Egypte : vers un nouveau départ ?
Tel qu’il se présente aujourd’hui, le nouveau projet de Constitution ferait de l’Egypte un pays nettement plus démocratique. Mohamed Salmawy, porte-parole du comité des 50 chargé de l’élaboration du texte, en a révélé les points clé dans plusieurs interviews : justice sociale, indépendance nationale, libertés et droits de l’Homme, séparation de la politique et de la religion. En bref, selon le préambule : « La Constitution est pour un Etat civil, démocratique et moderne en Egypte. » Autre point important : elle « représente les objectifs des révolutions du 25 janvier [destitution de Moubarak] et du 30 juin [arrestation de Morsi] ».
Si ce texte devait être définitivement adopté par le plus grand des Etats arabes, c’est un formidable changement qui interviendrait dans les relations entre l’Etat et la religion. L’ultra religieux parti salafiste « Al Nour » ne s’y est pas trompé et a immédiatement fait connaître son opposition. Reste à savoir si le projet de Constitution ne sera pas amendé avant sa publication officielle. Quoi qu’il en soit, il ne faut pas s’attendre à ce que l’Egypte tourne le dos à l’Islam, qui est depuis quatorze siècles la base de sa culture. D’ailleurs, l’homme fort du régime, Abdel Fattah al-Sissi, bien qu’ouvert aux principes de la démocratie, a la réputation d’être un musulman conservateur. Il s’assurera sans doute que la Constitution propose un compromis acceptable pour la grande majorité des Egyptiens toujours favorables à l’application d’au moins une partie de la Charia.
En attendant, le processus annoncé par la feuille de route publiée par al-Sissi, quand il a remis le pouvoir à l’autorité civile quelques jours après l’arrestation de Morsi, se déroule normalement. Quant aux Frères musulmans, leur bref passage à la tête de l’Etat appartient désormais à l’Histoire même s’ils n’ont toujours pas accepté la perte d’un pouvoir démocratiquement obtenu après huit décennies de luttes et de persécutions. Ils peinent à croire que leur rêve d’un pays gouverné par la Charia est à jamais perdu. Certes, ils bénéficient encore de l’aide de leur Confrérie internationale, très active dans plusieurs pays d’Occident, et continuent à se battre pour la restauration de leur président « légitime », mais il n’y a plus que la Turquie pour leur apporter un soutien de poids. Les Etats-Unis, qui s’étaient empressés de suspendre une partie de leur assistance militaire pour montrer leur mécontentement, font maintenant machine arrière et John Kerry n’hésite pas à dire que la révolution « a été volée par les Frères ». Ces derniers ne baissent pourtant pas les armes et leurs partisans les plus déterminés sont toujours prêts à descendre dans la rue, mais ils se comptent par centaines et non plus par dizaines de milliers comme par le passé. Pourtant ils maintiennent la pression, encourageant directement ou indirectement des militants islamiques extrémistes à se livrer à des attentats dans le pays et surtout dans la péninsule du Sinaï pour semer le chaos et compromettre le redressement économique. Là encore l’armée est en train de reprendre les choses en mains. Il faut bien voir que le régime, extrêmement populaire et soutenu par les médias, est en train d’asseoir solidement son autorité.
Al-Sissi, qui est ministre de la Défense et vice-Premier ministre, fait preuve de ses qualités de leader et poursuit son programme sans se laisser intimider par ceux « qui cherchent à faire du tort à l’Egypte » selon ses dires. Il insiste dans chacun de ses discours sur le fait qu’il protégera l’indépendance du pays et œuvrera à la création d’un régime démocratique délivré de l’extrémisme religieux. A la presse étrangère il répète qu’il souhaite préserver les bonnes relations entre l’Egypte et les Etats-Unis et ne comprend pas pourquoi Washington tourne le dos à un pays qui a été son allié fidèle pendant des décennies. Il n’hésite pourtant pas à résister aux pressions américaines et n’a pas perdu de temps pour réchauffer les liens avec la Russie, accueillant au Caire les ministres des Affaires étrangères et de la Défense. L’Egypte a indiqué qu’elle envisageait de relancer son programme nucléaire et la Russie s’est empressée de lui offrir son aide. Par ailleurs, Le Caire a rappelé son ambassadeur à Ankara pour signifier à la Turquie que son soutien aux Frères musulmans ne serait pas toléré. En même temps, Nabil Fahmy, ministre des Affaires Etrangères, rappelle inlassablement que l’Egypte veut se rapprocher de l’Occident. Puisque les Egyptiens veulent construire un Etat démocratique et moderne, l’Occident n’est-il pas leur allié naturel ? Ils ont besoin de sa technologie et de ses investissements pour redresser leur économie chancelante.
Les prochains mois vont être décisifs. Trois consultations populaires sont prévues : une ratification de la Constitution, les élections législatives et la présidentielle. Les partis politiques sont-ils prêts ? Les fronts laïques et non islamiques arriveront-ils à trouver un dénominateur commun face aux islamistes, qui représentent sans doute un quart des votants ? Il semblerait que les trois grands blocs – Libéraux, Nasséristes et Gauche – envisagent de se présenter sur une liste unique mais rien n’est encore fait. Les jeunes qui ont déclenché les deux révolutions, essentiellement le mouvement dit du « Six Avril » et le mouvement Tamarud, n’ont pas encore fait connaître leur position. Ils attendent peut-être de voir ce que va faire al-Sissi. Le général va-t-il se décider à se porter candidat à la présidence ? Va-t-il au contraire soutenir un autre candidat ? A en juger par ses plus récentes interventions, il n’a pas encore franchi le pas. Il sait qu’il serait certainement élu à une très large majorité compte tenu du fait qu’il est sans doute l’homme le plus populaire du pays aujourd’hui. Il sait aussi que ses détracteurs s’empresseraient de proclamer qu’il veut instaurer une nouvelle dictature militaire. Autre problème qui risque de compliquer le processus électoral, le terrorisme. Un ou plusieurs attentats spectaculaires rendraient difficile la tenue d’élections et pourraient contraindre le régime à restaurer l’état d’urgence qui vient d’être aboli.
Il n’en reste pas moins que le facteur décisif est, et restera, l’économie. Pour l’instant, le gouvernement se garde bien de réduire les subventions aux produits de base ; il sait pourtant que seules les injections massives d’argent de l’Arabie saoudite, des Emirats du Golfe et du Koweït lui permettent de continuer. Les ministres sont conscients du fait que cela ne pourra durer. Il faudra bien en venir aux réformes douloureuses indispensables pour rendre l’économie plus efficace – et répondre aux exigences des institutions financières internationales.
Le paradoxe est que l’Occident ne se départ pas de sa méfiance et ne semble pas pressé de venir en aide à un pays qui s’efforce d’avancer vers la démocratie et une plus grande liberté. Or l’Egypte aura besoin de faire preuve d’une détermination sans faille et de beaucoup d’assurance pour persévérer quand, autour d’elle, le monde arabe s’enflamme et que l’Islam radical soutenu par l’Iran et par Al-Qaïda va de succès en succès. On ne peut que souhaiter que Le Caire tienne bon – et que l’Occident comprenne enfin où sont ses intérêts véritables.
Zvi Mazel