Haim Nahman Bialik – Le poète national
« La poésie, c’est un art particulier fondé sur le langage. » Paul Valéry
Haim Nahman Bialik est l’un des grands poètes hébreux des temps modernes. Il marque de son empreinte la renaissance de la littérature hébraïque.
Il naît en 1873 dans le petit village de Radi, Ukraine. Puis, il passe son enfance dans la ville de Zhitomir. Son père tient une petite auberge, mais il mourra subitement.
Le petit orphelin, 7 ans, part habiter seul chez son grand-père à Volozhin. Comme tous les enfants de l’époque, Haim Nahman étudie la Thora dans un Heder. C’est un élève malheureux et solitaire. Disert, il parle le russe et le yiddish, lit et écrit en hébreu.
Son grand-père, ultra-orthodoxe et conservateur, l’éduque dans la discipline et la religion.
En dépit de la sévérité de son grand-père, le jeune Haim Nahman trouve toujours un moyen de lire en cachette des poèmes russes ou des livres d’aventure ; il prend toujours des notes.
C’est ici, qu’il connaît sa première amie ; il tombe amoureux de cette fille belle et blonde, membre d’une famille bourgeoise.
Après sa bar-mitzva, il étudie dans une Yeshiva, école talmudique. Brillant élève, profondément concerné par l’avenir de l’éducation juive, il fonde avec plusieurs de ses camarades un nouveau mouvement de jeunesse : Netsah Israël (« la pérennité du peuple juif »). Ce mouvement est un compromis entre le nationalisme, la renaissance hébraïque et l’attachement à la tradition et la religion juive.
Pour lancer son mouvement, Bialik part en 1891 à Odessa. Dans ce principal port russe de la mer Noire, vivent plus de 150 000 Juifs, un tiers de la population de la ville. Odessa fut le centre de la renaissance de la culture juive et du mouvement sioniste en Europe de l’Est. Nombreux sont les pionniers juifs qui passent par Odessa avant de prendre le chemin vers la Palestine.
C’est là que Bialik rencontre son futur mentor, le philosophe et éditorialiste juif Asher Ginsberg, qui est plus connu sous son nom de plume Ahad Aham ( « un du peuple »).
Ses articles flamboyants et son style alerte s’opposent au sionisme, exclusivement politique, de Théodore Herzl : « Nous devons d’abord faire renaître notre culture spirituelle hébraïque, préparer l’opinion en diaspora, puis créer à Jérusalem un centre culturel universel. Nos inspirations politiques viendront après, naturellement ».
Des écrivains, des poètes et les nombreux lecteurs des journaux hébraïques de l’époque, Hamelitz et Ashiloah, pensent comme Ahad Aham : parmi eux, le jeune Haim Nahman Bialik.
Sa première rencontre avec Ahad Aham, au cercle des écrivains juifs d’Odessa est décisive. Elle influencera beaucoup la carrière du jeune poète. Il se met à écrire. Son premier poème, El Atsipor (« A l’oiseau ») publié dans la prestigieuse revue Pardes, a des échos favorables et les critiques sont élogieuses.
Désormais, Bialik est membre de l’académie des écrivains juifs d’Odessa. Il n’a que 19 ans.
Pour gagner sa vie, il donne des cours privés d’hébreu. Un an plus tard, il est frappé par deux drames familiaux successifs. Son frère aîné et son grand-père meurent. Assailli par le mal, sombre, il plonge dans la mélancolie et la solitude. Il écrit des poèmes qui décrivent sa terrible angoisse personnelle mais aussi et surtout, celle du Juif dans la diaspora vivant, sans aucun espoir ni avenir.
En 1893, Bialik épouse, Mania Averburch. Durant les trois premières années qu’ils vivent ensemble, il travaille avec son beau père dans le commerce du bois de construction, et il s’installe près de Kiev.
Il va souvent se promener dans les forêts autour de la ville.
Il aime la nature avec passion. Parfois seul, au clair de lune, il contemple la lumière, gris perle, qui descend sur la cime indéterminée des bois. Il s’arrête à la clairière, médite, puis, retourne chez lui, pour écrire, sous une lampe à pétrole, ses beaux poèmes.
Bialik n’est pas un commerçant, ni un homme d’affaires.
Il abandonne rapidement ce métier et quitte la région de Kiev pour s’installer à Sosnowiec, près de la frontière prussienne. Il donne des cours d’hébreu mais il est rapidement déprimé par le caractère mélancolique et monotone des Juifs de ce village.
