Jérusalem dans le processus de paix : est-elle négociable?

  • wikipedia-alan-bakerLe 21 août 2012, le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, se prononce sur Jérusalem, déclarant qu’« il n’y aura pas de paix, de sécurité et de stabilité tant que l’occupation, les implantations et les colons ne seront pas évacués de notre ville sainte et éternelle, capitale de notre Etat ».
  • Cette déclaration absurde nie tout lien juif ou droit israélien sur Jérusalem et pourtant elle a été prononcée par un chef palestinien, considéré au sein de la communauté internationale comme modéré et raisonnable. C’est sans doute un exemple éloquent devant l’énorme défi qui nous devrions relever sur le plan politique, historique, psychologique, juridique et religieux pour pouvoir résoudre la question de Jérusalem dans le cadre du processus de paix.
  • Cette étude analyse les différents aspects pour déterminer les raisons des difficultés à parvenir à une résolution sur l’avenir de Jérusalem. Elles avaient défié tous les négociateurs du passé et ont suscité des questions sérieuses sur la possibilité d’aboutir à un accord entre les parties.
  • Certes, la signification de Jérusalem pour chaque communauté religieuse et en particulier pour le judaïsme est bien connue, mais il est important aussi d’analyser les diverses propositions publiées au fil des ans sur la question.

Jérusalem demeure le sujet le plus complexe, l’intraitable question à l’ordre du jour des négociations entre l’Etat d’Israël et le monde arabo-musulman en général et le peuple palestinien en particulier.

La majorité écrasante des Israéliens s’oppose à diviser leur capitale une nouvelle fois. En décembre 2012, un sondage réalisé par l’Institut Dahaf a révélé que 71% des Juifs israéliens s’opposeraient à un retrait de Jérusalem-Est. Lorsque fut posée spécifiquement la question sur le contrôle des Lieux saints, 77% des Juifs israéliens ont répondu sans ambages qu’Israël ne pouvait compter sur les Palestiniens pour assurer la liberté de culte.

Un an plus tôt, le Centre Palestinien pour les Affaires Publiques a effectué un sondage sur les positions palestiniennes à l’égard du processus de paix. Concernant l’avenir du statut de Jérusalem, 92% souhaitaient qu’elle soit leur capitale mais 3% seulement étaient d’avis qu’elle soit la capitale conjointe d’Israël et de la Palestine. Toutefois, 72% ont nié le passé trois fois millénaire de l’Histoire juive à Jérusalem. Cette triste constatation est évidement conforme à la rhétorique des dirigeants palestiniens, tel Mahmoud Abbas, qui a évoqué le « soi-disant Temple des Hébreux » lors d’un discours prononcé le 21 août 2012.

La complexité de Jérusalem découle d’un grand nombre de facteurs ; historiques, religieux, juridiques, politiques, et psychologiques. La signification de l’importance de Jérusalem s’étend au-delà des questions immédiates du contrôle territorial, de l’autorité  juridique et administrative, de l’ordre public ou du potentiel économique et touristique. Elle frôle les relations fondamentales entre les trois religions monothéistes.

Mais au-delà de ces facteurs, elle représente un sujet d’intérêt politique direct pour l’ensemble de la communauté internationale. Elle a figuré à plusieurs reprise à l’ordre du jour des Nations unies depuis la création de cette organisation, et elle anime les débats jusqu’à nos jours. Sa centralité pour la paix mondiale dépasse toute raison logique et atteint même un niveau spirituel égal à la nature de la ville elle-même.

Dans le langage courant nous pouvons dire que la question de Jérusalem représente « une patate chaude » que personne n’ose saisir…, à la lumière de ces complexités, elle pourrait ne jamais être résolue définitivement et nous posera toujours des dilemmes théoriques et pratiques.

Suite à la visite historique du Président égyptien Anouar al-Sadate à Jérusalem en 1977, puis avec les négociations entamées à Camp David sous les auspices du Président américain Jimmy Carter, rappelons que la question de Jérusalem n’avait pas figuré dans le document final «Le cadre pour la paix au Moyen-Orient ». Cependant, dans une série de réponses aux questions posées par le roi Hussein de Jordanie, le Président Carter a exprimé son point de vue. Il a souhaité faire la distinction entre Jérusalem et le reste de la Cisjordanie en raison du statut particulier de la ville et ses circonstances. Il a envisagé une solution négociée pour le statut final de Jérusalem qui pourrait être de nature différente à certains égards de ceux de la Cisjordanie.

