Frères musulmans : vers un réveil de l’Occident ?
Les Frères musulmans sont apparus sur le devant de la scène lors du soi-disant « printemps arabe ». On les a vus accéder au pouvoir par le biais d’élections libres en Egypte et en Tunisie, pour en être chassés peu après par leurs peuples qui découvraient leur véritable objectif. L’Occident aurait-il compris aussi ? Le Premier ministre britannique vient d’ordonner une enquête sur la Confrérie, ses principes de base, ses méthodes, ses activités en Grande-Bretagne et leur impact sur les intérêts du pays. David Cameron a pris cette décision car plusieurs dirigeants des Frères musulmans se sont réfugiés en Angleterre après avoir été accusés de fomenter des attaques terroristes en Egypte.
L’Arabie saoudite considère d’ores et déjà la Confrérie comme une organisation terroriste. L’Amérique, qui avait soutenu le président Morsi jusqu’au dernier moment malgré l’ampleur des manifestations de masse réclamant son départ, n’est apparemment pas convaincue : elle maintient son appui aux Frères et « punit » le nouveau régime au Caire en suspendant une partie de son assistance militaire. Un responsable du Département d’Etat déclarait il y a quelques semaines à un quotidien koweitien que les Frères ne constituaient pas une menace pour les Etats-Unis. Un point de vue que la plupart des pays arabes sont loin de partager. Ils se méfient de ce mouvement à l’origine de « l’Islam politique moderne », nom de code qui traduit la volonté de se servir de l’Islam pour restaurer le califat, par la violence s’il le faut. Un mouvement auquel on attribue la paternité de toutes les organisations terroristes islamiques, qui se réclament de son idéologie et dont les dirigeants sont issus de ses rangs. La Confrérie a essaimé très tôt, créant à partir des années 1930 des filiales dans les pays arabes afin de s’emparer du pouvoir. Les Frères s’y sont essayés par la force en Egypte, en Syrie, en Libye, en Algérie et en Tunisie. En Egypte, le roi Farouk puis Nasser ordonnèrent la dissolution de la Confrérie ; ce sont des Frères qui ont assassiné Sadate ; Moubarak les persécuta et aujourd’hui leur mouvement, qualifié d’organisation terroriste, est à nouveau interdit. En Syrie ils tentèrent de renverser Hafez el Assad – qui massacra des milliers d’entre eux. En Tunisie, leur chef, Rashed Ghannouchi, tenta sans succès de fomenter une révolution contre Bourguiba ; une seconde tentative contre Ben Ali échoua, déclenchant une répression féroce contre les Frères. Lui même fut emprisonné ; gracié après de longues années de prison il dût s’exiler et, en 1991, s’installa à Londres. En Algérie, victorieux aux élections de 1992, le mouvement touchait au but mais l’armée intervint ; il s’en suivit une guerre civile qui fit plus de 200 000 victimes. En Libye les Frères lancèrent le « Groupe libyen combattant » pour renverser Kadhafi. Ce fut un échec et ceux qui réussirent à éviter l’arrestation s’enfuirent en Afghanistan. En Arabie saoudite et dans les pays du Golfe les Frères se laissèrent prendre à l’appel de l’Islam Wahhabite dont la rigueur convenait à leur idéologie – sans pour autant perdre de vue leur objectif, l’établissement de régimes islamiques dans les pays arabes et la restauration du califat. Ils s’employèrent à recruter des jeunes dans leur entreprise. Ce qui est à l’origine de la crise actuelle entre la Confrérie et les pays du Golfe à l’exception du Qatar.
