La bataille pour la succession du Guide iranien
Au début du mois de septembre, le Guide suprême de la Révolution islamique, Ali Khamenei, 75 ans, a été hospitalisé pour une opération de la prostate. Quelques jours plus tard, et pour dissiper les rumeurs selon lesquelles il souffrait d’un cancer avancé, des photographies furent publiées le montrant en excursion dans les montagnes au nord du pays.
Téhéran a voulu ainsi indiquer que Khamenei était en bonne santé et que les affaires de l’Etat étaient gérées comme d’habitude.
Rappelons que le 21 octobre dernier, quelques semaines après l’hospitalisation très médiatisée de Khamenei, l’ayatollah Mohammad Reza Mahdavi Kani est décédé à l’âge de 83 ans. Il fut le Président du Conseil iranien, un corps constitutionnel religieux qui comprend 86 membres. Cette institution étatique supervise entre autres la conduite du Guide suprême et contrôle son état de santé. Elle est également chargée de choisir le prochain leader de l’Iran. Des élections pour désigner un président et de nouveaux membres auront lieu en février 2016 ; et d’ici là, l’ayatollah Mahmoud Hashemi Shahroudi, un farouche conservateur, présidera cette institution.
Selon l’article 10 de la Constitution iranienne, le président du Conseil définit la politique étrangère et le développement militaire, notamment l’avenir du programme nucléaire. Il pourra donc déterminer les éventuelles intentions de l’Iran de déclarer la guerre.
En 1989, quelques heures après la mort de l’ayatollah Khomeini, le Conseil avait décidé d’élire Khamenei au détriment de l’ayatollah Hossein Ali Montazeri, considéré comme candidat naturel pour succéder à Khomeini.
La mort de Mahdavi et l’hospitalisation de Khamenei préoccupent beaucoup les Iraniens et la communauté internationale. Ces deux récents événements auront des implications graves sur l’élection du prochain leader et détermineront l’avenir de la politique étrangère iranienne. Ils indiquent également les luttes intestines entre les différents acteurs au pouvoir, entre le camp conservateur et les réformistes. Soulignons que les conservateurs demeurent frustrés depuis leur défaite aux dernières élections présidentielles et la victoire d’Hassan Rouhani en juin 2013.
Le camp conservateur, avec ses différentes nuances et factions, est marqué par des querelles constantes. Bien qu’elles ne soient pas publiques, elles existent quotidiennement en coulisses et s’expriment dans la lutte contre le courant des réformistes. Avec l’aide des Gardiens de la Révolution, elles influencent le Guide suprême et la voie révolutionnaire de l’Iran. Le but ultime est de maintenir le régime islamique et d’assurer sa survie.
Dans la même veine, tous les courants conservateurs favorisent les progrès du programme nucléaire comme gage de la survie du régime.
Cependant, Rafsandjani, « maître à penser » de l’actuel président Rohani, et chef de file des « réformistes », surnommé « le requin », demeure une figure centrale dans la politique iranienne, malgré sa tumultueuse carrière découlant notamment de ses relations tendues avec le Guide suprême et les Gardiens de la révolution. Rafsandjani cherche à promouvoir une politique économique plus libérale et à encourager des investissements étrangers.
Rafsandjani a été parmi les dirigeants iraniens qui ont essayé, sans succès, de contenir ou de limiter l’influence croissante et dangereuse des Gardiens de la révolution. Il est toujours considéré comme leur rival historique et comme celui qui a subtilement persuadé Ayatollah Khomeini de mettre un terme à la guerre contre l’Irak déclenchée dans les années 1980.
Soulignons que l’article 150 de la Constitution iranienne stipule que les Gardiens de la révolution islamique, un corps fondé dans les premiers jours de la révolution, continuera à « assurer son rôle de protection de la révolution et de ses réalisations. »
Depuis sa création, le rôle des Gardiens de la révolution va grandissant, notamment dans la fonction publique. Nombreux trouvent une place dans l’échiquier politique et influencent ainsi la société iranienne et son économie.
La présidence d’Ahmadinejad (2005-2013), lui-même ancien membre des Gardiens de la révolution, fut un « âge d’or » pour les activités de l’organisation, notamment dans l’exportation de la révolution islamique et le soutien aux organisations terroristes. .
Dans le passé, Rafsandjani avait proposé l’élection d’un «Conseil de Sages » composé de plusieurs hauts dignitaires religieux qui remplacerait l’élection d’un Guide suprême. Aujourd’hui, alors que la question d’un successeur est à nouveau d’actualité, cette proposition pourrait revenir à l’ordre du jour. Elle serait une sorte de compromis entre les différents courants du pouvoir.
Dans ce contexte, l’actuel Guide suprême, Ayatollah Khamenei, assure la gestion des affaires et notamment le dossier nucléaire. Il a d’ores et déjà tracé des « lignes rouges » concernant les négociations menées actuellement avec les Américains.
Soulignons que Khamenei est également le commandant en chef des forces armées iraniennes. Avec ruse et habileté, il continuera à manœuvrer entre les différents courants du pouvoir jusqu’aux nouvelles élections.
Cependant, rien n’indique un tournant important dans la politique étrangère de l’Iran, et surtout pas en ce qui concerne les négociations sur le nucléaire car l’Iran demeure intransigeant sur ce dossier.
Le 12 octobre 2014, juste après son opération de la prostate, Khamenei a tracé sur son compte Twitter en anglais ses « lignes rouges » concernant les négociations nucléaires avec les Occidentaux. Il a chargé les membres de la délégation iranienne de ne pas céder aux revendications pour sauvegarder, entre autres, l’usine d’enrichissement à Fardow, et leur a demandé de séparer les négociations sur le projet nucléaire des sanctions économiques.
Dans les mois à venir, Khamenei va sans doute chercher à prouver par tous les moyens que lui seul détient les rênes du pouvoir. Il a l’intention de diriger l’Iran contre vents et marées dans le but de renforcer la révolution islamique, de poursuivre le projet nucléaire, et ainsi d’assurer l’avenir du régime islamique.
Michael Segall