La réalité israélienne 60 ans après

Israël célèbre son 60e anniversaire, en grande pompe, mais le cœur n’est pas toujours à la fête et le mécontentement gronde. Les feux d’artifices et les joyeuses festivités n’ont pas dissipé les nuages de morosité et d’incertitude. Nous vivons l’ère des doutes et des tiraillements dans tous les domaines et sur tous les plans.
L’environnement demeure hostile et depuis soixante années, l’Etat juif n’a pas connu un jour de paix véritable. Sur le plan intérieur, les résultats implacables de la commission d’enquête sur la Deuxième guerre du Liban dévoilent des défaillances sur les décisions prises. C’est un échec sévère de la classe politique dans l’exercice du jugement, de la prise de ses responsabilités et de la gestion des affaires de l’Etat.  Suite aux démissions fracassantes du ministre de la Défense et du chef d’état major, les successeurs agissent avec habilité  pour redorer le blason de Tsahal.
Le départ humiliant de l’ancien président de l’Etat, l’enquête contre l’ancien ministre des Finances, pour vol et malversations, le  jugement de l’ancien ministre de la Justice, pour un baiser volé…Les soupçons sur trafic d’influence dans plusieurs tractations financières, les  scandales politiques, les affaires de corruption et les disparités sociales montrent un tournant négatif et dangereux  dans la société israélienne, un phénomène qui existe d’ailleurs dans plusieurs pays démocratiques. Certaines règles de conduite admises et pratiquées sont bafouées. Les valeurs morales et l’éthique ne sont plus appliquées avec rigueur. Et pourtant, l’Etat hébreu demeure lui-même et unique et ne pourrait devenir un Etat comme les autres. La démocratie israélienne est vivace et elle est mise chaque jour à l’épreuve. Le système judiciaire est incorruptible et efficace. La presse joue un rôle important et crucial en dévoilant les scandales, les injustices et les défaillances même si souvent, les médias dramatisent les évènements et les reportages sont présentés sous un certain grossissement.
Dans aucun pays du Moyen-Orient nous connaissons une liberté d’expression aussi forte. Dans les Etats arabes et musulmans, le silence des intellectuels est flagrant et les mouvements de paix sont inexistants. La presse est muselée et les valeurs démocratiques sont bafouées au grand jour. Les opposants au régime sont arrêtés et jetés en prison.
En dépit d’une guerre permanente, du fléau du terrorisme et une surcharge de taxes et d’impôts, imputées en raison du lourd fardeau de la défense, l’écrasante majorité des citoyens israéliens préfère vivre dans leur propre pays plutôt qu’à l’étranger. Les Israéliens sont toujours  prêts à combattre et s’il le faut, mourir pour la patrie, à condition que la cause soit juste et légitime et prise sans raisons partisanes.
Cependant, les parois de l’Etat s’enlisent et l’Etat juif est devenu comme de nombreux pays démocratiques, un monstre froid.  Le système politique, économique et social risque de s’effriter. Les remaniements ministériels sont fréquents et durant ces deux dernières décennies, aucun gouvernement n’a réussi à achever son mandat de quatre ans.
L’armature morale de l’Etat commence aussi à s’effriter et la société se désagrège progressivement.
Un pays qui était au départ socialiste a compris que ce régime ne peut survivre dans un monde de la globalisation et de l’ouverture du marché.Dix huit grandes familles détiennent le pouvoir économique du pays et dictent un ordre du jour à leurs convenances et font marcher le commerce israélien et la bourse.
Mais voilà que le jeune Etat a du mal à changer de cap et passer sans douleur vers la privatisation. Le fossé entre riches et pauvres se creuse à un rythme inquiétant. Les villes de développement n’ont pas évolué depuis leur établissement dans les années cinquante. Plus d’un million de personnes vivent toujours sous le seuil de la pauvreté dont une grande partie des rescapés de la Shoah. C’est inadmissible!
La majorité des arabes israéliens vivent aussi dans des conditions de vie inacceptables et plongent dans la misère en dépit du fait qu’ils représentent un sixième de la population. La responsabilité n’incombe pas seulement à l’Etat mais aussi et surtout aux dirigeants arabes qui siègent à la Knesset et préfèrent s’occuper uniquement de la solution du problème palestinien plutôt que du destin de leurs compatriotes. Leur campagne se traduit en discours haineux et poujadistes contre l’Etat sioniste qu’il représente à la Knesset. Un cas unique au monde.
Dans ce contexte, les travailleurs étrangers deviennent une main d’œuvre accessible à l’intérieur du pays et à l’extérieur. Ce sont eux qui fabriquent les produits israéliens, construisent les maisons et les routes et assurent la vie quotidienne des personnes du troisième et quatrième âge. Comme d’autres pays à travers le monde, l’égoïsme individuel l’emporte sur les intérêts de l’Etat et de ses citoyens. Mais pourquoi cet oubli, cette ingratitude ? Comment ne pas être reconnaissant à ces pionniers, aux rescapés de la Shoah qui ne demandent qu’achever la dernière partie de leur existence, dans la dignité.
La société israélienne est bien différente de celle que nous avons connue au moment de la création de l’Etat juif. Comme plusieurs sociétés occidentales, notre société se recherche, elle est en crise et frôle la  déprime. Elle s’interroge sur son propre avenir au sein de l’Etat et sur ses relations futures avec ses voisins arabes, en particulier avec le peuple palestinien. Elle est confuse, perplexe, méconnaissable, et  manque de véritable  leadership.
