La minorité chiite en Egypte et l’Iran
*Alors que l’écrasante majorité des Egyptiens est musulmane sunnite, la minorité chiite dans le pays des pharaons est estimé à plus de 2.2 millions. Rappelons qu’une dynastie chiite, les Fatimides, avaient conquis l’Egypte en 969 et ont dirigé le pays durant deux siècles.
*Le nouveau Président, Mohamed Morsi, aurait déclaré concernant l’islam que le chiisme est plus dangereux que les Juifs. Un autre chef des Frères musulmans qui fut candidat à la dernière présidentielle, Abdel Moneim Aboul Fotouh, avait mis en garde contre le chiisme et affirmait que ce courant islamique devrait être interdit en Egypte.
*La doctrine idéologique de base des Frères musulmans est pan- islamique et fondamentalement religieuse, et elle cherche à minimiser les différences entre les principaux courants de l’Islam: le sunnisme et le chiisme. Rappelons toutefois que l’enthousiasme initial des Frères musulmans en faveur de la révolution islamique iranienne s’est rapidement estompé car elle s’était transformée en révolution nationaliste perse et spécifiquement chiite.
*Cette perception s’est répandue dans les sociétés sunnites arabes au moment où l’Iran a tenté d’exporter sa révolution dans les pays arabes du Golfe, et après qu’elle a tissé une alliance avec le régime syrien d’Assad, engagé depuis dans un conflit ouvert avec la branche syrienne des Frères musulmans.
*le Président Morsi comme ses prédécesseurs a adopté une politique de confrontation envers la minorité chiite et il a exclu qu’il accepterait une certaine alliance avec l’Iran.
En dépit des spéculations sur la première visite de Mohamed Morsi à Téhéran et ses implications sur la politique régionale et globale de l’Egypte, en particulier vis-à-vis de Washington, Jérusalem et Riyad, le nouveau président égyptien maintient, par ses convictions et à la lumière de ses discours, une image d’un héros sunnite combattant le chiisme.
Toutefois, la nouvelle Egypte à l’intention de normaliser ses relations avec Téhéran, alors que Moubarak brandissait constamment le spectre iranien destiné à déstabiliser son régime. Pourtant, même si l’Iran fut le premier pays musulman après l’Arabie Saoudite que Morsi a rendu visite, la rue musulmane considère que le nouveau président égyptien, membre à vie des Frères musulmans, rejette la notion d’un “croissant chiite”, conscient que l’Iran pose une menace pour les communautés sunnites du Moyen- Orient.
Depuis l’invasion américaine en Irak en 2003, les divisions sectaires entre sunnites et chiites se sont aggravées, permettant à certains régimes d’accuser les chiites arabes de menacer la stabilité régionale au service des intérêts iraniens. Le président Hosni Moubarak avait accusé les musulmans chiites du Golfe d’être plus fidèles à Téhéran qu’à leur propre pays. Le roi Abdullah II de Jordanie, avait mis en garde contre “un croissant chiite” assombrissant l’ensemble de la région.
Durant les trois décennies du règne de Moubarak, les chiites étaient soumis à des restrictions sécuritaires et a à un contrôle constant en raison de leur appartenance présumée avec l’Iran. Les chiites ont souvent été considérés comme des agents iraniens par les forces de sécurité égyptiennes.
En juin 2009, plus de 300 chiites ont été arrêtés sans explication officielle. Au début de cette année les autorités égyptiennes avaient arrêté une cinquantaine d’activistes accusés de conspiration avec le Hezbollah. Ils étaient suspects de préparer des attentats contre l’infrastructure touristique de la péninsule du Sinaï.
Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah, a avoué avoir envoyé au Caire un émissaire pour acheter des armes et du matériel humanitaire pour les Palestiniens de Gaza assiégés par un blocus maritime israélien.
Un an plus tard, en octobre 2010, 12 musulmans chiites ont été condamnés pour avoir propagé la doctrine chiite et pour avoir comploté contre le régime avec le soutien de fonds étrangers. Le groupe comprenait des citoyens Egyptiens, Marocains, Irakiens et Australiens.
