Iran-Arabie saoudite: révélations sur des relations explosives

Le fils de l’Ayatollah Hussein Ali Montazeri (décédé en 2009) a récemment révélé des faits stupéfiants sur les arcanes du pouvoir iranien et notamment sur les exploits des Gardiens de la Révolution qui étaient à ce jour des secrets d’Etat.

Dans une longue interview diffusée dans le cadre d’une émission télévisée, Kheshte-Kham, animée par un célèbre journaliste, Hossein Dehbashi, Ahmad Montazeri a dévoilé que, déjà en 1986, les Pasdarans avaient dissimulé des explosifs dans les valises de pèlerins iraniens se rendant en Arabie saoudite pour le Hajj annuel traditionnel.

Ces pèlerins étaient des personnes très âgées et ignoraient l’existence d’explosifs dans leurs bagages. D’après Montazeri, les Gardiens de la Révolution agissaient directement sur les ordres d’Akbar Hashemi Rafsanjani, le président du Parlement iranien et l’un des architectes de la Révolution islamique décédé en 2017. À l’époque, Rafsandjani était à la fois Président du Majlis et de facto le chef des armées iraniennes sous le régime de l’Ayatollah Khomeiny et durant la guerre Iran-Irak. Le gouvernement argentin avait d’ailleurs mentionné son nom parmi les commanditaires de l’attentat contre le centre de la communauté juive de Buenos Aires en 1994.

Rappelons que cet attentat à la voiture piégée a été commis le 18 juillet 1994 et que son bilan fut très lourd : 84 morts et 230 blessés.

Le procureur argentin chargé du dossier, Alberto Nisman, avait accusé formellement le gouvernement iranien d’être le commanditaire de l’attentat, et le Hezbollah d’en être l’auteur. Un mandat d’arrêt international était alors réclamé à l’encontre de plusieurs hauts responsables iraniens, dont l’ancien président Hachemi Rafsandjani.

Ahmad Montazeri (à droite) interviewé devant le portrait de son père

D’après les récentes révélations de Montazeri à la télévision, les explosifs avaient été transportés en Arabie saoudite avec la claire intention de les faire détoner lors du pèlerinage à la Mecque. Le Roi Fahd d’Arabie saoudite a choisi jusqu’à sa mort garder le mutisme complet sur cette affaire. Il n’a pas non plus ouvertement accusé l’Iran de vouloir commettre des attentats sur le sol de son royaume. Cette affaire n’a jamais attiré l’attention des médias internationaux.

Toujours selon Ahmad Montazeri, après la découverte des valises par les Saoudiens, Mehdi Karroubi (ancien Président du Majlis et actuellement en résidence surveillée) a été obligé de se rendre personnellement auprès du Roi Fahd pour lui présenter ses excuses. Montazeri a précisé lors de son interview que lorsque son père, Hussein Ali, avait appris la nouvelle, il avait demandé des explications aux commandants de la Garde Révolutionnaire. L’un des officiers avait avoué son implication directe dans la dissimulation d’explosifs dans les valises des pèlerins. On apprendra par la suite que des hauts-fonctionnaires impliqués dans cette affaire étaient des confidents de Rafsandjani, et qu’ils collaboraient étroitement avec son bureau.

Selon Ahmad Montazeri, son père avait envoyé une missive sur ce sujet directement à l’Ayatollah Khomeiny. Le Guide spirituel refusa une enquête et les autorités ont préféré imputer la responsabilité à un certain Mehdi Hachemi.

Ce dernier était un clerc musulman chiite et frère du gendre de l’Ayatollah Montazeri. Il fut auparavant arrêté dans une autre affaire, celle de l’Irangate. Elle avait impliqué Robert McFarlane, Conseiller de la Sécurité nationale du président Ronald Reagan et son adjoint, le lieutenant-colonel Oliver North.

Mehdi Hachemi a été accusé d’être la source qui aurait informé le journal libanais al-Shiraa de la visite secrète d’une délégation américaine à Téhéran pour rencontrer Rafsandjani.

Officiellement, Mehdi Hashemi a été accusé d’être en contact avec une organisation de l’opposition, les Moudjahidines e-Khalq, responsables d’attentats et d’attaques contre des dirigeants de la Révolution islamique. En réalité, Hachemi n’était pas du tout impliqué dans la dissimulation secrète d’explosifs dans les valises des pèlerins iraniens en Arabie saoudite. Il fut finalement exécuté en septembre 1987.

Montazeri devant le portrait de son père, l’Ayatollah Ali Hussein Montazeri (IRNA)

Ahmad Montazeri a déclaré lors d’une autre interview à IRNA, le 7 octobre 2018, l’agence de presse officielle du gouvernement iranien, que le général Ali Shamkhani, Président du Conseil suprême de la sécurité nationale iranienne, ancien commandant des forces navales et l’un des chefs des Gardiens de la révolution, était principalement impliqué dans cette affaire.

Son bureau a démenti catégoriquement cette accusation en prétextant que le général Shamkhani était à l’époque sur le front à combattre dans la guerre Iran-Irak.

Rappelons que l’Ayatollah Hussein Ali Montazeri a été placé en résidence surveillée jusqu’à son décès en décembre 2009. Il était opposé au Guide spirituel, Ali Khamenei. Il fut l’un des opposants les plus farouches à la domination du clergé sur le pouvoir et au rôle incontrôlable des Pasdarans au sein du gouvernement.

