Genève : le triomphe de l’Iran sur l’Amérique et le Moyen-Orient
« Le seul lion de la région est celui qui se tient sur la rive face aux Emirats du Golfe », écrivait l’IRNA, l’agence de presse iranienne. « Quant à ceux qui s’imaginent qu’il y a un autre lion [les Etats-Unis] eh bien ses griffes et ses crocs ont été brisés en Irak, en Afghanistan, au Liban et en Palestine. Il n’y a rien de bon à attendre de lui. Il ne fait que compter les jours en espérant partir tant qu’il est encore temps. »
Ces propos, publiés en mai 2010, sont devenus réalité aujourd’hui. L’accord de Genève, loin de stopper la course de l’Iran vers l’arme nucléaire, semble être un pas de plus dans le retrait des Etats-Unis du Moyen-Orient. L’Arabie saoudite et les pays du Golfe sont encore sous le choc. La relation particulière entretenue depuis près d’un siècle avec Ryad était la pierre angulaire de la politique américaine dans la région. Les Américains avaient besoin du pétrole saoudien, en protégeaient les routes d’exportation à travers les pays du Golfe, et fournissaient des armes sophistiquées à la monarchie saoudienne. Lorsque le Shah a été chassé du pouvoir, remplacé par Khomeini en 1979, l’Amérique s’était empressée de protéger les pays du Golfe contre les tentatives de subversion de leur grand voisin. Cette politique semble abandonnée aujourd’hui.
L’accord de Genève témoigne, une fois de plus, de la volonté du président Obama de se désengager du Moyen-Orient. Il a quitté précipitamment l’Irak et Afghanistan sans avoir obtenu de résultat tangible, abandonné Moubarak, soutenu les Frères musulmans, tourné le dos au nouveau régime au Caire en lutte contre l’Islam radical, fait des allers-retours sur la question syrienne et il aurait même des contacts avec le Hezbollah et les mouvements islamiques les plus extrémistes en Syrie.
C’en est fini du front des pays arabes pragmatiques (Arabie saoudite, pays du Golfe, Egypte), soutenus tacitement par Israël, conte l’Iran. C’en est fini de l’axe du mal : l’ancien ennemi de l’Amérique est devenu un partenaire potentiel. L’accord de Genève paraît même avoir été précédé par des négociations secrètes entre Téhéran et Washington via le Sultanat d’Oman. Cela a sans doute renforcé l’impression des Iraniens que le président américain voulait se débarrasser du dossier nucléaire. Ainsi s’expliquerait leur spectaculaire succès.
L’accord de Genève laisse l’infrastructure nucléaire de l’Iran intacte et l’Occident lui reconnaît le droit d’enrichissement, en violation de six résolutions du Conseil de Sécurité prises sous le chapitre VII de la Charte de l’ONU. On peut douter de voir cet accord préliminaire suivi d’un accord définitif dans six mois ; Obama lui-même n’y croit qu’à moitié. Or, entre temps, puisque l’accord de Genève prévoit de défaire les sanctions contre l’économie iranienne – et dont le maintien aurait peut-être amené le résultat souhaité – nombre de multinationales s’apprêtent à conquérir le marché iranien. Pareil processus sera difficile, voire impossible, à remettre en cause.
Aux yeux des Saoudiens, l’Iran pense avoir reçu le feu vert pour la poursuite de ses activités subversives dans le Golfe. Ils y voient une menace bien réelle : l’opposition saoudienne en sortira renforcée et la minorité chiite va exiger un statut meilleur. Al-Qaïda, pour sa part, reprendra ses attaques. L’Arabie saoudite, porte-parole et rempart de l’Islam sunnite, va se battre pour le soutenir dans le Golfe mais également en Irak, en Syrie, au Liban et au Yémen.
L’Iran est en train de consolider sa victoire auprès de ses voisins du Golfe. Il a reçu le chef de la diplomatie des Emirats arabes unis et envoyé son propre ministre des Affaires étrangères, Jawad Zarif, pour une tournée au Koweït, au Qatar, aux Emirats et à Oman. Celui-ci s’est dit prêt à discuter du sort de l’une des trois îles situées dans le détroit d’Ormuz, revendiquées par l’Iran et les Emirats. En revanche, il n’est pas revenu sur la menace d’envahir Bahreïn et s’est bien gardé de calmer les craintes soulevées par les activités subversives des minorités chiites soutenues par le régime. Bref, jamais l’Iran n’a été dans une telle position de force dans la région. Sans doute y aura-t-il des tentatives de dialogue ces prochains mois mais l’Arabie saoudite conclura qu’elle n’a d’autre issue que de développer son propre programme nucléaire. En attendant elle a pris contact avec la Russie sur la base de leurs intérêts communs, notamment la lutte contre les Frères Musulmans et le soutien au nouveau régime du Caire.
L’Egypte, pour sa part, va sans doute reprendre et développer son programme nucléaire. Le Caire s’apprête à lancer un appel d’offres pour une centrale nucléaire dans la région de Dabaa, où le président déchu Moubarak avait posé la première pierre de quatre centrales destinées à produire de l’électricité.
Washington semble donc privilégier les éléments radicaux subversifs au Moyen-Orient – de l’Iran des Ayatollahs, aux Frères musulmans, en passant par les mouvements salafistes – qui y voient la preuve de la faiblesse grandissante de l’Occident. Les alliés traditionnels de l’Amérique ne cachent pas leur appréhension. Résultat : la Russie fait un retour remarqué au Moyen-Orient où s’amorce une nouvelle course à l’arme atomique.
Zvi Mazel