Malheureux et sans un sou en poche, il décide de retourner définitivement à Odessa. Cette ville est son fief littéraire et un lieu d’inspiration inépuisable. Encouragé par ses collègues, il fonde avec Yehoshua Ravnitski, une petite maison d’édition : Moriah.
Ils publient ensemble surtout des livres scolaires, en hébreu. En 1901, Bialik publie son premier ouvrage de poèmes. Il est accueilli par un énorme retentissement. Haim Nahman Bialik est désormais sacré poète de la renaissance nationale juive.
Au début d’avril 1903, les communautés juives d’Europe sont bouleversées par les premiers pogroms à Kichinev. Dans la capitale paisible de Moldavie, vivent plus de 50 000 juifs, 46 pour cent de la population. A l’initiative des autorités locales, une cinquantaine de juifs sont massacrés sauvagement et des centaines d’autres grièvement blessés. Plusieurs rescapés arrivent à Odessa et racontent à Bialik leurs récits épouvantables. Choqué par la résignation des victimes et leur soumission, il se révolte contre l’indifférence de la Nature et contre Dieu, et écrit un poème intitulé : L’abattoir.
Quelques mois plus tard, désespéré par les réactions timides en Europe et par les nouvelles menaces pesant sur les Juifs, il tente de former avec des amis des groupes d’autodéfense. Il ne peut pas admettre la docilité et accepter la dépendance totale à l’autorité. Il faut se défendre par tous les moyens. Bialik part à Kichinev pour voir, de ses propres yeux, le lieu du pogrom et écouter d’autres témoignages. Le visage bouleversé par l’angoisse, le cœur au bord des lèvres, il retourne à Odessa pour reconstituer les images effroyables, ineffaçables de l’enfer du massacre.
De l’abattement à l’affliction, il remet aux dirigeants communautaires un rapport détaillé et lance un nouveau cri d’alarme.
Dans ses essais et poèmes, il retrace minutieusement le récit pénible des survivants.
Le témoignage accablant d’hommes et de femmes, effrayés et terrorisés. Dans un long et poignant poème : Dans la ville du massacre, il décrit la douleur, leur mort inutile et toute la détresse de leur existence : « Des histoires horribles de quoi ronger notre âme et nos cerveaux pendant toute une vie».
Et à ses amis qui interrogent : « Pourquoi ce massacre ? Pourquoi les victimes sont toujours des Juifs »? Il n’apporte guère de réponse. Bialik dira que rien au monde ne pourra jamais expliquer la barbarie humaine et il décrit avec pessimisme l’horreur, l’impuissance et son désespoir.
Voici quelques extraits de ce poème que nous avons traduit de l’hébreu :
« C’est le récit du ventre ouvert, des crânes et marteaux,
Le récit des pendus sur les poteaux, du nourrisson trouvé, tétant encore le sein froid de la mère morte, transpercée…
En quittant les tombeaux, ton regard sera dirigera, un instant vers la pelouse verte. Le gazon est frais et humide comme au printemps :
Ce sont fleurs de la mort et herbes de cimetières,
Vois- tu, le peuple est déraciné comme cette herbe
Hélas, un déraciné n’a aucun privilège, Il n’a pas le droit d’espérer »…
Par ces paroles poignantes et sensibles, Bialik donne avec force une expression nouvelle à la détresse du peuple juif en diaspora. Un peuple errant, désorienté, démuni et sans patrie. Une nation en perdition, cherchant en vain, un leadership politique, un sauveur et un havre de paix. Ce poème traduit en russe par Zéev Jabotinsky eut un grand retentissement.
Dans ses poèmes lyriques, Bialik se base sur sa propre expérience et exprime ses sentiments intimes au moyen des images fortes
d’événements de l’époque et de la tradition juive. Bialik a été bercé par les études de la Thora et du Talmud mais n’est ni pieux ni un fervent croyant. Toutefois, son riche vocabulaire, son langage descriptif, ses motifs, ses métaphores et ses symboles sont puisés dans les Ecritures et dans la tradition juive. Il réussit, par ses poèmes et ses essais, à reconstituer l’événement du jour, du moment ou de l’époque par une technique littéraire structurée et variée, adoptée à tous les lecteurs. Chaque ligne, chaque poème est martelé avec un sens du rythme et de la mélodie.
