Impasse dans la crise syrienne
Après deux longues années de guerre civile syrienne nous constatons que les structures du régime sont toujours solides pour pouvoir maintenir un conflit armé permanent malgré le fait qu’une grande partie du pays est tombée dans les mains des rebelles.
Certains observateurs rappellent que la guerre civile syrienne a débuté en réalité en 1980, lors de la prise d’assaut sanglante de l’école militaire d’Alep par un groupe des Frères musulmans. La réaction du président Hafez el Assad fut le massacre tristement célèbre de 20 000 membres de la confrérie musulmane installés à Homs et Hama.
Aujourd’hui, en dépit de la guerre d’usure, la coalition qui entoure Assad fils demeure assez forte pour pouvoir gouverner et assurer à sa population une vie quotidienne plus au moins “normale”. Précisons que toutes les informations sur la crise syrienne proviennent de différentes sources et ONG souvent opposées ; celle connue sous le nom d’« Observatoire syrien des droits de l’Homme » est devenue privilégiée bien qu’elle soit manipulée par les Frères musulmans.
Avec les combats qui ravagent le pays, les Etats-Unis et l’Europe se trouvent devant un énorme dilemme, une mission quasiment impossible : d’une part, ils souhaitent la chute rapide du président Assad mais d’un autre côté, ils s’opposent à l’installation d’un régime islamiste qui sera pire que celui qui a succédé à Moubarak en Egypte ou à Ben Ali en Tunisie.
Israël fait face au même dilemme. Jérusalem souhaite mettre un terme à “l’Axe du Mal” dirigé par l’Iran mais en fait réalise qu’un nouveau régime islamiste, lié à Al Qaïda et possédant un arsenal militaire syrien considérable, serait un véritable cauchemar.
Pour l’heure, rien à l’horizon ne prédit un cessez-le-feu, un compromis pour mettre fin aux hostilités et arrêter l’effusion de sang, ou une capitulation de l’un ou de l’autre camp.
Certes, Assad réussit à survivre, mais il n’est pas en mesure de mater la rébellion. L’économie du pays est en ruine et les zones touchées par la guerre civile sont sous les décombres. Des centaines de milliers de Syriens se refugient dans des camps installés en Jordanie, au Liban et en Turquie.
Le régime d’Assad est mis au ban de la société des nations et condamné dans tous les forums internationaux. Assad a survécu grâce à ses propres structures du pouvoir et à sa force militaire, mais surtout en raison du soutien de la Russie, de la Chine, et plus particulièrement de l’Iran et du Hezbollah.
Au cours de ces deux dernières années, les rebelles n’ont toujours pas réussi à conquérir une seule grande ville ni un aéroport international. Assad a fait usage de toutes ses armes pour assurer le contrôle des sites et des infrastructures stratégiques. Il a utilisé sa force aérienne et son artillerie, notamment des missiles Scud. Selon certaines informations, il aurait mis en service même des armes non-conventionnelles dont des armes chimiques.
L’Armée Libre syrienne (ALS) n’est point protégée par les raids aériens massifs que lance souvent Assad et elle se trouve en grande difficulté pour mettre un terme au flux d’armes en provenance d’Iran. La revendication de l’ALS d’imposer une zone exempte de vols aériens au nord du pays et l’extension d’une zone protégée par le déploiement de missiles Patriot au sud de la Turquie a été également rejetée par les Etats-Unis.
Le Secrétaire d’Etat américain John Kerry avait demandé à Bagdad d’arrêter l’acheminement d’armes iraniennes à travers l’espace aérien irakien mais toutes ses démarches furent vaines.
La grande rébellion populaire tant espérée contre Assad s’est estompée. Certes, l’ALS représente toujours une menace réelle au régime comme les islamistes et Salafistes proches d’Al-Qaïda, armée et financée par le Qatar. Des volontaires et mercenaires venus d’Europe, d’Afrique du Nord (Libye et Tunisie), du Liban, d’Irak, de Jordanie et d’Egypte et même d’Extrême-Orient, dont la Chine, sont omniprésents sur le sol syrien et provoquent frictions et affrontements quotidiens avec l’ALS. Dans ce contexte, on peut comprendre les hésitations et la prudence des puissances occidentales et leur reconsidération de fournir à l’ALS des armes et des munitions sophistiquées.
