La singularité de la Shoah et l’indépendance d’Israël

freddy_eytanL’amour de Sion nous porte depuis des millénaires et le mouvement sioniste politique existe depuis Theodore Herzl, mais la Shoah a rendu la création d’Israël urgente, obligatoire, vitale et immanente. La création de l’Etat juif est le triomphe de la vie sur la mort, la victoire des prières entendues. Juste après la guerre, les Européens, encore troublés et culpabilisés, ont préféré tourner la page furtivement. Le Vatican a fermé ses archives. Les portes du souvenir ont été bouclées à double tour. Personne n’osait franchir les murs d’acier et vérifier les arcanes du monde de l’indifférence, remuer un passé flou et douteux. Derrière le rideau de fer, les camps de la mort résonnaient encore des cris des âmes pures et innocentes. Les cendres de nos proches, de nos coreligionnaires, ont été absorbées, englouties dans le sol européen. Les années sombres ont plongé les survivants de la guerre dans la honte et la réflexion pragmatique, matérielle. L’Europe meurtrie et ruinée par la guerre était surtout préoccupée par sa reconstruction, par le plan Marshall et par la réconciliation avec la nouvelle Allemagne du chancelier Adenauer. Le procès de Nuremberg, les condamnations des crimes de guerre et l’emprisonnement des nazis ont fermé la page, le lourd dossier. Le passé était déjà “lointain” et pour certains “mort et enterré”. Les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki par l’arme atomique ont éclipsé les atrocités de la Shoah.

L’Europe rougit de honte et souillée de sang de la guerre devait d’abord se bâtir sur les ruines des camps de concentration et des champs de bataille, et s’unir pour retrouver la paix et la sécurité. La Shoah des Juifs n’était qu’un “épisode de la guerre” et demeurait pour certains ” l’affaire des Juifs”…

Depuis le procès d’Adolf Eichmann, le monde s’est réveillé  de sa torpeur, de son indifférence dormante. Des bibliothèques ont été écrites sur l’holocauste des Juifs durant la Deuxième Guerre mondiale. D’innombrables ouvrages, des documents historiques, des films documentaires et des longs métrages, des albums individuels et collectifs ont raconté avec émotion cette grande catastrophe de l’histoire contemporaine devenue tristement célèbre. Des chercheurs se sont attelés avec acharnement à découvrir la vérité  et des instituts ont été fondés pour la mémoire de la Shoah en Europe, en Amérique et au Japon.  La chasse contre les anciens nazis a été lancée tous azimuts.

Certes, presque tout a été dit et raconté sur la Shoah, et publié avec l’appui de preuves et de documents irréfutables, et pourtant, 70 ans après le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale, on demeure perplexe face à l’hécatombe. Les grands comme les petits s’interrogent  toujours, posent des questions et se demandent comment cela a pu être imaginé, planifié et exécuté? Pourquoi cette haine féroce contre tout un peuple? Pourquoi la barque de l’humanité a-t-elle brusquement sombré en Europe? Comment la dignité et les droits de l’homme ont-ils été bafoués au XXe siècle? Pourquoi cette collaboration avec Satan? Pourquoi le Vatican et de nombreuses nations ont gardé le silence et ont laissé faire? Pourquoi Dieu miséricorde était absent? Ou était-il à Auschwitz-Birkenau? Pourquoi s’est-il caché? Pourquoi le Roi de l’univers, notre Créateur, a préféré garder le silence? Pourquoi les Juifs et le monde libre n’ont pas sonné, avec force, le cri d’alarme? Ne se sont-ils pas révoltés en masse et à temps? N’ont-ils pas refusé  la servitude! L’Esclavage!  Plus d’un million et demi d’enfants, dont le seul crime était d’être né de parents juifs, ont été massacrés durant cette guerre. Pourquoi avoir arraché des bébés de leurs berceaux et les avoir jeté par milliers dans la gueule des fours crématoires, dans les flambées du diable? Pourquoi avoir enlevé par la force bestiale un enfant des bras de sa mère et l’envoyer dans les feux de l’enfer? Qu’a-t-il fait? Quel crime a-t-il commis? Au nom de quelle justice? De quelle loi? A titre de quelle mission? Au nom de quoi, de quelle doctrine, les bourreaux ont-ils agi?

Aucune explication raisonnable à l’antisémitisme, rien n’explique la Shoah. L’aveuglement des régimes, la passivité administrative et diplomatique, l’esprit de Munich ont contribué à l’abandon des Juifs et des victimes.

Comment des dizaines de milliers d’adolescents, fébriles et innocents, portant des pyjamas rayés marqués par une étoile jaune, ont-ils  vécu ces moments terribles  avant de partir dans les trains de la mort, dans les wagons bestiaux de l’enfer? Qui sont ces enfants cachés qui ont échappé à l’abattoir, au massacre? Qui sont les Justes des nations, chrétiens, musulmans, agnostiques et athées, qui ont réussi à sauver de nombreuses vies humaines y compris au Japon, allié d’Hitler? Les questions sont nombreuses et certaines demeurent sans réponses. Notre devoir est de répondre aux jeunes, à toute une jeunesse assoiffée de connaissance et qui aspire à vivre en paix et en sécurité. Nous devons enseigner aux jeunes l’horreur des atrocités et les crimes commis d’une monstruosité  inouïe. C’est notre devoir civique.