Bialik, qui a connu dans son enfance la misère quotidienne, décrit dans un magnifique poème la détresse de sa mère, la veille du shabbat. En voici des extraits :
« Ma maman, bénie soit sa mémoire, fut une sainte femme…
Le vendredi soir, au crépuscule, pas de bougie, ni de pain dans la maison. Désespérée, elle chercha partout et par miracle trouva deux petits sous. « Du pain ou des bougies ? Un grand dilemme. Elle sortit et acheta deux bougies pour la prière. Mit la nappe blanche. Changea de robe et se couvrira la tête. La gorge serrée et le cœur gros, elle se prépara à accueillir Dieu et le saint shabbat. Lorsqu’elle eut fini de bénir, une larme coula de sa joue et tomba sur l’une des bougies, qui s’éteignit.
Le shabbat demeura humilié, borgne. La pauvre femme, bouleversée, les mains levées, les yeux clos et les épaules secouées par les sanglots et l’ardeur de la prière. C’est alors que jaillit une boule de feu qui ralluma la bougie éteinte. Soudain, la maison fut emplie de lumière. Elle ouvrit les yeux et vit sept jours de clarté autour d’elle »…
En 1904, Bialik est à Varsovie et rédige, pendant un an, la revue littéraire Hashiloah. Il publie de nouveaux poèmes lyriques dont, la piscine. Il retourne à Odessa et se met à écrire Megilat Haesh, « Rouleau de feu ». Cet œuvre est mystique. Elle retrace la destruction du Temple de Jérusalem et l’exil du peuple juif mais aussi la colère, la rage du poète et de toute une génération, face à l’indifférence universelle. Bialik ébranle dans cette œuvre la croyance en Dieu d’Israël et les concepts religieux aveuglement adoptés par son peuple. Après la publication de Mégilat Haesh, le poète plonge dans la mélancolie et le désespoir. Durant plus de trois années consécutives, il écrira peu.
En 1907, Bialik participe au huitième Congrès sioniste qui a lieu à la Haye et revient avec une lueur d’espoir. Il publie une œuvre importante sur les légendes talmudiques Sefer Haagadah et des poèmes populaires et plus optimistes.
En 1909, il débarque pour la première fois en Palestine.
Un court séjour qui le fouette d’un second souffle. Dans cette étourdissante extase provoquée par la joie et l’admiration du pays, il écrit à ses camarades pionniers : « Même la poussière se transformera, elle deviendra vivace sous vos pieds nus et sacrés ».
Il fonde avec le dirigeant sioniste, Shmariyaou Lévine, l’édition Dvir.
Après avoir participé au douzième Congrès sioniste à Carlsberg, Bialik s’installe à Berlin. Il publie, pour la première fois, un recueil en quatre volumes de tous ses écrits.
En 1924, Haim Nahman Bialik s’installe définitivement à Tel-Aviv. Ses activités culturelles et publiques sont nombreuses et enrichissantes pour la littérature hébraïque contemporaine, mais aussi celle pour la diffusion du Moyen- Age. Bialik publie une nouvelle édition sur les grands poètes de l’Age d’Or séfarade dont Shlomo Even Gvirol et Avraham Even Ezra.
Il traduit aussi les grands classiques comme Guillaume Tell de Schiller et Don Quichotte de Cervantès.
En 1928, Bialik publie des légendes populaires sur les grands rois d’Israël, David et Salomon.
Le 9 janvier 1933, à l’occasion de son soixantième anniversaire, une nouvelle édition de tous ses écrits est publiée, dont un recueil de chants en vers et des histoires populaires pour enfants. Certains poèmes sont à ce jour chantés par les vedettes de la chanson. Ses légendes populaires ont été également interprétées au théâtre.
Bialik est également un membre très actif de l’académie pour la promotion de la langue hébraïque, et il inspira de nouveaux mots en hébreu moderne.
Haim Nahman Bialik est sans doute le plus grand poète hébreu des temps modernes. Sa contribution à la littérature et au développement de l’hébreu biblique est considérable. Elle influencera les écrivains et les poètes de l’époque et plusieurs générations suivantes. Ses œuvres lyriques et réalistes, ses poèmes limpides, sont étudiés dans les écoles et lycées et font partie du patrimoine de la culture et de la littérature israélienne.
En juillet 1934, Bialik tombe gravement malade ; il est hospitalisé en urgence dans un hôpital de Vienne. Il mourra 48 heures plus tard suite à la complication d’une opération chirurgicale.
L’héritage du poète national demeure à jamais monumental. Une ville, des rues et boulevards, un centre culturel et un prix littéraire, portent le nom de Bialik pour la postérité.
