Israël, Gaza et le Droit humanitaire
Le 6 novembre 2014, le général Martin Dempsey, chef de l’état-major américain interarmées, a reconnu qu’Israël avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour limiter les pertes civiles et les dommages collatéraux au cours de l’opération Bordure Protectrice.
Il a également déclaré que le Pentagone avait envoyé une équipe d’experts pour étudier les leçons du conflit.[1]
Ce chapitre présente un aperçu des mesures adoptées par l’armée israélienne pour minimiser les pertes civiles lors de son opération de l’été 2014 dans la bande de Gaza.
Application sélective de la force militaire
Selon les cartes satellites publiées par le Bureau des Nations unies pour la Coordination des affaires humanitaires (OCHA), indiquant l’emplacement des dommages et dégâts subis dans la bande de Gaza, la dernière opération de l’armée israélienne se concentrait sur des objectifs très précis.[2]
Sur les images publiées par le porte-parole de Tsahal, nous constatons aussi que les cibles militaires furent les plus touchées par les opérations de l’armée israélienne :[3]
Les résultats ont montré que les frappes de Tsahal étaient précises et concentrées. 72 % des dégâts l’étaient à une distance de trois kilomètres seulement de la frontière israélienne. Cette distance correspond aux zones où l’armée israélienne avait opéré pour détruire des tunnels. En outre, 78 % des structures détruites à Gaza l’étaient dans une zone tampon de 3 km.
L’application des lois internationales et la supervision juridique
En vertu des lois appliquées par l’Etat d’Israël et confirmées par la Cour suprême de Justice, l’armée israélienne est tenue de mener ses opérations selon le Droit international humanitaire (DIH).[4] Cette obligation est traduite par un code de conduite de l’état-major général, règlement no 33.0133.[5] Elle signifie que les soldats de Tsahal sont obligés de se conformer à toutes les dispositions du DIH.
Cet engagement envers le DIH n’est pas subordonné au respect réciproque de l’adversaire. Ainsi, dans le conflit avec le Hamas, le Jihad islamique et les autres groupes terroristes, le fait que ces organisations bafouent systématiquement les normes internationales ne veut pas dire que l’armée israélienne est dispensée de les respecter.
En d’autres termes, l’armée israélienne peut seulement lancer des attaques contre des objectifs militaires ; des civils et des biens civils ne peuvent jamais être délibérément pris pour cible. Toute violation du DIH est, par conséquent, une violation de la loi israélienne et donc les auteurs sont passibles de poursuites.
L’Etat d’Israël est un appareil étatique bien huilé et hautement développé pour surveiller les questions juridiques. Ce système permet l’application à la lettre de la loi et que les forces armées la respectent aussi.
Le corps juridique de l’armée israélienne est indépendant dans ses délibérations. Il fournit des conseils d’expert et forme les cadres en fonction du DIH. Il est également responsable de l’ouverture d’enquêtes criminelles et de poursuites en cas de violations présumées.
L’appareil gouvernemental et l’armée israélienne sont soumis à un contrôle judiciaire de la Cour suprême de Justice. La profondeur et l’étendue du contrôle judiciaire des forces armées par la Cour suprême de Justice n’a pas d’équivalent dans le monde.
La dernière opération militaire à Gaza, Bordure Protectrice, a provoqué plusieurs incidents susceptibles d’être examinés :
- une attaque présumée conduisant à la mort de quatre enfants sur la plage de Gaza le 16 juillet ;
- une prétendue grève à proximité d’une école de l’UNRWA, à Bet Hanoun, le 24 juillet, causant la mort de 15 civils ;
- le tir présumé à Dahaniya le 18 juillet, causant la mort d’une femme ;
- la mort présumée de deux chauffeurs d’ambulance – l’un à Khan Younes, l’autre à Beit Hanoun, le 25 juillet ;
- les décès présumé de 27 civils dans une attaque contre la maison familiale Abou Jama le 20 juillet ;
- la mort présumée d’un individu portant un drapeau blanc en Khirbeit Haza’a le 29 juillet ;
- la maltraitance présumée d’un jeune de 17 ans à Khirbeit Haza’a ;
- plusieurs cas de pillage présumé.
Tsahal s’est assuré que la tour al-Zafer, qui abritait des bureaux du Hamas,
soit évacuée avant de la bombarder, le 23 août 2014
Code éthique
En plus d’être liée par le DIH, l’armée israélienne fonctionne à l’aide d’un Code de déontologie intitulé L’Esprit de l’armée israélienne.
Le personnel de Tsahal est chargé de faire respecter les normes morales, notamment ce qu’on appelle « la pureté des armes ».