Quelle que soit la solution convenue, il a préservé Jérusalem en tant que ville indivisible et a évoqué l’accès libre aux Lieux saints et les droits fondamentaux des habitants de la ville : « les Lieux saints de chaque religion devraient être sous la pleine autorité de leurs représentants. »

Dans un communiqué publié par le Président Carter expliquant le vote américain concernant la résolution 465 du Conseil de sécurité du 3 mars 1980, il a déclaré :

« Quant à Jérusalem, nous croyons fermement que Jérusalem doit être indivisible, avec l’accès libre aux Lieux saints pour toutes les religions. Son statut doit être déterminé dans la négociation dans le cadre d’un règlement de paix. »

Dans sa lettre au président Carter datée du 17 septembre 1978, le Président Sadate a réaffirmé la position égyptienne comme suit :

  1. La Jérusalem arabe fait partie intégrante de la Cisjordanie. Les droits juridiques et historiques arabes dans la ville doivent être respectés et restaurés.
  2. La Jérusalem arabe doit être sous souveraineté arabe.
  3. Les habitants palestiniens de Jérusalem ont le droit d’exercer leurs droits nationaux légitimes et font partie du peuple palestinien en Cisjordanie.
  4. Les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, en particulier les résolutions 242 et 267, doivent être appliquées en ce qui concerne Jérusalem. Toutes les mesures prises par Israël pour modifier le statut de la ville sont nulles et non avenues.
  5. Tous les peuples doivent avoir accès libre à la ville et bénéficier du libre exercice de culte et le droit de visiter sans distinction ou discrimination.
  6. Les lieux saints de la ville devraient être placés sous l’administration et le contrôle de leurs représentants.
  7. Les fonctions essentielles dans la ville devraient être indivisibles et un conseil municipal composé d’un nombre égal de membres arabes et israéliens pourrait superviser l’exécution de ces fonctions. En fait, la ville demeurerait indivisible.

Le Premier ministre Menahem Begin avait répondu au Président Carter en l’informant :

Le 28 juin 1967, le Parlement israélien (Knesset) a promulgué et adopté une loi sur la question conforme dans le sens que : « Le gouvernement israélien est habilité par un décret à appliquer la loi, la juridiction et l’administration de l’Etat sur n’importe quelle partie de la terre d’Israël. Sur la base donc de cette loi, le gouvernement d’Israël a décrété en juillet 1967 que Jérusalem est une ville indivisible, la capitale de l’Etat d’Israël. »

Le Président Carter avait répondu que la position des Etats-Unis sur Jérusalem n’a pas varié et demeure conforme aux déclarations de l’ambassadeur Goldberg à l’Assemblée générale des Nations unies le 14 juillet 1967, et ensuite par l’ambassadeur Yost au Conseil de sécurité des Nations unies le 1er juillet 1969.

L’avènement des négociations directes entre des officiels palestiniens et des représentants israéliens, parvenu suite à la Conférence de Paix de Madrid tenue en octobre 1991, avait fourni, pour la première fois dans le processus des négociations, un cadre pour discuter des questions d’intérêt bilatéral direct entre Israël et les Palestiniens, y compris sur Jérusalem. Ces négociations, tenues parallèlement entre 1991 et 1993 à Washington et à Oslo, ont donné lieu à un échange de lettres de reconnaissance mutuelle entre le Premier ministre Yitzhak Rabin et le président de l’OLP Yasser Arafat, et un document de cadre intitulé « la Déclaration israélo-palestinienne de principes sur des arrangements d’autonomie intérimaires ». Dans ce document, les deux parties « reconnaissent leurs droits mutuels, légitimes et politiques, et conviennent d’aboutir à un règlement de paix durable et global ainsi qu’à une réconciliation historique par le biais d’un processus politique convenu. »

Bien que cette déclaration historique ne précise pas en soi quels sont les droits légitimes et politiques mutuellement reconnus, chaque partie pouvait supposer que la question de Jérusalem figurait également et notamment le droit d’Israël à un foyer national juif et les Palestiniens à l’autodétermination.

Dans ce contexte, l’article V de ce document concerne le statut permanent des négociations qui auront lieu au cours de la « période transitoire de cinq ans » du gouvernement intérimaire palestinien.

Il était clair que ces négociations couvriront les questions restantes dont : Jérusalem, les réfugiés, les implantations, les mesures de sécurité, les frontières, les relations et coopération avec les autres voisins arabes, et toutes les autres questions d’intérêt commun.

L’importance de cet engagement est dans son contexte large de se référer à l’ensemble de Jérusalem et non seulement à son statut final ou aux Lieux saints. Dans ce contexte, les résidents palestiniens de Jérusalem ont le droit de participer librement au processus électoral de la ville et Israël s’est engagé à ne pas nuire aux activités de leurs institutions locales.

