David Lévy : une main de fer dans un gant de velours
Témoignage
Le départ définitif de David Lévy m’attriste profondément. Durant plusieurs années, j’ai eu le privilège de collaborer avec lui, de travailler de concert avec cet homme intelligent, affable, un véritable humaniste qui a combattu durant toute sa vie contre les injustices, les coups-bas et les discriminations sociales, un homme politique inné, franc, modeste et chaleureux qui avait l’étoffe d’un chef d’Etat.
Fils de charpentier, né à Rabat en 1937, il émigre en Israël à l’âge de 19 ans et s’installe avec sa famille nombreuse dans la ville de Beit-Shean, ancienne ville située dans la vallée du Jourdain, sur Via Maris, une route commerciale datant de l’âge de bronze qui relie l’Egypte à la Mésopotamie. Depuis 1957, Lévy n’a jamais quitté Beit-Shean même si en été il fait 45 degrés à l’ombre… Au départ, il travaille dans les champs des kibboutzim, puis comme maçon de bâtiments à Tel-Aviv. Très vite, il devient un syndicaliste respecté par les ouvriers. Orateur inné, il revendique des droits fondamentaux bafoués par des patrons sans scrupule, provoque des manifestations et des grèves et obtient, grâce à son charisme et sa détermination, des avantages sociaux et un poste honorable à la direction de la Histadrout (principal syndicat des travailleurs).
En 1969, Menahem Begin apprécie beaucoup le nouveau héraut des « orientaux », le meneur d’hommes qui enflamme les foules ; il lui propose de joindre son parti politique et devenir député à la Knesset…Très flatté, Lévy, 32 ans, est le député le plus jeune du Parlement…Durant une longue période, il fut vice-Premier ministre, ministre de l’Habitat et trois fois chef de la diplomatie, un record dans les annales israéliennes.
Elégant, tiré toujours à quatre épingles et soignant sa coiffure touffue et argentée, Lévy pénètre dans les arcanes de la diplomatie avec beaucoup d’aisance. Autodidacte et fuyant les mondanités, ses positions sont claires, fermes mais modérées. Patriote, religieux traditionaliste, il écarte les diplomates prétentieux et les intellectuels et s’oppose farouchement aux extrémistes et à la formation de partis sectaires et ethniques tel que le parti Shass d’Arié Déri. Il refuse toute politisation de la religion ou de l’armée. Respecte scrupuleusement les valeurs du judaïsme et toutes les institutions de l’État, il adore les compliments et insiste pour avoir toujours le dernier mot.
Ses entretiens avec les chefs d’États et ses homologues se déroulent dans un climat franc et amical malgré les divergences en cours. David Lévy a souhaité sortir l’État juif de cette impasse et de briser l’immobilisme diplomatique. Au sein du gouvernement, il propose de régler le problème palestinien par un nouveau plan de paix basé sur deux principes fondamentaux : réalisme et ouverture.
Je l’accompagnais dans tous ses déplacements à l’étranger. Je me souviens de ses rencontres avec les grands de ce monde. Lors de son premier mandat, il part pour Washington rencontrer James Baker et trouve rapidement un terrain d’entente…son grand désavantage est d’ignorer l’anglais, toutes ses tentatives d’étudier la langue de Shakespeare ont été vouées à l’échec et dans toutes ses rencontres diplomatiques, il est assisté d’un interprète…Avec Baker la discussion est fluide puisqu’il parle couramment la langue de Molière… Ils mettront en œuvre un plan de paix qui donna un élan formidable à la diplomatie israélienne. A l’époque, un vent de liberté soufflait en Europe.
Le Mur de Berlin s’écroula et ouvre la voie à la réunification de l’Allemagne. Plusieurs pays à travers le monde nouent enfin des relations bilatérales avec Israël : la Chine et l’Inde représentant plus d’un tiers de la population mondiale ; la Russie et tous les pays de l’Est renouent leurs relations diplomatiques, elles ont été coupées suite à la guerre de Kippour ; des États africains dont certains du Maghreb : La Tunisie, le Maroc et la Mauritanie ainsi que les Émirats du Golfe persique, le Qatar et Oman, ouvrent des bureaux d’intérêts.
Après la cérémonie d’ouverture de la Conférence de paix à Madrid, des négociations bilatérales et multilatérales sont entamées à Moscou, Washington et Paris. On discute des problèmes fondamentaux à résoudre dans la région : le développement économique, l’eau, l’écologie et le contrôle des armes non-conventionnelles et aussi la question épineuse des réfugiés palestiniens et des juifs expulsés des pays arabes
Francophile, le chef de la diplomatie israélienne est très satisfait des paroles chaleureuses de François Mitterrand, le courant passe facilement. Ensuite, jovial, Lévy débarque à Bruxelles, là, il entend un autre son de cloche et de nombreuses critiques de la part des Européens.
Quand Lévy est en colère aucun diplomate n’ose l’approcher. Lévy se sent parfois frustré, et souffre d’un complexe d’infériorité. Ses engueulades choquent parfois mais elles ne sont pas méchantes. Dans les discussions diplomatiques, il ne tient pas rancune et préfère jouer le fairplay et exposer ses opinions en gentleman.
Lévy avait avec Netanyahou des désaccords flagrants sur la marche à suivre avec les Palestiniens. Lévy, de tempérament spontané et souvent impulsif, ne pouvait accorder son violon avec lui. Le flegme qui le caractérise, en particulier dans les problèmes économiques et sociaux, mettait Lévy dans une colère quotidienne. Il fut même terrassé par trois crises cardiaques. Après quelques jours de convalescence, il reprit les affaires en main, mais Netanyahou continuait de l’agacer. Dans cette bataille entre les deux hommes, ce fut la guerre ouverte.
Le bras de fer entre les deux hommes a même paralysé le fonctionnement de certaines capitales concernant la nomination d’ambassadeurs et de consuls. Sur les nominations, Lévy était intraitable et a voulu nommer des amis proches et fidèles. Lors d’une conférence de presse que j’animais Lévy attaquait vertement la politique de Netanyahou et lâche publiquement son Premier ministre : « Cet homme nous emmène de sa cabine de pilotage vers une destination inconnue, vers le néant destructeur. » Lévy donne sa démission et le compte à rebours commence dans le tourbillon de la tempête politique.
Je reprochais à Lévy de quitter la scène, de refuser de s’exprimer sur des sujets d’actualité et sur des affaires d’État et de rester solitaire à Beit Shean. Je lui suggère d’écrire ses mémoires. Il rejette chaque proposition. Je regrette profondément que cette conduite a éclipsé ses multiples succès diplomatiques durant ses longues années au ministère.
Aujourd’hui, plus que jamais, je suis attristé que les médias focalisent la riche carrière de David Lévy le « Marocain », le héraut des « orientaux » et minimisent la grande contribution de David Lévy à la diplomatie israélienne et son combat acharné pour une paix viable avec nos voisins Arabes.