Cela implique pour le soldat l’obligation de recourir à la force seulement en cas de danger, et de faire toujours preuve d’humanité lors des combats. Le soldat ne doit pas toucher les personnes non impliquées et doit faire tout son possible pour éviter de nuire à leur dignité et à leurs biens.[6]
Ordres de l’armée israélienne, procédures et planification
La planification opérationnelle au sein de l’armée israélienne implique une minimisation des dommages causés aux civils, et cette directive est toujours inscrite comme objectif opérationnel, en consultation avec des conseillers juridiques de Tsahal.[7]
En outre, les ordres de bataille émanant de l’état-major général contiennent des annexes détaillées consacrées aux questions humanitaires et juridiques.
Dans l’histoire récente du conflit, les victimes civiles ont eu un impact direct sur le déroulement des opérations militaires. Les médias rappellent souvent le « syndrome de Kfar Qana ». Le terme se réfère à deux incidents survenus près du village libanais de Qana.
Le premier eut lieu au cours de l’Opération Raisins de la colère contre le Hezbollah, au printemps 1996. Un obus d’artillerie de 155mm avait explosé dans un campus de l’ONU à Kfar Qana, où de nombreux civils libanais avaient trouvé refuge. Une centaine de personnes avaient été tuées. Le second incident eut lieu au cours de la Deuxième guerre du Liban en 2006, quand une bombe de l’armée israélienne a détruit un immeuble causant la mort de 60 civils. Le tollé international provoqué par ces terribles incidents a entraîné un arrêt de 48 h de l’activité aérienne israélienne au Liban. Plus tard, il s’est avéré que le nombre de victimes civiles était beaucoup plus faible que celui annoncé, mais le mal était déjà fait. Depuis, le « syndrome de Kfar Qana » est ancré dans l’esprit des planificateurs de l’armée israélienne.
Des conséquences négatives pour Israël ont été provoquées également par la Commission Goldstone, formée suite à l’Opération Plomb Durci (décembre-janvier 2009).
Examen des cibles et procédures
L’armée israélienne opère dans le cadre d’une vaste procédure qui implique le concours du Renseignement, de l’Opérationnel et d’experts juridiques [8] :
- Le Renseignement fournit des informations sur la nature de la cible, son emplacement, la présence de civils et de biens de caractère civil ;
- L’Opérationnel fournit des informations sur les aspects opérationnels ; par exemple sur les munitions disponibles pour attaquer la cible ainsi que leur impact environnant ;
- Le Juridique donne une opinion sur la légalité d’attaquer la cible, les diverses options possibles ainsi que les précautions à prendre.
Cette procédure garantit que les objectifs planifiés soient attaqués uniquement après une délibération approfondie et un examen de considérations pertinentes, y compris concernant l’impact potentiel sur les civils et la légalité de l’attaque en vertu du DIH.
Utilisation de munitions de haute précision
Il est évident que l’armée israélienne utilise un armement de haute précision lors de ses frappes aériennes dans la bande de Gaza. L’utilisation de ces munitions permet des frappes très précises sur des cibles ennemies et limite considérablement le risque de dommages collatéraux.[9]
Ainsi, par exemple, l’armée israélienne a été en mesure de cibler des chambres individuelles, tout en laissant le reste de l’édifice plus ou moins intact.
Calendrier des attaques
L’armée israélienne a montré qu’il était prudent de chronométrer ses attaques de manière à réduire le risque de préjudice aux civils. Ainsi, les écoles ou les immeubles de bureaux servant à des fins militaires sont généralement attaqués pendant les heures de la nuit, lorsque le bâtiment est inoccupé.
De même, des clips vidéo d’attaques sur des véhicules en mouvement montrent clairement qu’un effort a été fait pour attendre que le véhicule soit loin de la présence de civils.[10]
Tract largué sur Gaza, le 13 juillet 2014
Avertissements par avance
L’élément de surprise est généralement considéré comme une exigence fondamentale pour la réussite des opérations militaires, mais lors de cette opération Israël a renoncé à cet élément en annonçant ses intentions à l’avance.
Désormais, Tsahal fournit des avertissements aux résidents des immeubles ou aux personnes installées dans des quartiers, où les attaques sont prévues. L’armée a souvent risqué de mettre en danger ses propres troupes pour éviter des dommages collatéraux.
