La marche turque vers l’inconnu
Jusqu’à ce jour, tous les observateurs s’accordaient pour dire que la vision islamiste turque était éclairée et responsable, contrairement à l’obscurantisme de certains pays arabes et de l’Iran. Tous étaient d’avis que le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan menait son grand pays vers un modernisme occidental exemplaire et personne ne se doutait que la grogne latente jaillirait si tôt dans les rues d’Istanbul, d’Izmir ou d’Ankara.
Les violentes manifestations qui déferlent ces jours-ci dans les grandes villes turques changent complètement la donne et inquiètent profondément les Occidentaux et les Israéliens. Quo Vadis la Turquie ? Subira-t-elle les retombées des révoltes arabes ? La montée en puissance des extrémistes islamistes et des terroristes chiites et sunnites ? Marchera-t-elle vers le chaos, vers l’inconnu politique qui déstabilisera tout le Moyen-Orient et plongera-t-elle dans des turbulences dévastatrices islamiques ? Comment devrait réagir l’Etat juif ? Ce sont de graves questions auxquelles nous n’avons pas de réponses précises et sur lesquelles nous réfléchissons sérieusement alors que l’Occident reste indifférent, notamment une administration américaine nonchalante et impuissante à régler les crises locales et régionales.
Certes, la Turquie n’est pas l’Egypte, ni la Syrie ou la Libye ; ce grand pays charnière entre l’Europe et l’Asie est riche et prospère, et son tourisme est florissant. La majorité écrasante de la population est chaleureuse, ouverte au dialogue, et souhaite ardemment entretenir de bonnes relations commerciales avec l’extérieur, notamment avec Israël. Elle ne peut tolérer la mise en quarantaine économique, les sanctions et l’isolement politique. Membre actif de l’OTAN, la Turquie dépend des Américains mais souhaite vivement s’intégrer à l’Europe. Les dernières manifestations violentes ont sans doute estompé cet espoir pour longtemps encore. La Turquie a brutalement changé de visage !
Recep Tayyip Erdogan a été élu démocratiquement pour la troisième fois et demeure populaire mais il n’a pas réussi à faire coexister religion politique et démocratie occidentale dans une parfaite harmonie. Devant ce cuisant échec et suite aux répliques du « Printemps arabe », nous constatons que les islamistes totalitaires d’aujourd’hui ne peuvent diriger leur pays avec des valeurs démocratiques et universelles. Le cas de l’Egypte est éloquent et celui de l’Iran, criant. Les deux doctrines sont incompatibles et inconciliables, la démocratie n’étant pas seulement affaire d’élections, c’est un état d’esprit. Seul le divorce, la séparation totale de la religion islamique avec l’Etat pourra permettre de gérer un pays dans la voie de toutes les libertés et du respect des droits de l’homme et de la femme. Erdogan a choisi la mauvaise voie et surtout la manière forte. Il a jeté en prison les opposants au régime, a contrôlé l’état-major de l’armée qui fut naguère le garant des laïcs et de la stabilité ; il a muselé la presse, rejette avec mépris les nouveaux réseaux sociaux dont Facebook et Twitter, et rêve toujours de devenir le nouveau leader ottoman du monde sunnite. Il s’est trompé sur toute la ligne et notamment dans sa politique anti-israélienne. A l’évidence, il a perdu la face!
Pour empêcher le chaos et lui éviter de subir le sort de Moubarak ou Ben Ali, Erdogan devra agir vite, avec sagesse, éviter à tout prix les affrontements avec les indignés et apaiser rapidement les esprits par des mesures démocratiques et des réformes libérales. Sinon, la population s’abandonnera à sa colère, la grogne explosera en permanence, et son régime tombera tôt ou tard.
Au moment où nous tournons la page tumultueuse avec les Turcs et relançons le dialogue diplomatique et économique avec Ankara, nous suivons ces derniers événements avec vigilance et inquiétude. Devant la crise syrienne, les dernières manifestations en Iran contre le régime obscur des ayatollahs, et les risques réels d’un embrasement de toute la région, il est de notre propre intérêt de revoir s’installer en Turquie la stabilité et la prospérité, et de pouvoir entretenir avec ce grand pays de l’Islam sunnite des relations fructueuses et amicales.
Freddy Eytan
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