Iran- USA- le recours au « snapback »
Le « snapback » est un mécanisme visant à imposer au Conseil de sécurité de l’ONU de rétablir les sanctions internationales contre l’Iran.
Les membres permanents du Conseil de sécurité États-Unis, Chine, Russie, France, Royaume-Uni et l’Allemagne avaient conclu le 14 juillet 2015 à Vienne un accord avec l’Iran. En échange, l’Iran s’était engagé à ne pas mener d’activités fissiles à des fins militaires. Cette accord avait été entériné par la résolution 2231 du Conseil de sécurité.
Cependant, une clause spéciale de la résolution 2231 permet en cas de triche iranienne, d’utiliser une « snapback » c’est-à-dire le rétablissement automatique de toutes les sanctions sans craindre aucun veto.
Le 14 août 2020, les États-Unis ont demandé de prolonger l’embargo sur les armes contre l’Iran en vertu de la résolution 2231 du Conseil de sécurité mais cette requête fut rejetée par la Russie et la Chine. Seule la République dominicaine a voté pour et les autres membres du Conseil de sécurité des Nations Unies se sont abstenus.
Le lendemain, le président iranien, Hassan Rohani, affirmait que ce vote de l’ONU était un succès diplomatique pour l’Iran et une défaite politique et juridique pour les États-Unis. Pour la première fois, dit-il ironiquement, « seul un petit pays, (la Républicaine Dominicaine), a voté pour cette résolution. Quelle humiliation ! Quelle défaite ! une belle revanche aux crimes des États-Unis et du régime sioniste. » Toujours selon Rohani « la préservation de l’accord nucléaire est essentielle pour maintenir la sécurité régionale et internationale. »
Le président iranien a également vivement critiqué les Emirats Arabes Unis pour avoir décidé de normaliser des relations diplomatiques avec Israël. Il appelé les pays de la région « à tirer une leçon de l’échec retentissant américain et se distancer des États-Unis qui sont de plus en plus isolés dans l’arène internationale. »
Auparavant, le 9 août 2020, les États membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG) – Bahreïn, le Koweït, Oman, le Qatar, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis – ont appelé le Conseil de sécurité pour prolonger l’embargo imposé à l’Iran. Selon eux, « l’Iran continue à fournir des armes conventionnelles aux organisations terroristes, aux séparatistes de la région. Elle intervient militairement dans ses pays voisins directement ou par la voie de ses satellites. » (Hezbollah, Hamas, Djihad palestinien et Houthis)
Dans ce contexte, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a déclaré : « Il est bien regrettable que la France et la Grande-Bretagne n’aient pas soutenu la demande des États du Golfe et d’Israël. L’échec du Conseil de sécurité à défendre la sécurité internationale est une grave erreur et est impardonnable. Le Conseil de sécurité n’a malheureusement pas reconnu la responsabilité flagrante de l’Iran et son soutien au terrorisme dans le monde. Il ignore la forte préoccupation des pays du Moyen-Orient, et de ce fait, les États-Unis feront tout pour corriger cette grave erreur. »
Le Département d’État américain a rédigé un document juridique affirmant que les États-Unis, bien qu’ils se soient retirés de l’accord signé à Vienne(JCPOA), ils peuvent toujours légalement « participer » à l’accord nucléaire, et se réservent le droit légal d’utiliser les dispositions des différentes clauses de la résolution 2231.
La Russie, la Chine et les trois pays européens signataires de l’Accord (Allemagne, France et Royaume-Uni) affirment qu’une fois que les États-Unis se sont retirés de l’accord, ils ne peuvent plus utiliser le mécanisme « snapback ». Dans tous les cas, la décision des États-Unis de recourir au mécanisme de reprise pourrait aggraver les tensions avec les pays européens et même entre les États membres du Conseil de sécurité.
Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a qualifié la tentative des États-Unis de réactiver le mécanisme de « snapback » d ‘ « illégale et inacceptable ».
L’échec des États-Unis à prolonger l’embargo sur les armes contre l’Iran (qui expirera le 18 octobre 2020) reflète les divergences sur le projet nucléaire iranien. Les pays européens pensent qu’il faille poursuivre l’application de l’accord nucléaire malgré leur incapacité à respecter leurs engagements économiques envers l’Iran. Cependant, l’Iran continue à tricher et à bafouer l’Accord du JCPOA en augmentant le pourcentage d’enrichissement et le stockage d’uranium, ainsi qu’en poursuivant le développement de centrifugeuses sophistiquées.
En ce qui concerne l’embargo, les pays occidentaux et les Nations Unies elles-mêmes reconnaissent que l’Iran a, au fil des années, violé intentionnellement l’embargo sur les armes et a fourni des armes – en particulier des missiles balistiques et des missiles de croisière – aux rebelles Houthis au Yémen. Des armes utilisées pour attaquer les infrastructures énergétiques et civiles en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis.
Le chargé d’Affaires de l’Allemagne aux Nations Unies, Günter Sautter, a déclaré, après avoir rejeté la décision américaine de prolonger l’embargo, que son pays était toujours attaché à l’accord nucléaire mais que les transferts d’armes iraniennes au Yémen, au Liban, à la Syrie et à l’Irak étaient en violation de la résolution 2231 adoptée en 2015 par le Conseil de sécurité des Nations Unies.
