Deux poids deux mesures pour « l’occupation de territoires »

Il existe à travers le monde une quarantaine de conflit qui opposent des antagonistes sur l’occupation de territoires, notamment en Irak, en Afghanistan, au Sahara occidental, au Timor oriental, au Congo oriental, à Nagorno-Karabakh, au nord de Chypre, et en Crimée.

Curieusement, ces conflits qui impliquent souvent un transfert de population, sont rarement considérées par la communauté internationale comme « des Territoires occupés » et mêmes les acteurs concernés ne sont pas qualifiés d’« occupants », « belligérants », ou « colons ».

En notant le nombre excessif des résolutions de l’ONU condamnant l’Etat juif, on pourrait prétendre qu’Israël est considéré au sein de la communauté internationale comme étant le seul « pouvoir occupant » de la planète.

Les règles acceptées sont trop simplistes et ne prennent pas en considération le statut unique, politique, légal, et historique du territoire en litige.

Les termes qui concernent l’occupation sont toujours employés par des expressions politiques partisanes telles que « territoires palestiniens occupés ». Elles sont ancrées dans le langage courant de l’ONU et des organisations humanitaires comme la Croix rouge internationale.

Cette terminologie n’a pas de base juridique et préjuge des questions de négociations en cours convenues et approuvées entre Israël et les Palestiniens. Leur utilisation par des organisations humanitaires, telle que la Croix rouge, est incompatible avec leurs propres principes constitutionnels de neutralité et d’impartialité.

Rappelons que les critères objectifs pour définir un territoire occupé sont évidents pour tous, et peuvent être clairement basés et définis par les lois internationales concernant les conflits armés, et en particulier dans le règlement de la Haye de 1907 et la quatrième Convention de Genève de 1949.

En outre, il y a peu ou pas de discussion internationale sur la question de savoir si telle situation viole le droit humanitaire international et les lois de l’occupation, sauf dans le cas d’Israël.

 

De nombreuses occupations militaires dans le monde

Pourtant, il existe de nombreuses occupations militaires en cours à travers le monde. Prenons l’exemple de l’occupation turque de Chypre en 1974.

L’armée turque avait envahi Chypre, Etat indépendant depuis 1960. Les Turcs occupent à ce jour 37% du territoire de cette île. Le Conseil de sécurité des Nations-Unies avait d’ailleurs adopté la Résolution 353, exigeant « de mettre un terme immédiat à l’intervention militaire étrangère et à un retrait sans délai de la République de Chypre ».

En 1983, les chypriotes turcs ont proclamé l’indépendance de « la République turque du nord de Chypre », un acte unilatéral que les Nations-Unies ont condamné vigoureusement et ont qualifié de « nul et non avenu ». Au fil des ans, 200 000 colons turcs se sont installés dans ce territoire mais depuis aussi de nombreuses propriétés ont été abandonnées et vendues à des acheteurs européens et notamment à plus de 5 000 citoyens britanniques… Et pourtant, il s’agit bien d’un territoire occupé !

Selon un reportage diffusé par la BBC, plus de 10 000 étrangers ont acheté d’anciennes propriétés chypriotes-grecques dans le nord de l’île.

Bien évidemment, nous ne pouvons faire une comparaison avec les implantations israéliennes en Cisjordanie et cela pour plusieurs raisons.

Israël a envahi ce territoire dans une guerre d’auto-défense légitime durant la guerre des Six Jours de 1967, mais en revanche, la Turquie s’est lancée dans une guerre préméditée sans être confrontée auparavant une attaque imminente de la part de Chypre. Rappelons aussi qu’il n’existait pas de souveraineté acquise en Cisjordanie ni d’Etat palestinien. Enfin, les résolutions adoptées par le Conseil de sécurité des Nations Unies dans les deux conflits sont bien différentes. Au lendemain de la Guerre des Six Jours, le Conseil de sécurité des Nations-Unies a adopté la résolution 242 qui n’a pas appelé Israël à un retrait total de tous les territoires tandis que dans le cas chypriote, les Nations-Unies étaient catégoriques et ont exigé que l’armée turque quitte sans délai la partie envahie de l’île.

