Iran : régime obscur et abject
Entretien de Marc Knobel du CRIF, le 15 novembre 2005, avec Freddy Eytan, ancien ambassadeur d’Israël.
Marc Knobel : Le Président de l’Iran Mahmoud Ahmadinejad a appelé à « rayer Israël de la carte », le 26 octobre 2005. Quel est votre sentiment sur ces déclarations et quelles sont les réactions officielles et journalistiques en Israël ?
Freddy Eytan : Cette déclaration s’inscrira comme « un jour noir » pour l’humanité entière. Soixante ans après la Shoah, un chef d’Etat, membre de la communauté des nations, appelle publiquement à chasser des juifs de leurs foyers, à détruire leur pays et le rayer de la carte du monde. C’est ahurissant, révoltant et abominable ! Mais ce n’est pas nouveau. En fait, le masque est tombé. Sous le voile apparaît, au grand jour, un régime obscur et abject. Une théocratie qui n’a pas changé et qui ne peut avoir de place dans le monde libre et démocratique d’aujourd’hui. D’ailleurs et depuis la chute du Shah et l’installation des Ayatollahs à Téhéran en 1979, les israéliens se sentaient déjà menacés et avaient appelé l’Occident à freiner rapidement l’expansion de la Révolution islamique. Rappelons qu’Ayatollah Khomeiny avait obtenu de la France l’asile politique et à partir de Neauphle- le- château, non loin de Paris, il prêchait contre les juifs, les sionistes et pour la destruction de l’Etat d’Israël… Nous n’avons rien appris depuis et on a laissé faire…
Le résultat est donc doublement néfaste pour Israël. En raison de l’indifférence et de l’inconscience de certains, le régime iranien s’est doté de l’arme nucléaire. Par ailleurs, je rappellerai qu’un mini Etat islamique dirigé par les Chiites du Hezbollah se situe à la frontière Nord de l’Etat juif. Et, aux portes des villages de Galilée s’est installée une milice armée jusqu’aux dents par les Ayatollahs. Ces mêmes mollahs arment, encouragent et financent le terrorisme international dont les palestiniens du Jihad islamique.
Aussi pour l’opinion israélienne, le monde libre s’est réveillé trop tard, mais mieux vaut tard que jamais. Hélas, les menaces sont journalières. La télévision iranienne diffuse chaque jour des émissions incitant à la haine du juif, à la négation du sionisme et à la violence. Ces jours-ci, nous avons pu observer une série de dessins animés destinée aux jeunes iraniens : Comment devenir un Chahid (Une bombe humaine- un martyr) que faire pour joindre les combattants de l’islam ? Quelle serait la meilleure méthode pour chasser « les méchants juifs » ? Comment faire pour participer au Jihad et conquérir Jérusalem… Ces dessins animés sont destinés aux jeunes, aux enfants. C’est ainsi que ce régime éduque les nouvelles générations. Ces émissions doivent cesser et tous les manuels scolaires saisis.
Le peuple iranien n’est sans doute pas un ennemi d’Israël et du peuple juif. Nous admirons et respectons sa riche civilisation et ce grand peuple. Nous combattons légitimement son régime et l’obscurantisme et défendons notre existence à vivre en paix parmi les nations du monde libre.
Question : Les dirigeants israéliens sont-ils satisfaits des condamnations internationales contre l’Iran ?
Réponse : Les dirigeants israéliens accueillent, bien entendu, avec satisfaction les condamnations à travers le monde. Ils se félicitent de la rapidité des réactions, des démarches efficaces et déclarations sévères des chancelleries occidentales. Il est intéressant de mentionner que « l’appel » du Président iranien a été prononcé au moment où l’ONU a adopté à l’unanimité une résolution historique sur la commémoration de la Shoah. Le monde donc se réveille !