Bien que l’Iran ait enregistré une certaine victoire et a infligé un camouflet aux États-Unis au sein du Conseil de sécurité, la crise dans le pays s’aggrave de jour en jour et n’annonce pas la levée de sanctions paralysantes, en particulier dans le secteur de l’énergie.
Actuellement, l’Iran est confronté à d’énormes défis – au Liban, suite à l’explosion dans le port de Beyrouth et aux critiques à l’encontre du Hezbollah ; sur le front intérieur, et dans le golfe Persique, suite aux enjeux de la normalisation des relations entre les Émirats arabes unis et Israël.
Néanmoins, l’Iran peut permettre l’achat d’armements conventionnels – principalement de la Chine et de la Russie, deux piliers de soutien à la mise en œuvre de l’accord nucléaire – et même acquérir la légitimité pour exporter des armes vers ses satellites du Moyen-Orient, en particulier en Irak, au Yémen, en Syrie et au Liban.
La résolution 2231 de l’ONU préserve l’embargo sur les armes contre l’Iran pendant cinq ans après sa mise en œuvre et les sanctions sur le programme de missiles balistiques de l’Iran pendant huit ans.
Les États-Unis ont enregistré une victoire diplomatique en réussissant à normaliser les relations entre Israël et les Émirats arabes unis. Le Golfe persique représentait à ce jour une importante voie iranienne pour contourner les sanctions principalement par la contrebande de marchandises. Pour l’Iran, il s’agit d’un coup dur infligé dans son propre sacro-saint. Un renforcement de la position des EAU au sein d’un environnement arabe sunnite est considéré par l’Iran comme une menace existentielle imminente.
Les nouveaux liens des Émirats arabes unis avec Israël et le soutien stratégique continu des États-Unis représentent une forte préoccupation et des grands défis à relever pour les Ayatollahs.
Dans ce nouveau contexte géopolitique, l’Iran poursuivra avec ruse et cyniquement son rôle d’influence jusqu’aux élections américaines pour approfondir le fossé entre les États-Unis et la Russie, la Chine et les autres pays signataires de l’accord nucléaire. Son but est d’approfondir l’isolement américain sur la scène internationale.
Enfin, rappelons que l’Iran avait promis une revanche à l’élimination de Qasem Soleimani, commandant de la force Al-Qods.
Pour Téhéran, la « trahison » des Émirats arabes unis planera encore sur le monde arabe. La question est de savoir comment l’Iran se comportera-t-il dans les prochains mois jusqu’aux résultats des élections américaines ? Quelles seront les réactions et les conséquences sur le plan intérieur, dans le Golfe persique et en Arabie saoudite et surtout comment réagira la puissante Amérique ?
ANNEXE
Le Conseil de sécurité rejette un projet de résolution américain sur la prorogation de l’embargo sur les armes et l’interdiction de voyager imposés à l’Iran
Le Conseil de sécurité a rejeté aujourd’hui par 2 voix contre, 2 voix pour et 11 abstentions, un projet de résolution*, présenté par les États-Unis, dans lequel il aurait décidé que l’embargo sur les armes et l’interdiction de voyager imposés en Iran, par la résolution 2231 du 20 juillet relative au Plan d’action global commun sur le dossier nucléaire iranien, auraient continué de s’appliquer nonobstant la durée précisée pour chacune des sanctions mais « jusqu’à ce que le Conseil en décide autrement ».
Dans ce projet de résolution, les États-Unis mentionnent les paragraphes 5 et 6 de la « Déclaration » contenue dans l’annexe B du Plan d’action global commun lesquels doivent s’appliquer jusqu’au cinquième anniversaire de la date d’adoption dudit Plan ou jusqu’à la date de la présentation par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) d’un rapport confirmant la « Conclusion élargie » que toutes les matières nucléaires se trouvant en Iran sont utilisées exclusivement à des activités pacifiques.
Le paragraphe 5 de la « Déclaration » stipule que tous les États peuvent participer, à condition que le Conseil de sécurité les y autorise au préalable, à la fourniture d’armes, d’équipements et de formations militaires à l’Iran. Mais en vertu de l’alinéa b) du paragraphe 6 de la « Déclaration », tous les États sont tenus de prendre les mesures nécessaires pour empêcher, sauf si le Conseil de sécurité en décide autrement, la fourniture par l’Iran de matériels et d’équipements militaires.
Enfin, par l’alinéa e) du même paragraphe, tous les États doivent prendre les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire des personnes qui appartiennent ou sont sous le contrôle de personnes ou d’entités visées dans la liste établie et tenue à jour par le Comité du Conseil de sécurité créé par la résolution 1737 (2006). Ces mesures ne s’appliquent pas lorsque le Conseil de sécurité détermine au cas par cas que ces déplacements se justifient par des considérations humanitaires ou lorsqu’il conclut qu’une dérogation servirait d’une autre manière les objectifs de la résolution 2231.
Service de presse de l’ONU – https://www.un.org/press/fr/