Ahmad Montazeri, son fils aîné, a lui été accusé, et à plusieurs reprises durant ces dernières années, d’avoir été en contact avec le groupe d’opposition Mujahedeen e-Khalq et de mener des activités contre la sécurité nationale. Il a été emprisonné de multiple fois.

On ne peut exclure que ses récentes révélations soient toutes liées, d’autant plus qu’Ahmad Montazeri les a formulées au moment où la tension entre l’Iran et l’Arabie saoudite s’intensifie chaque jour de plus en plus.

Toujours selon Ahmad Montazeri, les Pasdarans ont planifié l’attaque du territoire saoudien en réponse à la mort de 275 pèlerins iraniens piétinés par la foule lors du hajj de 1987 en Arabie saoudite. Khomeiny avait déclaré à l’époque : « je pourrais pardonner à Saddam Hussein pour la longue guerre de huit ans qu’il a livrée contre nous, mais il est impossible d’oublier la trahison et les crimes de l’Arabie saoudite. »

La mort des pèlerins iraniens a d’abord conduit à la rupture des relations diplomatiques entre Téhéran et Riyad. Cependant, Rafsanjani, élu président suite au décès de Khomeiny, a réussi à rétablir ses relations grâce à ses contacts amicaux avec le prince Abdallah, prince héritier d’Arabie Saoudite.

En 1996, lors du bombardement de la caserne américaine installée dans la ville saoudienne de Khobar, l’Iran a immédiatement été soupçonné d’avoir bombardé les lieux. Cependant, un tribunal américain avait décidé par la suite que l’attentat avait été perpétré par une organisation connue sous le nom d’Hizbullah al-Hijaz, avec la participation de l’Iran et du Hezbollah libanais.

Deux ans plus tard, en août 1998, le consulat d’Iran à Mazar-i-Sharif en Afghanistan, a été à son tour bombardé. Plusieurs Iraniens ont été tués, dont huit diplomates. Téhéran avait accusé les Saoudiens de soutenir les assaillants.

Pourtant, rien n’avait affecté les relations entre les deux pays, qui se sont d’ailleurs renforcées sous la présidence de Mohammad Khatami. Son successeur, Mahmoud Ahmadinejad, s’est rendu à cinq reprises en Arabie saoudite et a même rencontré le roi Abdallah.

L’attaque contre le défilé iranien à Ahvaz, le 22 septembre 2018, a tué au moins 25 personnes

Finalement, une série d’attaques terroristes, ainsi que le déclenchement du Printemps arabe à travers tout le Moyen-Orient, avec des affrontements entre sunnites et chiites, ont conduit à une escalade progressive entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Ces deux pays musulmans sont actuellement en guerre au Yémen et en Syrie.

L’Iran accuse l’Arabie saoudite de soutenir des groupes terroristes sunnites contre l’Iran, principalement les Balochis et les Jundallah, organisations terroristes agissant principalement dans les provinces orientales de l’Iran,  au Sistan et au Baloutchistan.

L’Arabie saoudite accuse l’Iran de soutenir les rebelles houthis au Yémen et d’avoir tenté d’assassiner leur ambassadeur aux États-Unis, Adel al-Jubeir, avec le soutien et l’aide d’un cartel de la drogue.

La mort en 2015 de 464 pèlerins iraniens à Mina, en Arabie saoudite, lors d’un pèlerinage, et celle de 26 autres pèlerins iraniens, lorsqu’une grue géante s’était écrasée brusquement à l’extérieur de la mosquée Al-Haram, ont bien évidement détérioré encore plus les relations entre les deux pays.

L’Iran a également accusé l’Arabie saoudite d’appréhender, d’arrêter et d’exécuter des éléments chiites au sein du royaume. À la suite de ces accusations, et en signe de protestation contre l’exécution en Arabie saoudite de Nimr Baqir al-Nimr, un cheikh chiite proche de l’Iran, un attentat a été perpétré contre l’ambassade saoudienne à Téhéran et le consulat saoudien à Mashhad. Cet incident survenu le 1er janvier 2016 a entraîné un véritable divorce et tous les liens entre les deux pays ont été rompus. Cela a aussi provoqué la rupture des relations d’autres pays arabes et islamiques avec Téhéran.

À l’heure actuelle, il existe toujours des frictions entre les deux pays en raison surtout de la subversion iranienne dans les États du Golfe riches en pétrole, où vivent de nombreux chiites.

La tension s’est intensifiée considérablement en raison du programme nucléaire iranien. Le bras de fer se poursuit également, entre l’Arabie saoudite et l’Iran,dans le but de pouvoir appliquer un nouvel ordre au Moyen-Orient suite au Printemps arabe et aux combats menés au Yémen, en Syrie, au Liban et en Irak.

Enfin, il est clair que l’alliance de l’Arabie saoudite signée avec les États-Unis du Président Trump a considérablement intensifié cette lutte vers de nouvelles confrontations.

JCPA-CAPE de Jérusalem

 


Pour citer cet article :

CAPE de Jérusalem, « Iran-Arabie saoudite: révélations sur des relations explosives », Le CAPE de Jérusalem, publié le 14 octobre 2018 : http://jcpa-lecape.org/iran-arabie-saoudite-revelations-sur-des-relations-explosives/


Illustration : L’ancien président iranien Mahmoud Ahmadinejad recevant le roi d’Arabie saoudite Abdallah, en juillet 2007 (photo Iranian Press)

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