La singularité  de la Shoah se distingue non seulement par la dimension quantitative du massacre que dans la désignation des victimes. Des hommes, des femmes et des enfants ont été marqués de l’étoile jaune, déclarés publiquement coupables puis exterminés simplement parce qu’ils étaient nés Juifs.

On assiste aujourd’hui encore à une banalisation de la Shoah.  Le mot “holocauste” est devenu trivial, et il est prononcé  trop souvent pour définir toutes sortes de situations dramatiques ou catastrophes. Le fléau de l’antisémitisme existe toujours sous différentes formes. Certains groupes et mouvements démentent publiquement la Shoah dans des articles et des tribunes y compris en Allemagne. D’autres, en France, évoquent un “détail” durant la Guerre. Des dirigeants de grands peuples, membres de l’ONU, lancent des appels à la destruction de l’Etat juif. Des écrivains, des intellectuels et des évêques intégristes contestent la véracité de la Shoah. Des leaders religieux incitent à la haine du Juif et au culte de la mort. Lors des crises financières et économiques mondiales, les antisémites se réveillent et relancent leur vague de haine contre “ceux qui détiennent le pouvoir de l’argent, les banques et les bourses”. Aujourd’hui encore, en 2013, les Juifs sont toujours sur la sellette, susceptibles d’être désignés comme les boucs émissaires. Nombreux sont ceux en Europe à penser que la crise financière est la faute des Juifs? Pourquoi?!

Nier le passé des peuples c’est nier la vérité. Tout ce qui concerne la Shoah est un devoir sacré. Il a pour but de préserver l’identité de millions d’êtres humains tués sauvagement par des hommes sanguinaires. Nous représentons fidèlement leur héritage et leurs noms. Nous sommes, respectueusement,  les fils et les filles, leurs portes-parole, leurs voix, leurs multiples échos, et leurs tombeaux vivants.

Le syndrome de la Shoah nous hante toujours car les menaces sont omniprésentes. Dans les moments où Israël regardait la mort en face, dans les circonstances terribles que nous avons vécues, avant la guerre des Six Jours en 1967,  durant la guerre du Kippour en 1973, pendant la Première guerre du Golfe et face à la menace nucléaire de l’Iran, les images de la Shoah resurgissent toujours. Le monde devrait être plus compréhensible à nos souffrances et aux malheurs de notre douloureux passé. Certes, nous réfutons la pitié et le peuple israélien n’est pas malheureux et il se défendra seul pour son existence, mais à chaque menace, devant chaque guerre, nous vivons toujours dans l’angoisse du syndrome de la Shoah. Notre pays se transforme en un ghetto assiégé et nos frontières en celles des barrières d’Auschwitz. Le repli sur nous-mêmes, nos opinions intransigeantes pour notre défense et notre sécurité sont des phénomènes naturels et devraient être pris en considération dans toutes les négociations de paix avec nos voisins arabes.

Cependant, en dépit de la barbarie de la Shoah, le peuple israélien a réussi à garder un visage humain. Sa justice implacable est toujours imprégnée par une morale universelle, celles des valeurs de la Bible et du Judaïsme. La Shoah ne devrait pas non plus servir de prétexte, une raison alléguée pour dissimuler les problèmes et les conflits, une sorte d’alibi pour ne pas éprouver la solidarité, l’empathie envers les malheurs des autres et notamment nos voisins. Les fils et les filles des survivants de la Shoah sont toujours capables de faire des concessions douloureuses pour aboutir à une paix juste et sincère. La force de notre peuple est de pouvoir, dans la douleur et la souffrance, demeurer généreux, prier pour le bonheur de tous sans distinction et poursuivre le chemin de la paix et de la justice contre vents et marées. Il est très important aussi de ne pas faire l’amalgame entre une campagne qui dénonce la politique israélienne dans les territoires et l’antisémitisme. Il est légitime de critiquer telle ou telle politique gouvernementale. Des pays européens amis, tels que la France, la Grande Bretagne ou l’Allemagne ne sont pas aujourd’hui des pays antisémites, mais il existe hélas dans ces pays des antisémites et des négationnistes notoires que nous devons ensemble combattre.

L’Europe qui a été, en juillet 1938, indifférente au sort des réfugiés juifs rescapés de l’Anschluss devrait prendre plus au sérieux le fléau du négationnisme. Bien que des lois aient été adoptées, seules des sanctions sévères, une vigilance sans relâche et surtout un programme éducatif à tous les niveaux pourront mettre un terme au négationnisme, à la renaissance de l’antisémitisme et aux nouvelles menaces.

L’ancrage de la morale et notre mémoire rendent hommage aux victimes, pour ne jamais oublier! Mettre un terme définitif à la lâcheté, à la barbarie! Au génocide! Pour ne plus que cela ne recommence! Plus jamais ça!

Freddy Eytan est l’auteur de La Shoah expliquée aux jeunes (Editions Alphée)

Vous pouvez consulter ici une liste d’ouvrages pédagogiques consacrés à la Shoah.

Retrouvez cet article sur Europe IsraëlDesinfos.com , Isranet et l’édition francophone du journal The Métropolitain.