Il naît en 1873 dans le petit village de Radi, Ukraine. Puis, il passe son enfance dans la ville de Zhitomir. Son père tient une petite auberge, mais il mourra subitement.
Le petit orphelin, 7 ans, part habiter seul chez son grand-père à Volozhin. Comme tous les enfants de l’époque, Haim Nahman étudie la Thora dans un Heder. C’est un élève malheureux et solitaire. Disert, il parle le russe et le yiddish, lit et écrit en hébreu.
Son grand-père, ultra-orthodoxe et conservateur, l’éduque dans la discipline et la religion.
En dépit de la sévérité de son grand-père, le jeune Haim Nahman trouve toujours un moyen de lire en cachette des poèmes russes ou des livres d’aventure ; il prend toujours des notes.
C’est ici, qu’il connaît sa première amie ; il tombe amoureux de cette fille belle et blonde, membre d’une famille bourgeoise.
Après sa bar-mitzva, il étudie dans une Yeshiva, école talmudique. Brillant élève, profondément concerné par l’avenir de l’éducation juive, il fonde avec plusieurs de ses camarades un nouveau mouvement de jeunesse : Netsah Israël (« la pérennité du peuple juif »). Ce mouvement est un compromis entre le nationalisme, la renaissance hébraïque et l’attachement à la tradition et la religion juive.
Pour lancer son mouvement, Bialik part en 1891 à Odessa. Dans ce principal port russe de la mer Noire, vivent plus de 150 000 Juifs, un tiers de la population de la ville. Odessa fut le centre de la renaissance de la culture juive et du mouvement sioniste en Europe de l’Est. Nombreux sont les pionniers juifs qui passent par Odessa avant de prendre le chemin vers la Palestine.
C’est là que Bialik rencontre son futur mentor, le philosophe et éditorialiste juif Asher Ginsberg, qui est plus connu sous son nom de plume Ahad Aham ( « un du peuple »).
Ses articles flamboyants et son style alerte s’opposent au sionisme, exclusivement politique, de Théodore Herzl : « Nous devons d’abord faire renaître notre culture spirituelle hébraïque, préparer l’opinion en diaspora, puis créer à Jérusalem un centre culturel universel. Nos inspirations politiques viendront après, naturellement ».
Des écrivains, des poètes et les nombreux lecteurs des journaux hébraïques de l’époque, Hamelitz et Ashiloah, pensent comme Ahad Aham : parmi eux, le jeune Haim Nahman Bialik.
Sa première rencontre avec Ahad Aham, au cercle des écrivains juifs d’Odessa est décisive. Elle influencera beaucoup la carrière du jeune poète. Il se met à écrire. Son premier poème, El Atsipor (« A l’oiseau ») publié dans la prestigieuse revue Pardes, a des échos favorables et les critiques sont élogieuses.
Désormais, Bialik est membre de l’académie des écrivains juifs d’Odessa. Il n’a que 19 ans.
Pour gagner sa vie, il donne des cours privés d’hébreu. Un an plus tard, il est frappé par deux drames familiaux successifs. Son frère aîné et son grand-père meurent. Assailli par le mal, sombre, il plonge dans la mélancolie et la solitude. Il écrit des poèmes qui décrivent sa terrible angoisse personnelle mais aussi et surtout, celle du Juif dans la diaspora vivant, sans aucun espoir ni avenir.
En 1893, Bialik épouse, Mania Averburch. Durant les trois premières années qu’ils vivent ensemble, il travaille avec son beau père dans le commerce du bois de construction, et il s’installe près de Kiev.
Il va souvent se promener dans les forêts autour de la ville.
Il aime la nature avec passion. Parfois seul, au clair de lune, il contemple la lumière, gris perle, qui descend sur la cime indéterminée des bois. Il s’arrête à la clairière, médite, puis, retourne chez lui, pour écrire, sous une lampe à pétrole, ses beaux poèmes.
Bialik n’est pas un commerçant, ni un homme d’affaires.
Il abandonne rapidement ce métier et quitte la région de Kiev pour s’installer à Sosnowiec, près de la frontière prussienne. Il donne des cours d’hébreu mais il est rapidement déprimé par le caractère mélancolique et monotone des Juifs de ce village.
Malheureux et sans un sou en poche, il décide de retourner définitivement à Odessa. Cette ville est son fief littéraire et un lieu d’inspiration inépuisable. Encouragé par ses collègues, il fonde avec Yehoshua Ravnitski, une petite maison d’édition : Moriah.
