Israël devant le désordre mondial provoqué par Poutine

Freddy Eytan

Les images en provenance de l’Ukraine témoignent de la brutalité et la sauvagerie des combats sur le champ de bataille.

La sale guerre déclenchée en Europe par Poutine touche des millions de civils innocents. Le monde libre ne peut être indifférent face à la lâcheté et l’horreur. Comment ne pas éprouver de solidarité aux cris SOS ? Au secours !

Certes, pour Poutine, le cas ukrainien est dissemblable par rapport aux autres conflits car il s’agit de régler un vieux contentieux interne puisque ce pays fait partie intégrale de la grande Russie. Cependant, il a osé envahir l’Ukraine en raison de la faiblesse de l’administration Biden et de l’Otan, surtout quand un président américain lui affirme à l’avance, qu’il n’enverra pas de soldats pour défendre les Ukrainiens.

Israël entretient de bonnes relations avec Kiev et avec Moscou. La présence de communautés juives dans ces deux pays voisins préoccupe profondément le gouvernement. Les images effroyables des anciens pogroms et massacres défilent sans cesse. Les fils et les filles des rescapés de la Shoah ne peuvent être indifférents à la détresse et aux appels au secours ?

L’Etat d’Israël a été fondé justement pour pouvoir abriter tous les Juifs en détresse.   

Mais au-delà du devoir moral et d’une réponse urgente, comment aussi sauvegarder les intérêts diplomatiques et stratégiques avec la Russie et nos relations commerciales avec l’Ukraine qui nous fournit la majorité écrasante de nos denrées alimentaires.

Poutine, Bennett

(Kobi Gideon/GPO)

Une situation délicate, complexe et symbolique, d’autant plus que les parents du président Ukrainien, Volodymyr Zelensky, sont d’origine juive et russophones.   

Le gouvernement Bennet-Lapid se trouve donc dans un grand embarras, mais il a tort de l’avouer publiquement. Sur un sujet si sensible et si compliqué, la position israélienne devrait être réfléchie, prudente et claire, en calculant minutieusement tous les enjeux communautaires, régionaux et internationaux, et en sauvegardant les intérêts diplomatiques et stratégiques acquis.

Yair Lapid a condamné, tout de go, l’invasion de l’Ukraine par la Russie, en affirmant qu’elle « constitue une grave violation de l’ordre mondial ». Plus prudent, Naftali Bennett a évité de condamner-ou même de mentionner-la Russie, en notant simplement que « l’ordre mondial est en train de changer ». A l’ONU, Israël s’est abstenu de condamner l’invasion russe.  

President Joe Biden

Le président Joe Biden prononce une allocution sur l’invasion russe de l’Ukraine le jeudi 24 février 2022, dans la salle Est de la Maison Blanche. (Photo officielle de la Maison Blanche par Adam Schultz)

Avant de réagir à chaud, de critiquer ou de condamner la Russie un entretien téléphonique de Bennet avec Poutine aurait pu éviter des malentendus inutiles. Une conversation sincère et discrète pourra expliquer notre dilemme et évoquer particulièrement notre engagement fraternel, notre solidarité, et notre responsabilité à l’égard des communautés juives. Quant à la « médiation israélienne » pour régler le conflit entre les deux pays en guerre, cette proposition prétentieuse n’a aucune chance de se réaliser. Devant les grandes puissances soyons plus modestes et plus pragmatiques.          

Depuis la Guerre froide, la politique étrangère du Kremlin n’a pas vraiment évolué. L’ex-Union soviétique possède l’art de faire monter les enchères et de raviver la tension dans le monde, mais à ce jour, elle n’a pas disposé de moyens opérationnels pour mettre un terme aux crises régionales ou faire progresser un processus de paix équitable. Rappelons pour mémoire les conflits armés dans notre région : la campagne de Suez en 1956, la guerre des Six Jours en 1967, la guerre d’usure le long du canal de Suez avec des combats aériens contre des pilotes russes, la guerre du Kippour de 1973, les guerres de Tsahal au Liban, les invasions américaines en Irak, et les célèbres discours belliqueux des chefs du Kremlin brandissant sempiternellement l’arme nucléaire.

Ukraine

(Telegram/@ukraina_novosti)

Jusqu’à ce jour, les Russes menacent à chaque fois d’intervenir directement, au-delà de leurs frontières, mais reculent devant les complications éventuelles d’un conflit armé et se replient toujours face à l’intransigeance de certains présidents américains, tels que J.F. Kennedy, Richard Nixon ou Ronald Reagan.

