Des Frères si peu pacifiques
Depuis sa création en 1928, la Confrérie des Frères musulmans n’a qu’un seul but : imposer la Charia en Egypte puis au-delà de ses frontières jusqu’à ce que le monde entier, devenu musulman, soit gouverné par un seul calife. 80 ans après, la chute de Moubarak leur a ouvert la voie : vainqueurs aux élections parlementaires et présidentielles, les Frères se sont retrouvés à la tête de l’Egypte. Une victoire de courte durée. Au bout d’un an à peine, le président Morsi s’est retrouvé en prison et son gouvernement balayé par un soulèvement populaire appuyé par l’armée. Stoppés si près du but, les Frères se refusent à accepter leur défaite. Avec leurs alliés salafistes, ils ont déclenché des protestations de plus en plus violentes, puis des attentats terroristes ayant entraîné la mort de 350 soldats, policiers et membres des forces de l’ordre. En représailles, le président par intérim, le général al-Sissi, interdit d’abord le mouvement, et comme cela ne suffisait pas, le désigne comme une organisation terroriste.
La presse occidentale, et l’Occident en général, n’a pas vu les choses de la même façon. Selon elle, il s’agissait d’un coup d’état militaire contre un gouvernement légitime issu d’un mouvement qu’elle persistait à qualifier de « modéré » ou de « pragmatique » qui se défendait d’avoir recours à la violence. C’est avoir la mémoire courte. La Confrérie a déjà été interdite à plusieurs reprises par le passé. Nasser, échappant de justesse à une tentative d’assassinat, a voulu l’éliminer. Il a envoyé 60 000 Frères dans des camps après avoir exécuté leurs leaders, notamment Saïd Qotb, considéré comme le père du fondamentalisme moderne et qui prônait l’imposition de la Charia par la force. Peu avant, en 1949, le roi Farouk avait fait exécuter Hassan el Banna, le fondateur de la Confrérie, qui avait fondé une organisation secrète responsable de l’assassinat d’un Premier ministre et de plusieurs juges.
Dès les années 1940 le mouvement avait essaimé vers les pays arabes, en y établissant des filiales. A partir des années 1960, il s’est tourné vers l’Europe occidentale et les Etats-Unis et a créé de soi-disant centres culturels et des mosquées pour propager sa vision de l’Islam. Des documents saisis en Europe et en Amérique exposent la stratégie de la Confrérie, qui consiste à miner les régimes de l’intérieur en utilisant les valeurs démocratiques et la liberté de la presse pour s’emparer du pouvoir.
Lorsque Sadate devint président en 1970, il fit sortir les Frères des camps, comptant sur eux pour l’aider à venir à bout des derniers partisans prosoviétiques de son prédécesseur, Nasser. Les Frères s’étaient alors solennellement engagés à renoncer à la violence. Ce qui n’empêcha pas un certain nombre d’entre eux, une fois libérés, de créer des organisations extrémistes telles que Takfir wal Hijra, la Gamaa al-Islamiya et d’autres mouvements djihadistes qui ont immédiatement lancé des attentats terroristes contre le régime, notamment l’attaque sanglante contre l’académie militaire en 1974, l’assassinat d’un ancien ministre des Cultes en 1977 et finalement en 1981 l’assassinat du président Sadate lui-même. Ces organisations avaient adopté les théories de Saïd Qotb et visaient à imposer la Charia de gré ou de force et à restaurer le califat. Ce sont encore d’anciens Frères musulmans qui ont fondé Al-Qaïda et d’autres mouvements salafistes aujourd’hui à l’œuvre en Irak, en Syrie, dans le Sinaï et en Afrique du nord ainsi qu’en Afrique noire et en Asie. Ils sont aussi à l’origine d’attaques terroristes en Occident : en Espagne, à Londres, aux Etats-Unis et ailleurs. Leurs chefs spirituels leur expliquent qu’il est légitime de tuer non seulement des infidèles mais encore des Musulmans pour atteindre leur but.
En ce qui concerne la Confrérie, ses activités furent interdites sous Moubarak, qui la laissa malgré tout poursuivre ses activités caritatives. Le Conseil Suprême des Forces Armées, à la direction du pays après la chute du Raïs, permit aux Frères d’agir ouvertement. Leurs candidats au parlement et à la présidence reçurent les suffrages de millions d’Egyptiens, tentés par ce mouvement islamique persécuté depuis si longtemps et persuadés qu’il allait ouvrir une ère nouvelle de progrès économique et de liberté tout en respectant le caractère islamique du pays. Ils ont dû rapidement déchanter. Loin de se préoccuper des graves problèmes économiques et sociaux de l’Egypte, les Frères s’efforcèrent de jeter les bases d’une dictature religieuse où même les Salafistes qui les avaient aidés à gagner le pouvoir n’avaient pas leur place. Les mouvements de protestation prenant de l’ampleur, le président Morsi n’hésita pas à les réprimer avec la plus grande violence allant jusqu’à faire tirer sur les manifestants ; ce dernier point est l’un des chefs d’accusation contre lui aujourd’hui. Rien n’y fit. C’est par millions que les Egyptiens descendirent dans la rue dans l’espoir qu’un nouveau régime répondrait enfin à leurs aspirations. L’armée se rangea de leur côté et ils finirent par arrêter les Frères à temps – alors qu’ils s’apprêtaient à prendre le contrôle de l’ensemble des forces de sécurité.
L’Occident n’a pas saisi les événements et, protestant contre l’élimination d’un président « élu démocratiquement », a condamné ce qu’il considérait comme un coup d’état militaire. Cela a amené certains commentateurs à dire que si dans les années 1930 le peuple allemand avait, avec l’aide de l’armée, fait tomber Hitler pourtant démocratiquement élu, cinquante millions d’hommes ne seraient pas morts et le monde serait bien différent aujourd’hui.
Devant la recrudescence des attaques meurtrières contre l’armée, les forces de sécurité et les populations civiles perpétrées par les Frères musulmans et leurs alliés, le gouvernement intérimaire n’avait pas vraiment le choix : il a interdit le mouvement comme l’avaient fait avant lui le roi Farouk, Nasser et Moubarak, et a déclaré qu’il s’agissait d’une organisation terroriste. L’Occident pour sa part n’est toujours pas prêt à lui emboîter le pas. Les Etats-Unis et l’Union européenne, censés représenter le monde éclairé, tournent le dos à l’Egypte en lutte contre l’Islam radical qui est leur ennemi commun ; ce faisant, ils encouragent tacitement les Frères musulmans à poursuivre la lutte.
Zvi Mazel