Iran-Egypte : Les enjeux des relations sunnites-chiites
Le « printemps arabe » a aggravé les relations sunnites-chiites. Tandis que l’Iran chiite continue à observer les manifestations islamiques pour promouvoir ses objectifs hégémoniques, les bouleversements dans le monde arabe ont en fait élargi le fossé entre Téhéran et les capitales arabes. Cette profonde divergence est due principalement au soutien sans équivoque de l’Iran à la Syrie d’Assad et à l’opposition chiite au Bahreïn.
La participation d’Ahmadinejad à la conférence de l’OCI tenue au Caire le 5 février 2013 a mis en lumière le grand écart existant entre les camps chiites iraniens et les camps sunnites arabes. Ces derniers sont engagés dans un processus de consolidation : le resserrement des rangs dans le monde arabe augmente les conflits entre les Etats arabes et l’Iran. Les pays arabes de la région s’opposent farouchement aux interventions iraniennes dans leurs affaires internes et déjouent les tentatives de fomenter le chaos et l’instabilité dans leurs régimes.
Cependant, l’Iran réalise que l’Egypte est toujours plongée dans une révolution islamique inachevée mais qu’elle demeure encore sous influence des Etats arabes « modérés » – l’Arabie saoudite et les Etats du Golfe – et maintient ses relations avec les Etats-Unis et Israël.
Cette donne n’indique pas un changement significatif dans l’hostilité fondamentale iranienne envers l’Egypte et les autres pays arabes de la région, toujours considérés comme faisant partie du camp occidental.
Les progrès réalisés par l’Iran dans son programme nucléaire augmentent les craintes des Etats arabes. Ils redoutent en effet qu’un Iran nucléarisé ne sème la subversion politique, la terreur et les graines de la révolution chiite. Ces craintes sont de nature à renforcer l’unité du camp arabe dans sa confrontation avec l’Iran.
La dernière visite du président iranien en Egypte, première effectuée depuis la révolution islamique, fut destinée au départ à être une première étape vers l’amélioration des relations bilatérales à la suite de la révolution islamique et le renversement du régime de Hosni Moubarak. En fait, cette visite a mis au jour les tensions entre les deux pays concernant le leadership régional et a approfondi les désaccords fondamentaux entre sunnites et chiites.
Cette visite a été publiquement humiliante pour le président iranien lors de la conférence de presse tenue avec les hauts responsables d’Al-Azhar, où une chaussure lui a été jetée dessus… Cette humiliation a été fortement critiquée à Téhéran et d’ailleurs aucun représentant du dirigeant suprême Ali Khamenei ne s’est présenté à l’aéroport pour accueillir Ahmadinejad à son retour.
Le « péché originel » de l’Egypte demeure, aux yeux des Iraniens, la décision historique du Président Sadate d’ouvrir la voie à la normalisation des relations avec Israël. Il s’agit pour les ayatollahs d’une trahison pure et simple du monde arabo-musulman. Ainsi Téhéran a rompu ses relations diplomatiques avec le Caire après la signature du traité de paix et suite à l’asile politique donné au Shah Mohammad Reza Pahlavi.
Rappelons la glorification de l’assassin d’Anouar el-Sadate, Khalid Islambouli, dont une rue de Téhéran porte le nom ; un timbre fut même créé à son effigie.
En outre, l’Iran a mené des activités subversives en Egypte et a utilisé le Hezbollah libanais pour coordonner son aide militaire et financière au Hamas et au Djihad islamique palestinien à Gaza.
En 2009, un réseau du Hezbollah a été arrêté pour avoir planifié des attaques terroristes et avoir propagé le chiisme en Egypte. Des contraintes ont été imposées par Moubarak sur les activités des chiites dans le pays.
Aujourd’hui, malgré la montée des islamistes, l’Egypte de Morsi continue d’entraver les ambitions régionales de l’Iran.
La stabilisation du régime égyptien dirigé par les Frères musulmans ajoute un élément religieux idéologique dans la lutte pour l’hégémonie dans le monde arabe et cette situation ne fait qu’amplifier les différences entre l’Egypte et l’Iran en soulignant la rivalité historique entre sunnites et chiites en Syrie, au Bahreïn, en Irak, en Arabie saoudite et en Afrique du Nord, et bien évidemment en Egypte.
En conclusion, les relations irano-égyptiennes demeurent tendues et la visite du président iranien au Caire n’a pas contribué à rapprocher les positions ni à renouveler les liens entre les deux Etats. Cette visite a révélé le grand écart existant entre les camps chiites et les camps sunnites ; une confrontation latente et historique qui se réalise quotidiennement sur le terrain, principalement en Syrie.
Enfin, soulignons que l’Arabie saoudite et le Qatar contribuent dans ce sens et empêchent l’Egypte de tomber dans les bras de l’Iran.
Dans le pays des ayatollahs, les prochaines élections détermineront l’avenir des relations avec le Caire mais à ce stade rien n’indique que la page tumultueuse entre les deux pays soit tournée.
Michel Segall
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