D’ailleurs, les diplomates occidentaux ou les soviétologues, ne seront jamais unanimes sur les réelles intentions du Poutine. Au départ, Lapid et Liberman ont même eu la maladresse d’affirmer que la Russie ne souhaite pas envahir l’Ukraine, contrairement aux informations des services occidentaux. De ce fait, le gouvernement israélien fut surpris et donc n’a pas pris à temps tous les dispositifs nécessaires dont l’approvisionnement des denrées alimentaires.    

En réalité, à l’intérieur des murailles du Politburo, le chef actuel du Kremlin, comme ses prédécesseurs, laisse planer le mystère et demeure une véritable énigme.

En envahissant l’Ukraine, Poutine bouleverse l’ordre mondial et le Moyen-Orient n’est pas épargné. Le président russe souhaite redistribuer les cartes et les zones d’influence avec la Chine. Ils suivent une stratégie claire pour avancer leurs pions, lentement mais sûrement, sur tous les continents de la planète.

Dans notre région, la Russie possède des atouts considérables notamment avec l’Egypte, l’Arabie saoudite et les Emirats du Golfe. Elle a transformé la Syrie en un bastion stratégique. Dans la ville côtière de Tartous, les Russes abritent une importante base navale disposée d’agir dans tout le bassin méditerranéen. L’armée syrienne est équipée de matériel russe sophistiqué notamment des missiles de croisière supersonique ainsi que des missiles antiaériens. Ces nouvelles armes sont qualifiées par le Kremlin de défensives, destinées à protéger des sites stratégiques en Syrie et à éviter toute intervention étrangère.

Depuis la visite officielle de Poutine en Israël, en juin 2012, les relations bilatérales avec la Russie étaient au beau fixe. Aujourd’hui, les deux pays traversent une crise qui sera difficile à surmonter.

Jusqu’à ce jour, Poutine n’est pas intervenu sur les opérations israéliennes contre l’Iran, le Hezbollah, et le Hamas. Ces critiques à l’égard de la reconnaissance américaine de Jérusalem et du Golan étaient bien timides. Poutine est aussi très amical envers la communauté juive et respecte l’intégration des russophones en Israël.

Désormais, les condamnations russes se feront entendre et la politique du Kremlin contre le « gouvernement de Tel-Aviv » sera identique à celle que nous avons connu durant les soviétiques.

Pour l’heure, la coordination militaire avec l’état-major russe se poursuit.  Nous pouvons donc dialoguer dans le cadre de nos relations diplomatiques existantes.             

Seul un dialogue direct et confidentiel améliora notre position et renforcera notre dissuasion.  

Certes, nous appartenons au camp occidental et les Etats-Unis demeurent notre meilleur allié mais Israël ne pourra jamais négliger la politique des Russes dans notre région. La sauvegarde de nos relations est un gage pour la marche à suivre particulièrement sur le dossier syrien et face aux menaces de l’Iran.

Israël devra donc mener avec Poutine des relations prudentes car il ne peut s’engager dans la course entre les grandes puissances.

Le cas ukrainien devrait servir de leçons face aux menaces existentiels et surtout devant la prolifération nucléaire dans notre région.

Les guerres conventionnelles ne sont pas révolues mais elles deviennent plus dévastatrices, plus spectaculaires, et diffusées sur les réseaux sociaux. Cependant, devant les terribles combats de l’armée russe, comment ne pas apprécier la conduite exemplaire des opérations de Tsahal mettant tout en œuvre pour minimiser les pertes civiles.

Les chancelleries, les ONG, et les médias condamnent Tsahal pour avoir commis “des crimes de guerre” et exigent des commissions d’enquête internationale ainsi que l’arrestation de généraux israéliens. Bizarrement, quand il s’agit des armées étrangères, dont celles des pays de l’OTAN, tous font la sourde oreille et aucune commission d’enquête n’est revendiquée.

Nous ne souhaitons faire aucune comparaison avec les opérations et les exactions des autres armées du monde et rappeler les guerres des pays occidentaux dans des pays étrangers, mais comment ne pas observer la supercherie et le double jeu quand il s’agit des combats d’Israël.    

Enfin, devant l’impuissance de l’Occident et de l’ONU d’intervenir pour régler des conflits locaux et leur indifférence face aux violations du Droit international, nous devrions compter que sur nous-mêmes, sur notre foi dans notre juste cause, sur notre résilience, et sur la puissance de Tsahal.  

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