Ils publient ensemble surtout des livres scolaires, en hébreu. En 1901, Bialik publie son premier ouvrage de poèmes. Il est accueilli par un énorme retentissement. Haim Nahman Bialik est désormais sacré poète de la renaissance nationale juive.
Au début d’avril 1903, les communautés juives d’Europe sont bouleversées par les premiers pogroms à Kichinev. Dans la capitale paisible de Moldavie, vivent plus de 50 000 juifs, 46 pour cent de la population. A l’initiative des autorités locales, une cinquantaine de juifs sont massacrés sauvagement et des centaines d’autres grièvement blessés. Plusieurs rescapés arrivent à Odessa et racontent à Bialik leurs récits épouvantables. Choqué par la résignation des victimes et leur soumission, il se révolte contre l’indifférence de la Nature et contre Dieu, et écrit un poème intitulé : L’abattoir.
Quelques mois plus tard, désespéré par les réactions timides en Europe et par les nouvelles menaces pesant sur les Juifs, il tente de former avec des amis des groupes d’autodéfense. Il ne peut pas admettre la docilité et accepter la dépendance totale à l’autorité. Il faut se défendre par tous les moyens. Bialik part à Kichinev pour voir, de ses propres yeux, le lieu du pogrom et écouter d’autres témoignages. Le visage bouleversé par l’angoisse, le cœur au bord des lèvres, il retourne à Odessa pour reconstituer les images effroyables, ineffaçables de l’enfer du massacre.
De l’abattement à l’affliction, il remet aux dirigeants communautaires un rapport détaillé et lance un nouveau cri d’alarme.
Dans ses essais et poèmes, il retrace minutieusement le récit pénible des survivants.
Le témoignage accablant d’hommes et de femmes, effrayés et terrorisés. Dans un long et poignant poème : Dans la ville du massacre, il décrit la douleur, leur mort inutile et toute la détresse de leur existence : « Des histoires horribles de quoi ronger notre âme et nos cerveaux pendant toute une vie».
Et à ses amis qui interrogent : « Pourquoi ce massacre ? Pourquoi les victimes sont toujours des Juifs »? Il n’apporte guère de réponse. Bialik dira que rien au monde ne pourra jamais expliquer la barbarie humaine et il décrit avec pessimisme l’horreur, l’impuissance et son désespoir.
Voici quelques extraits de ce poème que nous avons traduit de l’hébreu :
« C’est le récit du ventre ouvert, des crânes et marteaux,
Le récit des pendus sur les poteaux, du nourrisson trouvé, tétant encore le sein froid de la mère morte, transpercée…
En quittant les tombeaux, ton regard sera dirigera, un instant vers la pelouse verte. Le gazon est frais et humide comme au printemps :
Ce sont fleurs de la mort et herbes de cimetières,
Vois- tu, le peuple est déraciné comme cette herbe
Hélas, un déraciné n’a aucun privilège, Il n’a pas le droit d’espérer »…
Par ces paroles poignantes et sensibles, Bialik donne avec force une expression nouvelle à la détresse du peuple juif en diaspora. Un peuple errant, désorienté, démuni et sans patrie. Une nation en perdition, cherchant en vain, un leadership politique, un sauveur et un havre de paix. Ce poème traduit en russe par Zéev Jabotinsky eut un grand retentissement.
Dans ses poèmes lyriques, Bialik se base sur sa propre expérience et exprime ses sentiments intimes au moyen des images fortes
d’événements de l’époque et de la tradition juive. Bialik a été bercé par les études de la Thora et du Talmud mais n’est ni pieux ni un fervent croyant. Toutefois, son riche vocabulaire, son langage descriptif, ses motifs, ses métaphores et ses symboles sont puisés dans les Ecritures et dans la tradition juive. Il réussit, par ses poèmes et ses essais, à reconstituer l’événement du jour, du moment ou de l’époque par une technique littéraire structurée et variée, adoptée à tous les lecteurs. Chaque ligne, chaque poème est martelé avec un sens du rythme et de la mélodie.