La coalition nationale syrienne (CNS) établie à Istanbul en 2011 par l’AKP, le parti islamiste turc – à l’instar du Conseil national de transition en Libye (CNTL) –a été et restera sans doute un organisme non représentatif du peuple syrien, malgré les efforts déployés par le Qatar, l’Arabie saoudite et les Etats-Unis pour le remplacer au régime d’Assad.
Le conflit syrien a suscité de vives tensions entre sunnites et chiites au Liban. Des affrontements armés ont eu lieu, surtout à Tripoli, entre les partisans de l’ancien Premier ministre Saad Hariri parrainés par l’Arabie saoudite et le Qatar et les militants chiites d’Assad appuyés par le Hezbollah. Cette situation explosive, a provoqué la démission du Premier ministre libanais Mikati et les pressions du Hezbollah paralysent la gestion du pays du Cèdre.
Quant à la Jordanie, bien que le royaume hachémite fût épargné à ce jour du “printemps arabe” et de l’agitation sociale, le roi Abdallah craint en effet que des éléments islamistes extérieurs et hostiles cherchent à exploiter les frustrations populaires pour déstabiliser le pays et renverser le régime. Le roi a eu la sagesse d’initier des réformes politiques et a réussi ainsi à calmer les esprits. La présence inquiétante de centaines de milliers de réfugiés syriens a aussi conduit le roi à demander une aide économique substantielle aux Etats-Unis. Méfiant à l’égard de la Turquie d’Erdogan et de l’Egypte de Morsi, le roi hachémite navigue très prudemment, conscient que son pays pourrait être mis demain sur orbite islamique.
Concernant le rôle de Bagdad, des responsables irakiens craignent aussi qu’un mouvement de protestation croissant inspiré par la rébellion syrienne se transforme en une révolte contre le régime. La guerre en Syrie pourrait ainsi déstabiliser l’Irak et provoquer des affrontements ethniques. Cela explique la volonté du Premier ministre Nouri al-Maliki d’ignorer le transfert d’armes iraniennes à la Syrie via son espace aérien et ses craintes de voir un jour un régime sunnite à Damas.
Le soutien inconditionnel de l’Iran au régime d’Assad a porté un coup sévère à sa politique panislamique. Le monde arabe est bien conscient des véritables manigances de Téhéran qui cherche à faire flotter l’étendard chiite par des moyens subversifs.
Enfin, l’impuissance des pays occidentaux dans ce conflit demeure flagrante en raison de leur incapacité d’apporter une assistance militaire aux rebelles, comme ce fut le cas en Libye. En dépit des considérations juridiques internationales, les Etats-Unis et l’Europe n’ont pu obtenir le feu vert du Conseil de sécurité des Nations unies pour apporter une aide militaire ou lancer une opération conjointe et ont dû se plier devant l’opposition farouche de la Russie et de la Chine. L’Occident s’est contenté d’aider les rebelles par l’assistance des services de renseignements, de la formation et de l’aide financière, gelant ainsi les capitaux syriens en Europe et ailleurs, et en établissant une liste noire des criminels de guerre. La France qui avait récemment suggéré de livrer des armes aux rebelles, affirmant que seule la supériorité militaire pourrait vaincre le régime, n’a pas obtenu gain de cause.
Deux ans après la révolte, l’affrontement entre les forces loyalistes et les rebelles semble être stabilisée. Un statu quo angoissant se dessine sur le terrain, rappelant ainsi la guerre civile du Liban des années 1970.
Si cette prédiction s’avère exacte, alors le conflit syrien ne sera guère résolu dans un proche avenir. Il est très difficile d’établir un calendrier mais toutefois, si le régime tombait un jour cela changerait complètement la donne géopolitique au Moyen-Orient.
Jacques Neriah
Retrouvez cet article sur le site du Crif.