Les mises en garde se présentent sous plusieurs formes : tout d’abord, il y a les avertissements généraux délivrés aux résidents d’un quartier ou du village dans lequel les opérations militaires sont imminentes. Ceux-ci sont généralement communiqués par des prospectus lancés des avions ainsi que par des avis à la télévision ou à la radio.[11]
Des avertissements spécifiques sont également publiés sous forme d’appels téléphoniques ou de messages texto à des particuliers. Ainsi, par exemple, des appels téléphoniques sont destinés aux occupants d’un bâtiment abritant un stock de missiles, et ce, quelques minutes avant que le bâtiment soit ciblé pour permettre son évacuation.[12]
Des appels sont également faits aux personnes résidant dans des bâtiments environnants pouvant être touchés par une explosion ou des explosions secondaires.
L’armée israélienne a également mis au point une solution ingénieuse pour ce genre de situation intitulée « frapper le toit ». La procédure consiste au départ à répéter les avertissements donnés aux résidents de l’immeuble.
Si les avertissements restent lettre morte, l’armée israélienne lance alors un projectile non explosif à l’angle du toit. Le résultat est un coup assez fort pour convaincre les « boucliers humains » d’évacuer rapidement le bâtiment, sans toutefois risquer de pertes.[13]
Cartes numériques
Les sites sensibles tels que les abris civils, installations des Nations unies, hôpitaux, mosquées, écoles, jardins d’enfants, etc., sont marqués sur toutes les cartes numériques de Tsahal, qui sont mises au jour en temps réel selon l’évolution de la situation sur le terrain.[14]
Formation et Simulation
L’armée israélienne a construit l’une des installations les plus avancées au monde pour la simulation de combat en zone urbaine. Les soldats apprennent ici à conduire des opérations militaires dans un environnement complexe et civil. Cette installation sophistiquée est de renommée mondiale.[15]
Spécialistes des affaires civiles
Au cours de la dernière opération, dans chaque unité déployée dans la bande de Gaza, un spécialiste des Affaires civiles (CAO) est présent pour conseiller le commandant de l’unité sur les questions relatives à la population civile dans la zone des opérations. Ceci inclut la proximité des sites sensibles, comme les abris civils, les installations des Nations unies, les hôpitaux, les écoles et les mosquées.
Les experts sont arabophones, capables de communiquer avec la population locale afin d’évaluer ses besoins, d’aider son départ et d’apporter des services d’urgence et de secours humanitaires sur le terrain.[16]
Il faut comprendre que la coordination des mouvements de véhicules d’urgence dans une zone de combat est une tâche très compliquée et délicate. Elle est d’autant plus difficile en raison de l’utilisation des ambulances pour le transport des armes et des combattants du Hamas.[17]
Coordonnateur des activités gouvernementales dans les territoires (COGAT)
L’Etat d’Israël dispose d’une agence gouvernementale exclusivement dédiée au bien-être de la population civile dans la bande de Gaza.
Le coordonnateur des activités gouvernementales dans les Territoires au sein du ministère de la Défense (COGAT) est l’organisme officiel responsable des affaires civiles dans la bande de Gaza. Il fonctionne à plein temps même depuis le désengagement d’Israël en 2005.
L’armée israélienne, en collaboration avec des organisations internationales, a utilisé une feuille de route commune qui permet la coordination à des fins humanitaires.
Israël transfère des médicaments dans la bande de Gaza
Efforts humanitaires
Tout au long de l’Opération Bordure Protectrice Israël a mené une campagne humanitaire intensive et de grande envergure visant à soulager les souffrances et les difficultés des civils dans la bande de Gaza.[18]
Israël a continué à fournir de l’électricité et du carburant à la bande de Gaza durant les 50 jours de l’opération. 86 réparations des infrastructures desservant la bande de Gaza ont été réalisées au cours de l’Opération.
2 630 transferts médicaux ont été réalisés par des ambulances entre Gaza et Israël par le passage d’Erez. Soulignons que ce passage a été bombardé à de nombreuses reprises, causant la mort d’un civil israélien ainsi que plusieurs autres victimes palestiniennes.
Un hôpital de campagne a été mis en place par l’armée israélienne au passage d’Erez pour le traitement des malades et des blessés civils de la bande de Gaza.[19] Un total de 5 779 camions ont transporté des fournitures humanitaires et ont pénétré dans la bande de Gaza par le passage de Kerem Shalom.
Israël a accepté et mis en œuvre un certain nombre de cessez-le-feu humanitaires qui ont été violés par le Hamas.[20]
David Benjamin
Retrouvez d’autres articles exclusifs sur l’Opération Bordure protectrice réunis ici dans notre brochure “Toute la vérité sur la guerre de Gaza”.