L’Union européenne rappelle à chaque fois qu’elle est « profondément consternée et fermement opposée aux plans d’expansion israéliens en Cisjordanie, y compris à Jérusalem Est. » En précisant que « les implantations sont illégales sous le droit international et constituent un obstacle à la paix. » Ironiquement, l’Union européenne s’empresse de condamner Israël pour toute activité de construction en Cisjordanie, mais fait la sourde oreille sur les dizaines de milliers de colons turcs installés au nord de Chypre.

Les gouvernements européens ne condamnent pas non plus leurs propres citoyens cherchant à construire des villas avec piscine dans un territoire qui est toujours situé sous occupation turque.

L’occupation marocaine de 1975 et l’annexion du Sahara occidental n’ont pas non plus été reconnues par la communauté internationale. Plusieurs résolutions de l’Assemblée générale ont déploré l’occupation du territoire par le Maroc mais sans aucune sanction. Le Maroc a installé plusieurs centaines de milliers de colons dans la région, doublant ainsi la population locale. Toutefois, aucune résolution internationale n’a fait référence à cette « politique de règlement ».

Rappelons que lors d’une visite en 2016 dans les camps de réfugiés sahraouis dans le sud de l’Algérie, l’ancien secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon, avait défini  comme une « occupation » la présence marocaine au Sahara occidental. En représailles, le Maroc expulsa les membres de la mission des Nations-Unies pour le référendum du Sahara occidental (MINURSO). Après que le Secrétaire général de l’ONU a regretté le « malentendu » la mission a repris ses travaux.

L’occupation indonésienne de 1975 et l’annexion du Timor oriental ont été condamnés par la résolution (XXX) de 1975 de l’Assemblée générale des Nations Unies et la résolution 384 (1975) du Conseil de sécurité qui déploraient vivement l’intervention militaire des forces armées de l’Indonésie au Timor portugais et avaient exigé son retrait du territoire.

Cependant, ces résolutions n’ont pas fait mention d’« occupation », ni référence au transfert de plus de 100 000 colons indonésiens (20% de la population) sur ce territoire.

De même, concernant l’occupation syrienne en 2004 du territoire libanais. La Résolution 1559du Conseil de sécurité a appelé « toutes les forces étrangères de se retirer du Liban ». Cette résolution et d’autres traitant de la présence syrienne au Liban n’ont fait aucune mention d’occupation du territoire par des milliers de Syriens.

Il existe d’autres exemples comme l’occupation et l’annexion arménienne de 1992-1994 de la région azerbaidjanaise du Haut Karabakh, ou l’occupation et l’annexion de la Crimée par les Russes. La Résolution 68/262 de l’Assemblée générale n’a pas non plus mentionné le terme « occupation », ni condamné l’installation de plus de 100 000 russes dans la région.

 

Un territoire disputé et non pas « occupé »

A la lumière de la politisation évidente du terme « occupation », il est impératif d’établir une distinction claire entre deux principes fondamentaux : d’une part, les exigences humanitaires inhérentes aux lois de l’occupation, qui devraient être applicables indépendamment des opinions sur le statut politique du territoire. Cette tâche devrait être confiée au Comité international de la Croix rouge (CICR) sans jugement de valeur politique. D’autre part, le statut politique légal et historique du territoire en conflit devrait être traité par le biais d’un forum négociant et approprié. Cela ne pourrait et ne devrait pas être un facteur de supervision de la mise en œuvre humanitaire des obligations internationales.

Les questions politiques concernant le statut du territoire, y compris la question des différends concernant la détermination de sa souveraineté, devraient être en dehors de la mise en œuvre des obligations humanitaires internationales vis-à-vis du territoire et de sa population.

Israël a constamment prétendu que les définitions simplistes et directes de l’occupation dans les règles de la Haye de 1907 et la quatrième Convention de Genève ne devaient pas nécessairement être appropriées en ce qui concerne les zones de Cisjordanie et la zone de la bande de Gaza.

C’est particulièrement le cas lorsqu’un territoire a un long passé historique et juridique. Comment donc ignorer une situation politique historique unique d’un territoire qui le distingue des définitions internationales simplistes ?

Soulignons que le Droit international définit « l’occupation » comme une puissance occupante de terres appartenant à un Etat souverain étranger. Dans notre cas, l’Etat Juif n’occupe donc aucune terre d’un autre Etat.

Rappelons les faits : en juin 1967, Israël a envahi la zone connue sous le nom de Cisjordanie et a repris le pouvoir d’administrer ce territoire qui appartenait auparavant à la Jordanie, mais elle n’a jamais été considérée comme souveraine sur ce territoire.