Pourtant, l’économie israélienne est stable et progresse, la balance commerciale est excédentaire, la monnaie est forte et les investissements étrangers se multiplient avec des gigantesques tours, des gratte-ciel, des centres commerciaux, des banques, des universités et instituts de recherche. Un véritable paradis touristique, avec de nombreux hôtels et  palaces,  des bateaux de plaisance et  de superbes plages.
Le pays n’est plus vulnérable et il est puissant militairement. Israël entretient des relations diplomatiques avec 123 pays. Après la guerre de Kippour, Israël se trouvait isolé sur la scène internationale. Hormis le monde arabo-musulman, la Chine, l’Inde, l’Union Soviétique, l’Espagne et le Vatican, refusaient d’établir des liens bilatéraux avec l’Etat juif.
Tous le reconnaissent, le passé millénaire du peuple juif a été écrit dans le sang et les larmes, dans l’angoisse permanente d’un avenir menaçant et incertain.
Les amis du peuple juif doivent sortir les Israéliens de ce syndrome. Pendant plus de deux mille ans, nous étions locataires dans nos pays d’origine, jamais propriétaires. Depuis la création de notre propre Etat, On s’y habitue avec difficulté.
En dépit de cette ouverture vers le monde, ce petit pays se trouve obliger de se transformer en un ghetto moderne et de se défendre par tous les moyens. Aujourd’hui encore, il est  encerclé de fils de barbelés et de béton armé, d’un immense chantier de marbre, de cimetières et monuments aux morts. Les jours de souvenir sont plus nombreux que les jours de fête. Des promenades guidées sont organisées au mont Herzl, lieu où reposent les fondateurs de l’Etat et des milliers de soldats tués au combat.
La zone de turbulence pourrait être passagère et la fatalité doit être combattue avec détermination car le peuple israélien est unique, riche de sa jeunesse, de sa diversité et de son histoire millénaire. Il est toujours capable de faire des miracles. Il est vivace et généreux mais aussi, meurtri, complexé et bourré de contradictions. Israël est le seul pays au monde à ne pas avoir de frontières sûres  et reconnues. Le seul à ne pas connaître un jour de paix véritable. Le seul au monde où chaque citoyen ne peut circuler paisiblement sans ressentir la crainte d’un attentat. Le seul pays au monde où le spectre du terrorisme frappe chaque matin. Le seul où la majorité écrasante de son peuple vit toujours à l’étranger. Le seul pays au monde où sa capitale n’est pas légitimement reconnue. Un des rares pays démocratiques où les pensées et les opinions des généraux prévalent souvent sur les décisions politiques, et où la force de l’esprit et la créativité spirituelle qui étaient “la raison d’être” du peuple élu  sont sommeilleuses.
Il est temps de se réveiller de sa torpeur. De passer à l’action. De changer de cap. De penser aux vivants et aux générations futures.
Respirer et vivre ! Cohabiter en harmonie avec religieux et laïcs, séfarades et ashkénazes et s’unir pour pouvoir surmonter les défis de l’avenir. Coexister avec tous ceux qui tendent la main à la paix et combattre sans merci tous ceux qu’ils veulent nous anéantir. Il n’y a pas d’autre alternative.
Les épreuves qui ont marqué l’histoire des juifs continuent de provoquer en Europe, aux Etats-Unis, et au Canada émotion et sympathie en dépit de la forte présence musulmane et nous devrions renforcer les relations avec tous les pays libres et démocratiques et redorer le blason de l’amitié judéo-chrétienne.
L’élection de Nicolas Sarkozy à la tête de l’Etat français a éveillé chez beaucoup d’Israéliens un grand espoir. Un retour vers l’Atlantisme; vers une entente et coordination entre l’Europe et l’Amérique; vers les valeurs fondamentales qui combattent l’esclavage des hommes, les dictatures et le terrorisme et qui soutiennent les libertés à travers le monde pour un meilleur avenir. Celles des valeurs classiques du judaïsme.
Hélas, aujourd’hui encore, certains s’interrogent encore sur la légitimité de l’existence même de l’Etat d’Israël  et sur son avenir parmi les nations. Des membres des Nations-Unies sont hostiles à l’Etat juif et brandissent contre lui l’étendard du culte de la mort et veulent publiquement le rayer de la carte par l’arme nucléaire.
Une évidence, l’Etat juif tient dans le monde une place singulière. Le peuple hébreu a retrouvé son indépendance perdue il a plus de deux mille ans. Les bâtisseurs ont souhaité établir un Etat juif démocratique fondé sur la liberté, la justice et la paix conformément au message des prophètes. Ils ont affronté de nombreux obstacles et relèveront plusieurs défis.
En dépit des tensions permanentes, des pressions militaires, économiques et sociales, les Israéliens ont réussi à forger une nation, à ressusciter une langue, à fleurir le désert et à construire un pays fort et moderne sur tous les plans.
Cependant, depuis sa création, Israël vit dans un environnement hostile, confronté quotidiennement à une guerre d’usure et au terrorisme aveugle. Il est un des rares pays de la planète à ne jamais avoir eu de frontières défendables. Les chancelleries y sont responsables et ils doivent y remédier dans l’intérêt international.
Au moment où Israël fête ses 60 ans dans l’espoir d’un avenir meilleur, les nations du monde devraient applaudir l’épopée d’un peuple unique et singulier et le féliciter pour tous les miracles accomplis en si peu de temps. Un record magistral et glorieux dans les pages de l’histoire contemporaine.

Voir aussi l’article de Suburban