de non-prolifération [TNP]. » Il a ajouté que « les activités nucléaires iraniennes sont appliquées en vertu des lois et règlements du TNP, et que Téhéran n’exigera pas de nouvelles normes que celles inscrites dans le Traité ».
En dépit des divergences internes, il est clair que Rohani et ses adversaires politiques souhaitent atteindre le même objectif en conduisant l’Iran sur le seuil de la production nucléaire à des fins militaires. Pour le moment, le Guide suprême demeure à l’écart du débat et profite des négociations pour alléger les sanctions pesant sur le pays et améliorer la situation économique. En fait, il voit les pourparlers comme un moyen pour l’Iran de sortir de la quarantaine et de son isolement sur l’arène internationale. Toutefois, en raison des tensions internes animées par les Pasdarans, Khamenei et Rohani demeurent très pessimistes sur les chances d’aboutir à des accords concrets avec les Occidentaux, et en particulier avec le « Satan » américain.
Sur le plan régional, Téhéran poursuit sa politique en soutenant par tous les moyens son principal allié, Bachar al-Assad, et le Hezbollah chiite libanais. Il est bien conscient également des multiples tensions américano-saoudiennes et de l’échec apparent du processus de paix israélo-palestinien, tandis que le Hamas et le Djihad Islamique palestinien gagnent du terrain.
Sur la scène internationale, l’Iran constate un affaiblissement et un manque de vision de la part des États-Unis et de l’Union européenne, assez révélateur dans les crises syrienne et ukrainienne et leur position à l’égard de Moscou.
En conclusion, face à la faiblesse des pays occidentaux, il est très probable que les Iraniens adoptent un profil intransigeant et exigent peut-être même la rupture des négociations s’ils constatent que les chances d’aboutir à un accord, selon leurs propres intérêts, sont quasiment nulles. Cette politique du pire est évidemment un grave sujet de préoccupation.
Michael Segall