Notes
[1] David Alexander, « Israël a tenté de limiter les pertes civiles à Gaza », Reuters, 6 novembre 2014 : http://www.Reuters.com/article/2014/11/06/US-Israel-USA-Gaza-idUSKBN0IQ2LH20141106
[2] La crise à Gaza, août 2014, Office des Nations unies pour la Coordination des Affaires humanitaires du territoire palestinien occupé : http://www.ochaopt.org/gazacrisisatlas2014/#/ 0 . Voir l’analyse des cartes par Dan Smith, « évaluation OCHA de l’ONU, Crise de Gaza 2014 », Report, 24 août 2014 : http://www.israellycool.com/2014/08/24/Assessing-the-OCHA-Gaza-Crisis-Atlas-2014-Report/
[3] « Le terrorisme du Hamas : ce que vous ne voyez pas sur les cartes de l’ONU de la bande de Gaza » : site YouTube de Tsahal en français : https://www.youtube.com/user/TsahalOfficiel
[4] http://elyon1.court.gov.il/Files_ENG/02/690/007/A34/02007690.A34.htm
[5] http://www.Turkel-Committee.gov.il/Files/newDoc3/the%20Turkel%20Report%20For%20website.pd
[6] « IDF Code de déontologie », Forces de défense israéliennes : http://www.idfblog.com/about-the-IDF/IDF-Code-of-Ethics/
[7] Voir le compte rendu officiel du gouvernement israélien sur l’Opération Plomb Durci, 27 décembre 2008 au 18 janvier 2009, les Aspects juridiques : http://MFA.gov.il/MFA/ForeignPolicy/Terrorism/pages/Operation_Gaza_factual_and_legal_aspects_use_of_force_IDF_conduct_5_Aug_2009.aspx
[8] http://www.mfa.gov.il/MFA_Graphics/MFA%20Gallery/documents/GazaOperation%20W%20Links.pdf , p. 96. Le processus de ciblage a également été décrit lors d’une conférence par le chef du département du Droit International à l’Université de Haïfa, 5 novembre 2014.
[9] « Frappes précises contre l’infrastructure du Hamas », les Forces de Défense d’Israël, 12 juillet 2014: https://www.youtube.com/watch?v=mBkTmfr4oHw
[10] Vidéo : Tsahal cible trois terroristes, 10 juillet 2014 : https://www.youtube.com/watch?v=pGS0A6zxgoc
[11] Vidéo : Tsahal exhorte des civils à quitter les zones ciblées, 16 juillet 2014 : https://www.youtube.com/watch?v=yoK9YL6D5RE#t= 82 ,
[12] https://www.youtube.com/watch?v=uzFgIhFKII8#t= 68
[13] « Comment l’armée israélienne minimise les dégâts aux civils de Gaza ? » : http://www.idfblog.com/blog/2014/07/16/IDF-Done-Minimize-Harm-civilians-Gaza/
[14] Cf. Mitch Ginsburg, Times of Israël, 21 août 2014 : http://www.timesofisrael.com/The-IDFS-First-Fully-Digital-War/ ; « Les décisions de l’Avocat général de Tsahal » : http://www.law.idf.il/163-6958-en/Patzar.aspx
[15] http://www.IDF.il/1562-en/Dover.aspx ; 2 septembre 2013 : http://www.idfblog.com/blog/2013/09/02/photos-future-idf-infantry-officers-train-complex-urban-warfare-scenarios/
[16] Vidéo : 17 septembre 2014 : https://www.youtube.com/watch?v=O1K0YxYlISs&src_vid=Acis6dQcG8w&feature=IV&annotation_id=annotation_1019817703
[17] « Le Hamas utilise des hôpitaux et des ambulances à des fins militaires et terroristes », Ministère israélien des Affaires étrangères, 28 juillet 2014 : http://MFA.gov.il/MFA/ForeignPolicy/Terrorism/pages/Hamas-uses-Hospitals-and-ambulances-for-Military-Terrorist-purposes.aspx
18 « Rapport journalier : aide civile à Gaza – 27 août 2014, coordonnateur des activités gouvernementales dans les territoires, les Forces de Défense israéliennes : http://www.COGAT.IDF.il/Sip_Storage/Files/8/4558.pdf
[19] « Tsahal ouvre un hôpital pour les Palestiniens, le Hamas en empêche l’accès », 25 juillet 2014 : http://www.idfblog.com/blog/2014/07/25/IDF-opens-Hospital-for-Palestinians-Hamas-prevents-Access/
[20] Bordure Protectrice : violations du cessez-le-feu, Ministère israélien des Affaires étrangères, 19 août 2014 : http://mfa.gov.il/MFA/ForeignPolicy/Terrorism/Pages/Protective-Edge-Hamas-violations-of-ceasefires-chronology.aspx
Pour citer cet article :
David Benjamin, « Israël, Gaza et le Droit humanitaire », Le CAPE de Jérusalem : http://jcpa-lecape.org/israel-gaza-et-le-droit-humanitaire/