En fait, Israël, et le peuple juif dans son ensemble, prétend à juste titre que ce territoire, appelé dans les temps bibliques « Judée et Samarie », est une base juridique et historique valable, et donc à cet égard Israël ne considère pas ce territoire comme occupé, ni non plus considéré comme automatiquement palestinien. Il s’agit donc d’un territoire disputé et ce litige devrait être négocié entre les deux parties.

Nous sommes conscients que les Palestiniens ont également des revendications concernant ce territoire. Nous considérons que leurs revendications sont beaucoup moins fondées et moins documentées que les nôtres, mais Israël est déterminé à mener des négociations avec les Palestiniens en vue de trouver un règlement définitif et équitable à la question.

Les Jordaniens, qui occupaient le territoire après la guerre de 1948, l’ont annexé, mais cette annexion n’a jamais été vraiment reconnue par la communauté internationale (à l’exception de la Grande-Bretagne et du Pakistan). Quarante ans plus tard, le roi Hussein de Jordanie a volontairement renoncé à toute souveraineté jordanienne et n’a pas non plus revendiqué ce territoire pour le peuple palestinien. Donc, la question demeure un problème entre les Israéliens et les Palestiniens.

 

« Territoires palestiniens » : une notion sans fondement

Soulignons aussi que l’emploi du terme « territoires palestiniens », utilisé entre autres sur le site du Quai d’Orsay, ne représente pas un terme juridique.

Il n’existe aucune référence de la communauté internationale concernant les « territoires palestiniens ». Celui qui l’utilise commet une erreur grave qui n’a absolument aucun fondement juridique ou politique. Il n’y a jamais eu dans l’Histoire d’Etat palestinien, et donc les Territoires n’ont jamais non plus appartenu à une quelconque entité palestinienne. Il n’existe aucun accord international, aucun contrat, ou traité, ni même de résolution contraignante qui détermine que ces Territoires appartiennent aux Palestiniens.

En fait, même les Palestiniens eux-mêmes, dans le cadre des Accords d’Oslo signés avec Israël, reconnaissent le fait que le statut final et permanent du territoire devrait être déterminé par la voie de la négociation. Ainsi, les Palestiniens acceptent le fait qu’il ne s’agit pas de leur territoire et que son statut contesté devrait encore être réglé.

Si la population locale possède des terres, le pouvoir administratif ne peut pas prendre ces terres ou les utiliser. En revanche, si ces terres ne sont pas privées, la puissance qui administre ledit Territoire peut l’utiliser et profiter de ses fruits jusqu’au jour où la souveraineté sera définitivement fixée. Précisément dans ce contexte, Israël peut à juste titre utiliser des terres publiques pour établir des implantations aussi longtemps que celles-ci redeviennent privées par la population locale. Par conséquent, les implantations ne sont donc pas illégitimes.

La question de l’avenir des implantations se débattra lors de la négociation sur le statut permanent. De fait, celui qui prétend et rabâche à chaque occasion que « les colonies israéliennes sont illégitimes », comme le disent les leaders de l’Union européenne, prononcent expressément des préjugés sur la négociation, ce qui est manifestement incompatible avec le principe du dialogue.

 

Les « frontières de 1967 » n’existent pas

Soulignons également qu’il n’existe pas de « frontières de 1967 ». Une frontière est une ligne qui limite un territoire et définit deux entités souveraines ou Etats. En juin 1967, il n’existait qu’une ligne d’armistice, celle du cessez-le-feu de la guerre 1948-1949, déclenchée par les Arabes juste après la proclamation de l’Indépendance de l’Etat Juif. Ce sont bien les Jordaniens qui avaient insisté à l’époque pour préciser que dans l’accord d’armistice signé en 1949 la ligne de démarcation d’armistice ne serait pas une frontière définitive.

Cette frontière ne pourra donc être déterminée que dans le cadre des négociations de paix entre les parties. Ainsi, le terme « frontières de 1967 » utilisé par la presse et les chancelleries induit tout simplement en erreur.

Les efforts implacables d’Israël pour établir une distinction entre les questions politiques et juridiques du statut du territoire, d’une part, et les questions de l’application des normes internationales humanitaires d’autre part, n’ont pas été acceptés par la communauté internationale. Dans les centaines de résolutions et décisions déterminées par le gouvernement, la communauté internationale semble avoir créé une terminologie politique spécifique applicable uniquement à la situation d’Israël.