En Arabie saoudite, le roi Abdelaziz –Ibn Séoud – rencontra Hassan el Banna, fondateur de la Confrérie, lors du pèlerinage à la Mecque de ce dernier en 1936. Bien que fortement impressionné par la foi religieuse du mouvement, il ne l’autorisa jamais à établir une filiale dans le royaume, comprenant que son orientation politique menacerait la stabilité du pays. Très pieux lui-même, le monarque ne chercha pourtant jamais à exporter le Wahhabisme hors du royaume ; il mena une politique extérieure pragmatique qui suscita les critiques des autorités religieuses. Ses successeurs – Saud, Fayçal, Khaled et Fahed – accueillirent à bras ouverts les Frères fuyant la colère de Nasser (qu’ils avaient tenté d’assassiner) ; en remerciement ils créèrent des cellules locales, infiltrèrent écoles et universités et diffusèrent leur profession de foi. Ils réussirent à persuader le roi Saud et le prince héritier Fayçal en 1962 de les aider non seulement à établir la Ligue Islamique Mondiale pour propager l’Islam en Occident, mais encore à fonder des centres islamiques et des mosquées –qu’ils dirigent – en Europe et aux Etats-Unis. De cette façon, et grâce à l’argent saoudien, ils jetèrent les bases de leur organisation mondiale, qui recruta de nouveaux membres parmi les minorités arabes en Occident dans le but d’infiltrer les organes du pouvoir et de le miner de l’intérieur. Ce n’est qu’après le 11 Septembre et la découverte que sur les 18 terroristes 16 étaient Saoudiens que le royaume comprit à quel point il avait été trompé. Les Frères furent expulsés et leur mouvement interdit. Le Koweït et les autres pays du Golfe avaient eux aussi donné asile aux Frères dans les années 1950, les laissant établir des filiales à partir desquelles ils déclenchèrent leurs activités subversives. Il fallut un certain temps à ces pays pour comprendre le danger, mais aujourd’hui des centaines de Frères sont en prison. Seul le Qatar refuse d’abandonner la Confrérie, puissamment enracinée dans ce petit pays ; ce sont les Frères qui tirent les ficelles d’Al Jazeera. Cette influente station de télévision ne ménage pas son soutien aux Frères musulmans cherchant à s’emparer du pouvoir dans les pays arabes. Le Qatar, qui défend avec véhémence Morsi et les Frères en Egypte est en conflit ouvert avec l’Arabie Saoudite, le Koweït, Bahreïn et les Emirats du Golfe qui contribuent des sommes considérables au nouveau régime en Egypte. Ce conflit affaiblit le Conseil de Défense du Golfe qui doit affronter la menace iranienne. Fort de l’appui des Etats-Unis qui disposent de bases militaires dans le petit royaume et qui soutient la Confrérie, le Qatar n’en a cure.
David Cameron est pourtant le premier dirigeant occidental à s’attaquer au problème. L’équipe qu’il a créée à cet effet est dirigée par un diplomate chevronné et spécialiste du Moyen Orient : Sir John Jenkins, ambassadeur de Grande-Bretagne en Arabie Saoudite. Cette équipe va mener une enquête approfondie et a même sollicité la contribution du public. Il est tout de même curieux que les services de sécurité britanniques, célèbres dans le monde entier, ne disposent pas de toutes les informations nécessaires. L’Angleterre n’était-elle pas la puissance de tutelle en Egypte lorsque la Confrérie a été fondée à Ismaïlia en 1928 ? Des fonctionnaires britanniques auraient même encouragé Hassan el Banna pour contrecarrer les mouvements nationalistes. Ibrahim Munir, secrétaire général de l’Organisation Mondiale de la Confrérie, habite depuis trente ans à Londres, d’où il dirige les bureaux de l’Organisation. C’est à Londres que s’est réfugié Rashed Ghannouchy en 1991 après avoir été chassé de Tunisie, pays où il est retourné pour prendre la tête de la Confrérie après la chute de Ben Ali en2011. Ali Sadr Bayanouni, chef des Frères de Syrie, a vécu à Londres pendant de nombreuses années. Plusieurs Frères égyptiens ont choisi Londres après le renversement de Morsi, notamment Mahmoud Hussein, secrétaire général du mouvement. Suite à la décision de David Cameron, Ibrahim Munir cherche à transférer le siège de son organisation hors du pays. La Tunisie ayant refusé de l’accueillir, il s’est tourné vers l’Autriche qui a dit non. En attendant il se tait – après avoir déclaré aux médias que son organisation s’est toujours montrée respectueuse des lois britanniques, comme le prouveront les résultats de l’enquête.
Pour le moment Washington n’a fait aucun commentaire sur la décision britannique.
Zvi Mazel