Pour pouvoir protéger le rôle de la Jordanie dans le cadre des négociations sur Jérusalem. Le 25 juillet 1994 à Washington, le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin et le roi Hussein de Jordanie mettent fin officiellement à l’état de belligérance entre les deux pays et affirment dans une déclaration conjointe qu’Israël respecte le rôle spécial du royaume hachémite de Jordanie sur les Lieux saints de Jérusalem. Lorsque les négociations sur le statut permanent prendront place, Israël donnera une haute priorité au rôle historique jordanien sur ces lieux. En outre, les deux parties ont convenu d’agir ensemble pour promouvoir les relations interconfessionnelles entre les trois religions monothéistes.

Cet engagement a été repris et formellement réaffirmé dans l’article 9(2) du traité de paix jordano-israélien, signé peu de temps après le 26 octobre 1994.

Bien que les premiers Accords d’Oslo ont reporté la question de Jérusalem au statut permanent des négociations, « l’accord israélo-palestinien sur la Cisjordanie et la Bande de Gaza » entre l’OLP et Israël signé en septembre 1995 (Accords Oslo 2), a contenu des dispositions détaillées permettant aux résidents palestiniens de Jérusalem Est de participer aux élections des institutions administratives palestiniennes et aux présidentielles.

L’annexe 2 de cet accord intitulé « protocole relatif aux élections » détaille dans l’article VI les « dispositions électorales concernant Jérusalem » telle que la campagne électorale, les dispositions de vote, l’emplacement des bureaux de vote à Jérusalem et les procédures de vote.

Le plan de paix saoudien adopté lors du sommet arabe de Beyrouth, en mars 2002, est considéré par la communauté internationale, et notamment par l’Union européenne et les Etats-Unis, comme une initiative viable pour une paix globale. Ce plan fait référence à Jérusalem en conditionnant l’établissement de relations normales dans le contexte d’une paix globale à l’acceptation par Israël d’un Etat palestinien indépendant avec Jérusalem-Est comme capitale.

La fameuse « Feuille de route » du Quartet publiée en avril 2003 avait aussi mentionné dans sa troisième phase un accord sur le statut définitif d’une « résolution négociée sur le statut de Jérusalem qui prendrait en compte les préoccupations politiques et religieuses des deux parties, et protègerait les intérêts de culte des juifs, des chrétiens et des musulmans du monde entier ».

La possibilité de reprise des négociations entre Israël et les Palestiniens et le débat de fond sur Jérusalem ont amené des chercheurs juridiques internationaux à se pencher sur la question en tentant de trouver des solutions pragmatiques.

En 2010, un groupe de chercheurs a publié un document intitulé « le bassin historique de Jérusalem : les problèmes et les solutions possibles ». Dirigés par Ruth Lapidoth et Amnon Ramon, il a recommandé d’améliorer les chances de parvenir à un accord à la lumière de la méfiance qui règne entre les parties et l’importance culturelle et religieuse. Selon ces éminents chercheurs les deux parties ne pourront renoncer à la souveraineté, et il est donc souhaitable d’aboutir à un accord intérimaire à long terme jusqu’au jour où les deux parties renforceront leur confiance mutuelle et réaliseront un accord permanent.

En conclusion, nous constatons que de nombreuses propositions ont été soulevées sur la question de Jérusalem. Chaque plan proposé pour résoudre le statut futur de la Ville sainte a défié des générations entières. Du côté israélien, il existait un certain paradoxe dans sa position officielle. Alors que les Accords d’Oslo signés en septembre 1993 ont placé Jérusalem comme l’un des sujets des négociations sur le statut permanent entre Israël et les Palestiniens, le Premier ministre Yitzhak Rabin avait précisé à la Knesset en octobre 1995 que Jérusalem devait rester unie sous souveraineté israélienne. Cependant, en analysant les compréhensions passées avec le royaume hachémite de Jordanie sur son rôle dans l’administration des Lieux saints musulmans, nous devons faire la distinction entre la souveraineté sur Jérusalem, qui devrait être conservée par Israël, et le rôle administratif international pour les Lieux saints.

Pour pouvoir trouver une solution à cette question épineuse il faudrait, bien entendu, une volonté politique ferme et un accord juridique solide entre les parties. Nous devons établir des relations pacifiques véritables et préciser les domaines respectifs d’administration commune et/ou séparée, le contrôle la responsabilité et la coopération. Un tel accord devrait être accepté universellement par la communauté internationale. Il doit être fondé sur la reconnaissance absolue, le respect et l’acceptation par chaque partie des droits historiques et religieux de chacun.

La méfiance palestinienne qui persiste actuellement est contreproductive. Elle tente de délégitimer l’intégrité des droits historiques de l’Etat juif et pourrait ôter tout espoir à un règlement de paix, notamment sur la gestion de Jérusalem.

Alan Baker

Retrouvez l’intégralité de l’article et ses notes sur le site du JCPA en anglais.