Israël n’a jamais nié le fait qu’il ait pris le contrôle du territoire en 1967 et a été obligé de les gouverner conformément aux normes acceptées.

En effet, parallèlement à son contrôle en juin 1967, Israël s’est engagé, par une série de proclamations et ordres militaires, à se conduire conformément aux normes pertinentes du Droit international. Il s’est engagé à respecter les dispositions de la quatrième Convention de Genève dans toutes les questions, y compris les biens ; en respectant les lois locales existantes et d’autres dispositions générales.

Dans le même contexte, Israël s’est engagé à appliquer les dispositions humanitaires de la quatrième Convention de Genève vis-à-vis de la population locale, mais sans reconnaître officiellement l’applicabilité formelle de la Convention aux territoires.

A cette fin, Israël s’est efforcé de coopérer avec le rôle humanitaire du CIRC tel qu’il est énoncé dans la Convention pour restaurer et améliorer les conditions de vie de la population palestinienne locale en vue de garantir le respect de leurs droits fondamentaux et de proposer la perspective de solution politique future au conflit.

 

Restaurer le processus de négociation

Sur la base des normes humanitaires acceptées applicables à Israël, la Cour suprême israélienne surveille strictement les actions des autorités militaires et autres autorités gouvernementales d’Israël qui fonctionnent dans les territoires.

Au fil des ans, la communauté internationale a ignoré les raisons historiques et juridiques avancées par Israël pour distinguer la situation des territoires et a déterminé qu’Israël était un « occupant belligérant ».

Cela est devenu “lingua franca” dans l’ensemble du système politique international, en dépit de l’insistance d’Israël à utiliser l’expression moins politiquement chargée de « territoire en litige » qui est dépourvue de tout doute ou inclinaison interprétative.

La tendance continue de la communauté internationale à préjuger le résultat de ce processus de négociation par des déterminations politiquement générées et influencées quant à l’attribution de la souveraineté, que ce soit par des Etats ou par des organes internationaux y compris la Croix rouge, semble aller à l’encontre de toute nécessité constitutionnelle de neutralité, d’impartialité, et d’indépendance.

Toute réclamation ou détermination, même par la Croix rouge, qui vise à désigner et à attribuer le territoire à une partie ou à refuser les droits et le statut d’une partie ne peut être considérée comme un écart de la stricte politique de neutralité dictée par les principes fondamentaux du mouvement de la Croix rouge.

Toute évaluation authentique du passé, du présent et de l’avenir de la loi de l’occupation belligérante ne peut ignorer ces réalités.

Dans la même veine, l’utilisation arbitraire du terme « annexion rampante » pour ainsi décrire la construction d’implantations israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem, n’est qu’un jugement politique. Il indique une ignorance totale des faits et du terrain et un manque de compréhension sur les engagements mutuels pris par Israël et l’OLP dans le cadre de l’accord intérimaire de 1995. Les deux parties ont convenu que les implantations (aussi bien que d’autres questions) seraient traitées dans le cadre des négociations sur le statut final et, à ce titre, se sont engagés à ne pas modifier le statut du territoire en attendant l’issue des négociations sur le statut permanent. Israël a réaffirmé constamment sa position sur le fait que la question des implantations reste négociable, et donc toute allégation selon laquelle les implantations israéliennes constituent « une annexion rampante » n’est que pure démagogie.

Dans le contexte israélo-palestinien spécifique et en dépit de son histoire complexe et de sa situation unique, toute évaluation des principes fondamentaux ne peut ignorer le fait qu’il existe un processus continu et évolutif qui vise finalement à déterminer le destin définitif et permanent des territoires. Ce processus est en cours, avec des efforts internationaux considérables et permanents pour restaurer le processus de négociation.

Alan Baker

 


Pour citer cet article :

Alan Baker, « Deux poids deux mesures pour “l’occupation de territoires” », Le CAPE de Jérusalem, publié le 19 septembre 2017 : http://jcpa-lecape.org/deux-poids-deux-mesures-pour-occupation-de-territoires/


Illustration : Un soldat turc dans le nord de Chypre (crédit: Agencja Fotograficzna Caro / Alamy)

 

 

 

 

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