Depuis la chute de Moubarak, les tentatives chiites ont provoqué des menaces salafistes. Leur dirigeant, Mohamed El-Marakby, a critiqué sévèrement l’intention des chiites égyptiens de fonder un parti politique et un journal financé par l’Iran, et a appelé à lutter contre.
Au début de la révolution du mois de janvier 2011, l’attitude du régime égyptien a été bien ambivalente à l’égard de la minorité chiite. Dés les premiers jours, les chiites se sont exprimés sur la place Tahrir. En septembre 2011, la minorité chiite a annoncé son intention de se présenter aux élections législatives avec un parti politique, Unité et Liberté.
Encouragés par ce qui était perçu comme une nouvelle ère de libertés en Egypte, les musulmans chiites se sont rassemblés devant l’ambassade de l’Arabie Saoudite au Caire pour dénoncer la position de ce pays sur les décrets autorisant la démolition de lieux saints, et aussi sur le financement des mouvements salafistes d’Egypte.
En août 2012, suite à l’élection du Mohamed Morsi, la minorité chiite avait demandé une reconnaissance officielle de l’Etat, la permission de créer des salles de prière, et un quota fixe de sièges au Parlement national à l’instar des coptes.
Cependant, les forces de sécurité ont continué à appliquer une main de fer contre tout signe de “violence” à l’égard du régime par la minorité chiite. Les forces de sécurité égyptiennes ont même dispersé les fêtes religieuses chiites (les célébrations d’Achoura en décembre 2011) au sein de la mosquée Hussein du Caire, répondant ainsi à la rage de la foule sunnite et les salafistes. En mai 2012, la visite du chef religieux chiite libanais Ali Al-Korani au Caire a provoqué une sorte d’hystérie dans les médias et dans l’opinion publique en évoquant par des titres sensationnelles “la marée chiite” encouragée et endoctrinée par l’Iran et de ce fait les autorités égyptiennes ont fermé leur mosquée en confisquant des publications, affiches, et enregistrements.
La visite de Korani au Caire a été condamnée par Al-Azhar, l’académie de recherche islamique et par le ministre des Cultes. Des religieux sunnites ont critiqué les séminaires religieux que Korani avait tenus et les conférences qu’il avait données dans les foyers chiites du Caire et ailleurs. Ils ont décrit les actions des religieux chiites comme “une ligne rouge inacceptable” et les ont considérées comme tentative à propager la doctrine chiite en Egypte.
L’Iran officiel a bien compris le message en provenance du Caire et s’est précipité à se dissocier des évènements en affirmant que Téhéran n’avait pas de contacts directs avec les différents groupes chiites. De telles pratiques nuisent à la possibilité de dialogue et d’unité islamique, et sont donc irresponsables en les qualifiant de pratiques individuelles et expliquant que le chiisme fait partie de la nation égyptienne, et que l’Iran ne souhaite pas intervenir dans les affaires intérieures. Téhéran, comme d’habitude a accusé les Etats-Unis et Israël de semer la discorde entre l’Iran et la nouvelle Egypte.
La question chiite demeure une question très controversée et une source de division au sein des Frères musulmans, en particulier avec la montée en puissance de l’Iran. Cela a été en outre souligné depuis le début de la guerre civile en Syrie où le régime alaouite chiite lutte contre les islamistes, dont les principaux combattants sont issus des rangs des Frères musulmans interdits.
Les Frères musulmans sont dans leur ensemble déchirés sur la question chiite, entre sa vocation comme mouvement panislamique désirant l’unité avec l’Iran, et son identité comme mouvement distinct sunnite et arabe opérant au sein d’un contexte sociopolitique unique et méfiant vis-à-vis du pouvoir chiite. En dépit de la face “conciliante” la division est profonde au sein de la confrérie sur cette question.
En conclusion, les récentes déclarations de Morsi prouvent que le président égyptien a adopté comme ses prédécesseurs une politique de confrontation envers la minorité chiite et il exclut toute alliance sur ce point avec l’Iran.
Voir le texte intégral et ses références dans le site anglais du JCPA-CAPE.