Bialik, qui a connu dans son enfance la misère quotidienne, décrit dans un magnifique poème la détresse de sa mère, la veille du shabbat. En voici des extraits :
« Ma maman, bénie soit sa mémoire, fut une sainte femme…
Le vendredi soir, au crépuscule, pas de bougie, ni de pain dans la maison. Désespérée, elle chercha partout et par miracle trouva deux petits sous. « Du pain ou des bougies ? Un grand dilemme. Elle sortit et acheta deux bougies pour la prière. Mit la nappe blanche. Changea de robe et se couvrira la tête. La gorge serrée et le cœur gros, elle se prépara à accueillir Dieu et le saint shabbat. Lorsqu’elle eut fini de bénir, une larme coula de sa joue et tomba sur l’une des bougies, qui s’éteignit.
Le shabbat demeura humilié, borgne. La pauvre femme, bouleversée, les mains levées, les yeux clos et les épaules secouées par les sanglots et l’ardeur de la prière. C’est alors que jaillit une boule de feu qui ralluma la bougie éteinte. Soudain, la maison fut emplie de lumière. Elle ouvrit les yeux et vit sept jours de clarté autour d’elle »…
En 1904, Bialik est à Varsovie et rédige, pendant un an, la revue littéraire Hashiloah. Il publie de nouveaux poèmes lyriques dont, la piscine. Il retourne à Odessa et se met à écrire Megilat Haesh, « Rouleau de feu ». Cet œuvre est mystique. Elle retrace la destruction du Temple de Jérusalem et l’exil du peuple juif mais aussi la colère, la rage du poète et de toute une génération, face à l’indifférence universelle. Bialik ébranle dans cette œuvre la croyance en Dieu d’Israël et les concepts religieux aveuglement adoptés par son peuple. Après la publication de Mégilat Haesh, le poète plonge dans la mélancolie et le désespoir. Durant plus de trois années consécutives, il écrira peu.
En 1907, Bialik participe au huitième Congrès sioniste qui a lieu à la Haye et revient avec une lueur d’espoir. Il publie une œuvre importante sur les légendes talmudiques Sefer Haagadah et des poèmes populaires et plus optimistes.
En 1909, il débarque pour la première fois en Palestine.
Un court séjour qui le fouette d’un second souffle. Dans cette étourdissante extase provoquée par la joie et l’admiration du pays, il écrit à ses camarades pionniers : « Même la poussière se transformera, elle deviendra vivace sous vos pieds nus et sacrés ».
Il fonde avec le dirigeant sioniste, Shmariyaou Lévine, l’édition Dvir.
Après avoir participé au douzième Congrès sioniste à Carlsberg, Bialik s’installe à Berlin. Il publie, pour la première fois, un recueil en quatre volumes de tous ses écrits.
En 1924, Haim Nahman Bialik s’installe définitivement à Tel-Aviv. Ses activités culturelles et publiques sont nombreuses et enrichissantes pour la littérature hébraïque contemporaine, mais aussi celle pour la diffusion du Moyen- Age. Bialik publie une nouvelle édition sur les grands poètes de l’Age d’Or séfarade dont Shlomo Even Gvirol et Avraham Even Ezra.
Il traduit aussi les grands classiques comme Guillaume Tell de Schiller et Don Quichotte de Cervantès.
En 1928, Bialik publie des légendes populaires sur les grands rois d’Israël, David et Salomon.
Le 9 janvier 1933, à l’occasion de son soixantième anniversaire, une nouvelle édition de tous ses écrits est publiée, dont un recueil de chants en vers et des histoires populaires pour enfants. Certains poèmes sont à ce jour chantés par les vedettes de la chanson. Ses légendes populaires ont été également interprétées au théâtre.
Bialik est également un membre très actif de l’académie pour la promotion de la langue hébraïque, et il inspira de nouveaux mots en hébreu moderne.
Haim Nahman Bialik est sans doute le plus grand poète hébreu des temps modernes. Sa contribution à la littérature et au développement de l’hébreu biblique est considérable. Elle influencera les écrivains et les poètes de l’époque et plusieurs générations suivantes. Ses œuvres lyriques et réalistes, ses poèmes limpides, sont étudiés dans les écoles et lycées et font partie du patrimoine de la culture et de la littérature israélienne.
En juillet 1934, Bialik tombe gravement malade ; il est hospitalisé en urgence dans un hôpital de Vienne. Il mourra 48 heures plus tard suite à la complication d’une opération chirurgicale.
L’héritage du poète national demeure à jamais monumental. Une ville, des rues et boulevards, un centre culturel et un prix littéraire, portent le nom de Bialik pour la postérité.
Extraits du livre de Freddy Eytan “les 18 qui ont fait Israel” paru en novembre 2007 aux éditions Alphée- Jean-Paul Bertrand.