Erdogan est un allié infidèle mais il dirige une puissance régionale
La visite officielle, en grande pompe, du président Herzog en Turquie tourne une lourde page de disputes et de froideurs entre les deux pays. Elle a permis enfin une nouvelle normalisation sereine et pragmatique avec Ankara. Cependant, rien n’indique qu’Erdogan, l’islamiste dans l’âme, celui qui rêve toujours de diriger les sunnites, a soudain changé d’attitude et a abandonné ses engagements antérieurs à l’égard des Palestiniens, le Hamas et les Frères musulmans.
Certes, il est plus attentif dans le combat contre l’antisémitisme, plus conciliant envers la communauté juive, mais il ne renoncera jamais aux revendications religieuses des islamistes sur El Aqsa et Jérusalem. Comme de nombreux leaders musulmans, Erdogan fait une distinction nette entre le peuple juif et l’Etat sioniste d’Israël. Entre le juif soumis et celui qui ose combattre et vaincre.
Frustré de ses nombreux échecs, Erdogan est aujourd’hui beaucoup plus réaliste et conscient des limites du pouvoir. Il n’a pu, même après plus de 20 ans à la tête de la Turquie, réaliser tous ses projets, cette folie des grandeurs, pour devenir un nouveau Soliman le magnifique.
Devant les élections qui approchent et pour pouvoir obtenir un nouveau mandat, il prépare donc le terrain pour sortir de son isolement dans l’arène internationale. Il propose ses bons offices, tente de trouver une issue dans la guerre en Ukraine, et condamne l’agression russe.
Pour surmonter la crise économique et toutes les oppositions à son régime, il pense que se rapprocher d’Israël lui donnera des atouts considérables, un fort soutien américain et une solidarité des pays arabes modérés tels que l’Egypte, le Maroc, l’Arabie saoudite et les Emirats du Golfe. Le moment est pour lui propice car il remarque que les Accords d’Abraham sont très bénéfiques. Ils renforcent Israël, devenu une puissance régionale incontournable au Moyen-Orient et dans le bassin Méditerranée.
Devant la donne géopolitique actuelle et face aux menaces omniprésentes suite à la crise ukrainienne, Erdogan a bien compris que faire partie de l’OTAN, être membre du monde occidental et un allié d’Israël, il devra désormais respecter, à la lettre, les règles du jeu, les lois internationales, le bon voisinage, et admettre les contraintes comme les avantages.
Dans ce contexte, ses priorités sont avant tout commerciales. Il souhaite vivement que nous exportons le gaz vers l’Europe via la Turquie, pour réduire la dépendance russe.
Pour consolider nos relations commerciales nous devrions préalablement exiger des concessions importantes. Erdogan devra s’engager à ne pas saboter l’accord que nous avons déjà signé avec Chypre et la Grèce, dont la Turquie s’était farouchement opposée.
Pour l’heure, la méfiance ne s’est pas encore dissipée. Le président Herzog a eu la sagesse de venir d’abord à Athènes pour rassurer nos alliés Cypriotes et Grecs.
Ne pas commettre les erreurs du passé, être vigilant et avant de poursuive le dialogue il est nécessaire de poser certaines conditions. En priorité, des relations diplomatiques complètes avec des ambassadeurs en exercice et échanger des visites officielles.
Exiger de mettre un terme aux interventions grotesques, provocatrices et antisémites après chaque attentat ou opération de Tsahal.
Ne plus intervenir dans les manifestations des islamistes sur le Mont du Temple et financer des institutions islamiques à Jérusalem.
Nous exigeons toujours la fermeture des bureaux du Hamas à Istanbul et un retrait turc dans les affaires commerciales à Jérusalem-Est.
En invitant Herzog à Ankara, Erdogan prouve qu’il est satisfait de la présence du parti islamiste de Mansour Abbas dans la coalition gouvernementale.
Ses liens avec les Frères musulmans compliquent nos relations mais ce dossier épineux sera probablement résolu discrètement dans le cadre des négociations permanentes qu’entretient le Mossad avec les services de sécurité turcs, notamment sur le terrorisme, et les menaces chiites iraniennes.
Pour sa part, le gouvernement Bennet-Lapid n’osera plus fâcher Erdogan, il mettra honteusement dans un fond de tiroir, tout projet de résolution reconnaissant le génocide arménien par les Turcs.
Une page est donc tournée dans les relations avec la Turquie, mais la normalisation des rapports bilatéraux ne se fera que par étapes.
Le retour des ambassadeurs dans leur capitale respective, avec la présence de milliers de touristes israéliens en Turquie, ainsi que le maintien des bonnes relations commerciales fondent, tout de même, de grands espoirs.
La restitution de la célèbre inscription de Siloé est sans doute un geste de bonne volonté. Ce texte hébreu antique vieux de 2 700 ans fournit une preuve historique concrète du récit biblique et notre présence à Jérusalem depuis la nuit des temps.
Le peuple turc n’est sans doute pas notre ennemi et Erdogan n’est pas éternel. C’est bien pour cette raison fondamentale que nous avons tourné la page, en souhaitons revenir enfin à des relations normales et amicales avec cet important Etat musulman non arabe.