Existe-t-il vraiment des « rebelles modérés » en Syrie?

 

wikipedia-jacquesDepuis le début des frappes aériennes de la coalition contre Daesh en Syrie le commandement américain évite de lancer des raids contre des cibles du régime syrien et contre “l’opposition modérée”. 

En revanche, les Russes, eux, ne font aucune distinction et ne souffrent d’aucun dilemme. En effet, depuis le début de l’intervention militaire russe en octobre 2015, leurs objectifs sont très clairs : le combat est désormais contre tous ceux qui s’opposent au régime d’Assad et à ses alliés.

La CIA a préféré aider ceux considérés comme des « rebelles modérés » et a apporté assistance à l’Armée syrienne libre (ASL). Cependant rappelons que l’ASL a combattu coude à coude avec des groupes islamistes antioccidentaux comme celui d’Ahrar Al-Sham ou des djihadistes d’al-Qaeda. Aujourd’hui, elle perd progressivement son rôle majeur dans la lutte contre le régime alaouite. Dans certaines régions, l’ASL est remplacée par des militants des forces djihadistes. Dans ce contexte, on ne pourrait qualifier les coalitions islamistes présentes sur le terrain comme appartenant à « une opposition modérée ».

Dans le dossier syrien, les Etats-Unis se trouvent à la croisée des chemins vers Damas. Un changement de cap dans leur politique pourrait conduire à long terme au même scénario que les Américains ont connu avec les Talibans en Afghanistan après le retrait soviétique. Ou bien à une répétition de l’expérience irakienne quand le retrait américain a plongé le pays dans le chaos.

La coalition occidentale sous commandement américain demeure hésitante dans le choix de ses cibles en Syrie. Depuis le début de leurs bombardements, en août 2014, les Etats-Unis ont choisi soigneusement des cibles appartenant seulement à l’Etat islamique.

Pour mieux comprendre la diversité de l’opposition au régime d’Assad, rappelons une enquête de la BBC diffusée il y a deux ans. Selon la chaîne britannique, il existe en Syrie plus d’un millier de groupes d’opposition armés en Syrie, avec plus de 100 000 combattants. De nombreux groupes sont minuscules et fonctionnent au niveau local. Toutefois, certaines unités sont devenues des acteurs majeurs car elles sont liées par des alliances à travers le pays à des organisations qui partagent leur objectif.

Depuis 2013, la CIA a voulu former des milliers de rebelles ; aujourd’hui, ils subissent des raids et des bombardements de la part de la Russie.

À l’époque, le programme secret de la CIA était le seul moyen de faire tomber militairement le régime de Bachar el-Assad. Les Etats-Unis avaient prévu d’investir plus de 500 millions de dollars pour former entre 3 000 et 5 000 combattants en deux ans. Ce programme a complètement échoué.

Plus tard, nous avons appris que les Etats-Unis avaient parachuté par erreur des armes à Daesh… De nombreux rebelles formés par les Américains ont aussi rendu leurs armes à al-Qaïda et Jabhat al-Nosra, tandis que d’autres recrues ont rejoint les rangs des djihadistes eux-mêmes. Ce fut le cas avec le mouvement Al-Hazm, une petite milice qui, après avoir été attaquée par Jabhat al-Nosra, a décidé de dissoudre son unité et de rejoindre les djihadistes avec toutes ses armes et équipements fournis par la CIA.

L’Armée des Moudjahidines, un groupe islamiste installé dans les environs d’Alep, avait pour but de lutter contre l’Etat islamique. En septembre 2014, 50 combattants de ce groupe ont été formés au Qatar dans le cadre d’un programme secret de la CIA. Les Américains leur ont fourni des armes américaines, et notamment des missiles TOW antichars. Le 6 mai 2015, tous les Moudjahidines d’Alep ont rejoint des groupes extrémistes, dont l’organisation djihadiste Ahrar el-Sham, solidaire de longue date d’al-Qaida.

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Document établissant l’union entre les Moudjahidines d’Alep et les djihadistes d’Ahrar el-Sham

Il est à souligner qu’Omar el Wali, le secrétaire de l’ASL, a fortement critiqué le plan américain pour créer en Syrie une force d’opposition à l’Etat islamique. El Wali a accusé les Etats-Unis de ne pas protéger ses forces. Il a affirmé que seuls 54 combattants avaient été réellement formés par les Etats-Unis, et s’est plaint de la lenteur du programme américain, en déclarant : « s’il a fallu six mois aux Etats-Unis pour former 54 combattants, donc pour former 15 000 combattants il leur faudra plusieurs décennies ! »

Il faut préciser que la déconfiture de l’ASL sur le terrain des opérations coïncide avec le renforcement parallèle de certaines organisations djihadistes. Ces rebelles sont arrivés à la conclusion qu’en unissant leurs forces, ils auraient plus de chance de vaincre la coalition du régime de Bachar el-Assad. Bien entendu, ces différentes coalitions islamistes présentes sur le terrain ne sauraient être aujourd’hui définies comme étant « une opposition modérée ».

Les cibles choisies par les Russes vont bien au-delà des objectifs de l’Etat islamique. Des avions et navires de guerre russes ont bombardé des sites et des combattants de Daesh en grande partie dans l’est de la Syrie et de l’Irak voisin pour stopper l’avance des groupes rebelles dans la province d’Alep.

Depuis les premières frappes russes la situation sur le terrain demeure toujours floue et rien n’indique pour le moment qu’il y ait une issue à la guerre civile.

La question reste de savoir comment l’administration américaine va réagir. Va-t-elle adopter le scénario afghan, lorsque les Soviétiques avaient envahi ce pays ? Fournira-t-elle massivement des armes offensives à l’opposition dite modérée (devenue presque totalement djihadiste) afin de perturber l’effort de guerre russe ?

Rappelons que la politique d’armer à l’époque les Talibans et de les aider dans leur lutte contre les Soviétiques avait été désastreuse sur tous les plans. Le retrait des troupes soviétiques d’Afghanistan a amené les Talibans au pouvoir, avec toutes les conséquences régionales et mondiales que cela a provoqué. Les Etats-Unis vont-ils être tentés de mettre en œuvre la même politique en Syrie et risquer ainsi une confrontation avec les Russes ? Nous le saurons sans doute prochainement.

Jacques Neriah


Pour citer cet article : 

Jacques Neriah, «Existe-t-il vraiment des “rebelles modérés” en Syrie? », Le CAPE de Jérusalem : http://jcpa-lecape.org/existe-t-il-vraiment-des-rebelles-moderes-en-syrie/