A Jérusalem, nous nous félicitons de la solidarité inébranlable des communautés juives pour la cause d’Israël. Nous nous réjouissons des manifestations importantes qui se sont déroulées à Paris et à Rome devant les ambassades d’Iran. La présence d’officiels est un signe réconfortant et encourageant qui prouve une solidarité chaleureuse et sincère envers Israël. Non ! Israël ne sera pas une « parenthèse de l’Histoire » comme le souhaite l’adepte de Khomeiny et d’autres… Les chancelleries occidentales devraient agir plus énergiquement contre ce régime néfaste. Tant que l’Iran des Ayatollahs n’a pas changé de politique et de langage, ce régime doit être mis en quarantaine et sanctionné.
Enfin, à Jérusalem on se félicite que le secrétaire de l’ONU Kofi Anan a annulé sa prochaine visite à Téhéran. Cet exemple doit suivre …Pas de dialogue et de coopération avec un Etat qui appelle et œuvre à la destruction d’un autre Etat, membre à part entière, de la société des nations. Cela doit être la règle.
M. K. : Les inquiétudes israéliennes se portent-elles également sur le dossier nucléaire en particulier après les déclarations du président iranien ? Est-il exact qu’Israël affirme qu’il n’est pas seul menacé et que les missiles balistiques dont dispose le régime iranien pourraient atteindre le sud de l’Europe ?
F. E. : Bien évidemment. La menace nucléaire iranienne est omniprésente. Elle est dangereuse non seulement pour Israël mais aussi pour l’Europe. Après la déclaration du Président iranien nous ne pouvons plus palabrer, il nous faut agir. La menace est réelle. Certains dirigeants en Europe, nous disent pour nous rassurer que nous n’avons pas le choix : « il faudrait vivre avec la bombe iranienne comme nous avons vécu longtemps avec la force de frappe soviétique ». Mais la différence est immense : les Soviétiques n’ont jamais menacé publiquement de rayer un Etat de la carte… Aujourd’hui la donne a changé. Les missiles balistiques iraniens « Shihab »3 sont d’une portée de 1300 kilomètres, donc ils peuvent atteindre non seulement Israël mais aussi le sud de l’Europe.
Le dossier iranien doit être traité avec gravité, fermeté et extrême prudence. Les Russes, concernés en premier chef, pour avoir fourni le matériel et le combustible ont été depuis longtemps avertis par le gouvernement israélien du danger (cela fait déjà une décennie, à l’époque Gorbatjev). Nous espérons qu’ils agiront maintenant avec plus de fermeté. Dans cette campagne, la France devrait être le fer de lance de l’Europe. Et, Jérusalem se félicite de la position du Président Chirac à ce sujet.
M. K. : Que compte faire Israël ?
F. E. : Israël était jusqu’à présent à l’écart des démarches contre l’Iran et n’a joué qu’un rôle de « consultant » et non actif. La déclaration provocante et directe du président iranien changera probablement l’attitude passive de Jérusalem. La stratégie contre ce régime changera. Israël est aujourd’hui dans le collimateur des Ayatollahs et des militaires iraniens. C’est clair !
Ceci étant et pour le moment, Il ne s’agit pas pour Jérusalem d’un casus belli et Israël ne va pas déclarer la guerre à l’Iran. Mais, Jérusalem emploiera « tous les moyens » pour contrecarrer la construction en Iran de bombes atomiques et de missiles à tête nucléaires où biologiques.
Nous serons plus actifs sur le plan diplomatique et le monde libre doit nous suivre. Nous exigerons une inspection plus efficace. Nul n’ignore que la centrale nucléaire iranienne est « décentralisée ». Elle fonctionne dans plusieurs sites du pays dont la localisation de l’uranium enrichi qui sert à fabriquer la bombe. De là, les grandes difficultés des inspecteurs. Rappelons que la fameuse centrale « Osirak » à Bagdad détruite par Israël en juin 1981 était située sur un seul et unique site. Israël souhaite enfin que le dossier soit pris en charge par le Conseil de sécurité de l’ONU, plus apte à prendre des résolutions musclées et efficaces. Nous l’avons constaté récemment avec le dossier syrien dans l’affaire de l’assassinat du Premier ministre libanais Hariri.
Propos recueillis par Marc Knobel du CRIF le 15 novembre 2005